Une manif pour la paix transformée en massacre
Les deux explosions qui se sont produites samedi matin au début d’une manifestation pour la paix à Ankara ont fait au moins 97 morts, selon un nouveau bilan.
Près de 100 personnes ont été tuées samedi dans le plus grave attentat jamais commis dans la capitale turque Ankara, qui a visé une manifestation pour la paix organisée par l’opposition prokurde à trois semaines des élections législatives anticipées. A 10h04 locales (7h04 GMT), deux fortes explosions ont secoué les alentours de la gare centrale d’Ankara, où des milliers de militants venus de toute la Turquie à l’appel de plusieurs syndicats, d’ONG et partis de gauche se rassemblaient pour dénoncer la reprise du conflit entre Ankara et les rebelles kurdes.
Les attentats les plus meurtriers en Turquie depuis 1982(CHRONOLOGIE)
L’attaque qui a fait au moins 86 morts à Ankara samedi est l’une des plus meurtrières des trente-cinq dernières années dans le pays. Rappel des principaux attentats commis en Turquie depuis 1982.– 7 août 1982 – l’explosion d’une bombe, suivie d’une fusillade, à l’aéroport d’Ankara fait 11 morts et 63 blessés. L’attentat est revendiqué par l’Asala (Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie).- 6 sept 1986 – 22 morts (outre deux terroristes) dans un attentat contre la synagogue Neve Shalom à Istanbul, revendiqué par le Djihad islamique.- 25 déc 1991 – des explosifs et des bouteilles incendiaires sont lancés contre un grand magasin situé dans la partie européenne d’Istanbul: 17 morts et 23 blessés. L’opération est attribuée au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), principal groupe rebelle kurde.- 13 mars 1999 – 12 morts dans un attentat à la bombe incendiaire contre un centre commercial d’Istanbul, revendiqué par le PKK, qui dément ensuite en être l’auteur.
– 15 et 20 nov 2003 – quatre attentats suicide à la voiture piégée à Istanbul contre deux synagogues, contre le consulat britannique et la banque britannique HSBC font 63 morts, dont le consul général britannique, et des centaines de blessés. Ces attentats sont revendiqués par une cellule turque du réseau Al-Qaïda.
– 12 sept 2006 – l’explosion prématurée d’une bombe près d’un arrêt de bus du centre-ville de Diyarbakir (sud-est), tue 10 personnes, dont sept enfants. Les rebelles kurdes nient toute implication.
– 27 juil 2008 – deux attentats à la bombe font 17 morts et 115 blessés à Istanbul (bilan provisoire). Le PKK est désigné par les autorités.
– 20 juil 2015 – un attentat à Suruç, près de la frontière syrienne, fait 33 morts et une centaine de blessés parmi de jeunes militants de la cause kurde. Il est attribué par les autorités au groupe Etat islamique (EI) mais déclenche un cycle de représailles de la guérilla kurde contre les forces de l’ordre turques, accusées de ne pas protéger la population locale.
Cette double déflagration a transformé l’esplanade en scène de guerre, avec de nombreux corps sans vie jonchant le sol au milieu de bannières «Travail, paix et démocratie», et provoqué la panique dans la foule. En début de soirée, le bilan s’est alourdit. Il atteint désormais 97 morts, affirme le parti pro-kurde HDP (Parti démocratique des peuples). Le ministre turc de la Santé, Mehmet Muezzinoglu, avait fait auparavant état de 86 morts et de 186 blessés, dont 28 en soins intensifs.
Deux kamikazes
Le double attentat a très probablement été commis par deux kamikazes, a déclaré le Premier ministre islamo-conservateur turc Ahmet Davutoglu. «Il existe de fortes preuves montrant que cette attaque a été perpétrée par deux kamikazes», a affirmé devant la presse M. Davutoglu, qui a annoncé avoir décrété trois jours de deuil national. «Cette attaque n’a pas seulement visé un groupe de gens qui venaient participer à un rassemblement ou une communauté politique, elle a visé notre peuple tout entier», a-t-il poursuivi, «alors que nous allions vers les élections (…) une telle attaque a directement visé notre démocratie, nos droits et nos libertés».
«Nous sommes confrontés à l’un des actes terroristes les plus douloureux de l’histoire de notre République», a continué M. Davutoglu, dénonçant ses auteurs comme des «ennemis de l’Humanité».
