Paix en Syrie: Téhéran compte-t-il torpiller les efforts de Moscou?

Coup de théâtre : Téhéran s’est fermement opposé à l’invitation des Américains aux pourparlers de paix sur la Syrie qui se tiennent à Astana, récemment émise par Moscou. Un signe sans ambiguïté qui montre que l’Iran poursuivra son propre agenda régional, indépendamment de Moscou et d’Ankara.
Rebel fighters ride a pick-up truck on the outskirts of the northern Syrian town of al-Bab
L’implication des Etats-Unis dans les pourparlers d’Astana divise Moscou et Téhéran. Crédit : Reuters

La conférence de paix qui se tient depuis dimanche à Astana, au Kazakhstan, pourrait mettre fin à six ans de guerre civile en Syrie. Mais ses chances de succès semblent désormais fragiles.

Le président syrien Bachar el-Assad est pressé de négocier un cessez-le-feu et de trouver un accord avec l’opposition hostile à son gouvernement. Cependant, il est difficile de savoir si les « modérés » toléreront longtemps Assad. Parallèlement, forts de leur avantage, Assad et ses alliés iraniens pourraient être tentés de chercher une victoire militaire décisive.

Ces obstacles, en apparence insurmontables, font de l’initiative trilatérale organisée par l’Iran, la Turquie et la Russie une entreprise à haut risque.

Défier le « Grand Satan »

Afin de renforcer la légitimité du forum d’Astana et de faire un signe de bonne volonté envers le nouveau président américain Donald Trump, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a invité « des représentants des Nations unies et de la nouvelle administration américaine à cette rencontre ».

La « bombe surprise » iranienne a éclaté le 17 janvier, à moins d’une semaine du coup d’envoi des négociations à Astana. Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a affirmé à l’agence de presse Tasnim : « Nous n’avons pas invité les États-Unis et sommes opposés à leur présence ».

De fait, Téhéran a torpillé le geste par lequel Moscou entendait améliorer les relations avec la nouvelle administration américaine. Il est cependant peu probable que l’Iran ait cherché à contrecarrer délibérément les efforts de la Russie. Le pays a plutôt un problème avec Donald Trump en personne.

À plusieurs reprises pendant la campagne électorale, Trump a critiqué le Plan d’action conjoint, cet accord sur le programme nucléaire controversé de Téhéran signé par l’Iran et le groupe du P5+1 (les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, la Russie et la Chine). Trump a laissé entendre qu’il pourrait abandonner l’accord ou le renégocier pour obtenir un meilleur document.

Le président Hassan Rohani a récemment balayé l’idée selon laquelle l’accord nucléaire signé en juillet 2015 puisse être abandonné par les États-Unis de manière unilatérale, et a souligné que le Plan d’action conjoint était un accord multilatéral ne pouvant pas être rejeté par la mauvaise volonté d’un des signataires.

« L’Iran, nation fière et digne », rejette le manque de respect témoigné par les États et politiciens étrangers. Ceci est d’autant plus le cas en ce qui concerne les États-Unis, compte tenu de l’histoire tendue des relations entre les deux pays.

Car le passif est en effet très lourd : la CIA a orchestré le coup d’État de 1953 contre le premier ministre iranien Mohammad Mosaddegh, et les États-Unis ont aidé l’Irak dans sa guerre contre le gouvernement islamique iranien dans les années 1980. Ainsi, les ayatollahs décrient régulièrement les États-Unis comme le « Grand Satan ».

Les racines de l’anti-américanisme

La colère actuelle de Téhéran contre les États-Unis a trois causes principales. Premièrement, l’Iran rejette le soutien d’Obama à la guerre lancée par les monarchies sunnites du Golfe contre le régime alaouite syrien de Bachar el-Assad, car ce dernier partage la foi chiite commune avec l’Iran.

L’Occident et ses alliés sunnites exigent la destitution d’Assad, mais pour l’Iran, une telle éventualité n’est pas négociable. Le sort d’Assad divise cependant Téhéran et Moscou également. La Russie a clairement fait comprendre qu’elle n’était pas un soutien inconditionnel d’Assad et que sa carrière politique devait être décidée démocratiquement par le peuple syrien.