Interrogé sur d’éventuelles négligences dans le dispositif de sécurité de la manifestation, M. Davutoglu a promis que toutes les mesures avaient été prises, annonçant que la police avait récemment interpellé deux kamikazes à Istanbul et Ankara.
Erdogan promet «la réponse la plus forte»
Dans une déclaration, le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan a dénoncé une «attaque haineuse contre notre unité et la paix de notre pays» et promis «la réponse la plus forte» contre ses auteurs. Les autorités turques ont très rapidement évoqué l’hypothèse d’un attentat. «Nous soupçonnons qu’il existe un lien terroriste», a confirmé sous couvert de l’anonymat à l’AFP un responsable gouvernemental.
Ces explosions interviennent à trois semaines des élections législatives anticipées du 1er novembre, alors que les affrontements, meurtriers et quotidiens, font rage entre les forces de sécurité turques et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est à majorité kurde de la Turquie.
La chaîne d’information NTV a diffusé des images vidéo prises (voir ci-dessous) par un amateur montrant des groupes de militants chantant et dansant la main dans la main avant d’être précipités au sol par la violence de la déflagration. «On a entendu une grosse et une petite explosion et il y a eu un gros mouvement de panique, ensuite nous avons vu des corps qui jonchaient l’esplanade de la gare», a déclaré à l’AFP Ahmet Onen, un retraité de 52 ans qui quittait les lieux avec sa femme.
«Une manifestation destinée à promouvoir la paix a été transformée en massacre, je ne comprends pas», a-t-il ajouté. Après l’attentat, la police a été contrainte de tirer des coups de feu en l’air pour disperser des manifestants en colère qui protestaient contre la mort de leurs camarades aux cris de «policiers assassins», a constaté un journaliste de l’AFP.
Dans un climat de fortes tensions attisées par le conflit kurde et les échéances électorales, la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini a appelé samedi la Turquie à «rester unie» contre les «terroristes». Le président français François Hollande a condamné une «attaque terroriste odieuse», alors que son homologue russe Vladimir Poutine a adressé ses condoléances à M. Erdogan.
«Un Etat meurtrier qui s’est transformé en mafia»
Le principal parti prokurde de Turquie, qui appelait à la manifestation, a dénoncé un «terrible massacre» et mis en cause la responsabilité du gouvernement. «C’est une attaque barbare qui a été commise», a réagi le chef de file du Parti démocratique des peuples (HDP), Selahattin Demirtas, «nous sommes confrontés à un Etat meurtrier qui s’est transformé en mafia».
«C’est comme à Suruç», a commenté à l’AFP un témoin, Sahin Bulut, membre de l’Association des ingénieurs d’Istanbul venu de la principale ville de Turquie pour participer à la manifestation.Le 20 juillet dernier, un attentat suicide attribué au groupe jihadiste Etat islamique (EI) avait fait 32 morts parmi des militants de la cause prokurde dans la ville de Suruç, toute proche de la frontière syrienne.
Dans la foulée de cette attaque, les affrontements ont repris entre l’armée et la police turques et les rebelles du PKK, qui ont fait voler en éclat un fragile cessez-le-feu qui tenait depuis mars 2013. Plus de 150 policiers ou soldats ont été tués depuis dans des attentats attribués au PKK, alors que les autorités turques affirment avoir «éliminé» plus de 2.000 membres du groupe rebelle lors de leurs opérations de représailles.
Sans en faire mention, le PKK a annoncé samedi quelques heures après l’attentat d’Ankara la suspension de ses activités avant les élections. «Notre mouvement a décrété une période d’inactivité pour nos forces de guérilla, sauf si nos militants et nos forces de guérilla étaient attaqués», a indiqué l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), l’organisation qui chapeaute les mouvements rebelles kurdes, dans une déclaration sur son site internet. «Nous ne ferons rien qui peut empêcher une élection équitable», a ajouté le mouvement.
Lors du scrutin législatif du 7 juin dernier, le parti du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan a perdu la majorité absolue qu’il détenait depuis treize ans au Parlement, notamment en raison du bon score réalisé par le HDP. Après l’échec des négociations pour la formation d’un gouvernement de coalition, il a convoqué des élections anticipées pour le 1er novembre.
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