Deuxièmement, les évolutions éventuelles en Syrie ou en Irak sont perçues à Téhéran à travers le prisme du conflit entre les chiites et les sunnites, c’est-à-dire entre l’Iran et ses alliés, d’une part, et l’Arabie saoudite et ses partisans, d’autre part. Comme les États-Unis se rangent traditionnellement aux côtés des monarchies sunnites, l’Iran suit la règle « l’ami de mon ennemi n’est pas mon ami ».

Enfin, les technocrates de Téhéran doivent prouver leur anti-américanisme pour les besoins de la politique intérieure. Depuis la mort de l’ayatollah Ali Akbar Hachemi Rafsanjani, la querelle s’est intensifiée au sein de l’élite au pouvoir entre les fondamentalistes religieux et les supposés-réformistes.

Espoirs de paix

Cette nouvelle dispute entre Téhéran et Washington pourrait toutefois nuire aux intérêts de l’Iran, et la République islamique pourrait donc être contrainte de revoir sa position. Pourquoi ?

En s’opposant à la présence de la délégation américaine aux pourparlers de paix, Téhéran pousse les États-Unis à se tourner de nouveau vers cet allié plutôt peu fiable qu’est l’Arabie saoudite, le grand rival de l’Iran. Et ce alors que les deux pays recherchent la suprématie absolue dans la région.

Toute solution durable à la guerre civile syrienne nécessite l’approbation, ou du moins une certaine prise de distance, des acteurs globaux tels que les États-Unis. De plus, il est fort probable que Donald Trump fasse volontairement monter les enchères vis-à-vis de la Chine et de l’Iran.

Homme d’affaires avisé, Trump pourrait être en train d’appliquer les techniques éprouvées utilisées avant les négociations difficiles : faire monter les enchères ; afficher une attitude agressive et fixer des conditions préalables paraissant inacceptables et qui, une fois repoussées, pourraient être abandonnées.

Il existe également le soupçon tenace selon lequel l’équipe de Rohani, réputée flexible lorsque toutes les options sont épuisées, imite le style agressif du nouveau président américain.

Dans ce contexte, les pourparlers d’Astana constitueraient un premier pas dans la bonne direction. 

fr.rbth.com

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Guerre et trêve: la situation en Syrie à l’heure des négociations d’Astana

21 janvier 2017 OLEG EGOROV
Le gouvernement et l’opposition syriens se préparent à la rencontre d’Astana prévue le 23 janvier, mais les différends entre la Russie, la Turquie et l’Iran font douter du succès de ces négociations. Et pendant que la Russie et la Turquie portent des frappes contre Daech dans le nord de ce pays proche-oriental, les terroristes s’emparent du bastion du gouvernement dans l’est et continuent de détruire Palmyre.
Rebel fighters ride a military vehicle, as they advance towards the northern Syrian town of al-Bab
Combattants d’opposition. Crédit : Reuters

Astana, la capitale du Kazakhstan, accueillera le 23 janvier des pourparlers entre le gouvernement syrien et l’opposition armée, les premières depuis le printemps 2016. Cette rencontre a été organisée avec la médiation de la Russie et de deux puissances régionales directement impliquées dans la guerre syrienne, la Turquie et l’Iran. À la veille des négociations, un cessez-le-feu (dont sont exclus les terroristes) a été annoncé à partir du 30 décembre entre le gouvernement et l’opposition.

Outre le gouvernement, l’opposition et trois pays médiateurs, le dialogue aura un autre participant, les Nations unies. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a confirmé le 19 janvier que les États-Unisétaient également invités, bien que l’Iran se fût précédemment élevé contre.

Les négociations seront difficiles

Tout comme la Russie, l’Iran soutient dans le conflit syrien le président en exercice Bachar el-Assad, mais occupe une position plus intransigeante. Ainsi, le président iranien Hassan Rohani accuse les États-Unis et l’Arabie saoudite de « soutenir les terroristes » et s’oppose résolument à la participation de Washington à la rencontre. L’Iran critique également l’un des membres du trio médiateur, la Turquie, qui, selon lui, a illégalement introduit ses troupes en Syrie.

La Russie ne possède pas de sérieux leviers pour exercer une pression sur Téhéran, estime l’orientaliste Alexeï Malachenko, expert au Centre Carnegie de Moscou. « L’Iran prétend au leadership dans cette région stratégiquement importante et n’a pas l’intention de le céder à qui que ce soit, y compris la Russie  », a-t-il fait remarquer au journal russe Kommersant.

L’arabisant Leonid Issaïev, enseignant à la chaire de politologie de la Haute école d’économie, indique que les médiateurs doivent faire participer aux négociations le plus grand nombre possible de délégués s’ils veulent obtenir le succès. « Comment résorber le conflit syrien sans les Kurdes ? Sans les Américains ? Sans les pays du Golfe ? », se demande-t-il.

« En cas de présence uniquement du régime, de l’opposition et du trio Russie-Turquie-Iran, il sera impossible de résoudre le problème », a-t-il affirmé. À l’heure actuelle, la Russie a déjà du mal à retenir la Turquie et l’Iran d’un conflit entre eux, a-t-il rappelé. Dans ce contexte, il n’est pas évident que les négociations d’Astana puissent permettre d’enregistrer une percée.

Alliance russo-turque

Sur le fond de désaccords avec l’Iran, la Turquie coopère de plus en plus étroitement avec la Russie. L’aviation russe et turque a porté le 18 janvier des frappes communes contre les terroristes de Daech dans le secteur d’Al-Bab (nord). C’est la première opération militaire commune des deux pays dans la guerre en Syrie.

Crédit : Slava PetrakinaCrédit : Slava Petrakina

« Al-Bab constitue un sérieux problème, les Turcs tentent de prendre la ville d’assaut depuis plus d’un mois. Les forces leur manquent et l’aide de l’aviation russe est la bienvenue », constate l’expert de la politique turque Viktor Nadeïne-Raïevski, de l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales. Selon lui, l’alliance de la Russie et de la Turquie permettra de déloger Daech de la région et prouvera que les deux pays ont trouvé une compréhension commune sur le dossier syrien.

Daech ne capitule pas

Daech est attaqué aujourd’hui de toutes parts : la Russie et la Turquie frappent contre Al-Bab sur l’axe nord, les troupes irakiennes soutenues par la coalition occidentale menée par les États-Unis évincent progressivement les terroristes de leur « capitale » irakienne, Mossoul. Leonid Issaïev estime que Bachar el-Assad se joindra vraisemblablement à la guerre contre les terroristes en transférant une partie des troupes depuis Alep (libérée par le gouvernement en décembre dernier) vers Palmyre.

«  La Russie soutiendra probablement une nouvelle attaque contre Palmyre par des frappes aériennes, a-t-il poursuivi. C’est une question de prestige : la perte de la ville en décembre dernier fut un grand échec ». Les terroristes qui se sont emparés du site historique pour la deuxième fois au cours de la guerre syrienne continuent de le dévaster. Selon les médias, ils ont détruiten partie le célèbre Tétrapyle, un monument de 16 colonnes, et endommagé l’amphithéâtre où la Russie avait organisé en mai 2016 un concert consacré à la libération de la ville.

Parallèlement, les extrémistes ont lancé une nouvelle offensive contre la ville de Deir ez-Zor, la dernière enclave contrôlée par le gouvernement dans l’est du pays. D’après les médias arabes, les islamistes progressent en reprenant au gouvernement région après région.

L’activité intense de Daech prouve qu’il se trouve dans une situation difficile. « Le groupe essuie de nombreux revers militaires et perd des territoires. Il lui est important de s’emparer de Deir ez-Zor pour assurer la sécurité des arrières et pouvoir « se ramasser » sans étirer la ligne de front », a expliqué l’expert à RBTH.

fr.rbth.com/international

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