«Pour lutter contre la radicalisation islamiste, il faut un État-nation souverain»

FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour le philosophe Shmuel Trigano, la France doit construire un «islam français» comme l’avait fait l’État napoléonien avec le christianisme et le judaïsme. Mais elle ne peut le faire qu’à l’intérieur d’un État souverain, argumente-t-il.

Par Shmuel Trigano

Professeur émérite des Universités, Shmuel Trigano est philosophe et sociologue, spécialiste de la tradition hébraïque et du judaïsme contemporain.

Le discours d’Emmanuel Macron lors de la cérémonie dédiée aux victimes du massacre de la Préfecture restera comme l’exemple même de la défaite de l’État.

La fureur contenue avec laquelle le président l’a prononcé n’a fait qu’alourdir l’aveu de l’incapacité de l’État à lutter contre «l’hydre islamique» et jeter le doute sur l’appel à la vigilance lancée à la une, à tout un chacun.

En somme la société civile des individus est appelée à prendre le relais de l’impéritie de l’État dans sa fonction régalienne de maintien de l’ordre.

Par ailleurs, la définition de l’ennemi sous les traits de «l’hydre islamiste», c’est-à-dire d’une figure mythique qui appartient au discours antisémite du XIX° siècle, majore encore plus l’incapacité de le définir clairement et d’identifier la menace objectivement.

Quant à la vigilance et à son exercice, elle fait appel aux individus sans les doter d’un critère d’évaluation de l’instant où une croyance religieuse devient une menace pour l’ordre public, de sorte que la vigilance peut tomber dans la délation ou la dénonciation, ce qui augure de graves problèmes au quotidien. Les individus comme les religions ne peuvent remplacer l’État pour assurer à sa place des missions régaliennes.

Le problème est double: il concerne l’islam comme l’État.

Commençons par l’idée ressassée de «radicalisation», autour de laquelle tout le monde ergote. C’est encore un mot-valise, tout comme «islamisme», «salafisme», auquel on recourt pour ne pas nommer tout court l’islam.

Or c’est là qu’est le problème, que dévoilent bien les termes de «radicalisation» et d’«islamisme». Ils désignent un degré élevé d’islam (retourner aux «racines»), un passage à l’acte («isme») de l’islam, ce qui implique que le fond du problème est dans la religion musulmane qui rend possible, sans frein théologique, ces passages à l’acte.

Comment peut-on émettre un tel jugement dans l’ordre des valeurs? C’est uniquement à l’aune de la nation et de l’État qu’il peut être prononcé car seul ce prisme clarifie les enjeux, autant au regard de l’histoire que de la réalité.

Si, en terres islamiques, le problème de l’islam politique fait corps avec ces sociétés – et c’est leur problème -, en France, ce passage à l’acte et la théorie qui le fonde sont inadmissibles, à l’aune de la prééminence régalienne de l’État et de l’identité de la nation française.

Or, ce critère est impossible à penser pour un chef de l’État européiste, partisan du moins d’État, qui se repent des «crimes» de la colonisation et refuse l’existence d’une culture française.

La fureur contenue dont il a donné le spectacle dans son discours n’ouvre sur rien sinon la pagaille sociale. Nous faisons là une expérience in vivo de l’impact de l’Europe, du recul de la nation et de l’État sur la possibilité d’une gestion adaptée de la situation.

Souvenons-nous du processus qui a été suivi par l’État napoléonien pour les religions existantes dans le pays, catholicisme, protestantisme et judaïsme, en fonction d’une procédure comminatoire qui obligea, par exemple, les membres du Grand Sanhédrin (qui ressuscitait une assemblée juive de l’antiquité, créée en 1806 et convoquée l’année suivante par Napoléon) à donner des réponses sans ambiguïté à une série de questions délicates portant sur le rapport à la nation et à l’État de l’autorité religieuse.

Le Concordat avec la papauté reconnut la prééminence de l’État sur l’Église en France. L’islam était alors absent.

Ce que l’empereur des Français, Napoléon, et l’État impérial pouvaient se permettre, l’État macronien ne le peut pas. Trop de complaisance, trop de démissions ont depuis longtemps créé un climat paralysant pour une telle démarche. Elle nécessiterait pour être mise en œuvre la résurrection d’une souveraineté portée disparue depuis la montée en Europe d’une idéologie des droits de l’homme, devenue une machine de guerre contre les droits du citoyen.

C’est pourquoi l’islam, en tant que religion cette fois-ci, ne trouve pas sa place dans un concert national devenu, du fait de l’appartenance à l’UE, une cacophonie.

Il faut en effet comprendre que c’est sur une base nationale et politique que les religions se sont vues reconnaître un statut par l’État et que la laïcité, la séparation des Églises et de l’État, s’est construite un siècle plus tard: après la nationalisation des groupes religieux en question, leur renonciation à leur dimension collective et communautaire, politique en un mot.

Le statut auquel les musulmans aspirent à accéder aujourd’hui n’est, au regard de ce modèle, pas possible sans passer par la case «réforme», que consacra jadis un moment solennel comme le Grand Sanhédrin ou le Concordat avec la papauté. Lire la suite

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Élie de Paris

Finalement, la seule responsabilité repose sur les gouvernements (laïcs) qui tolère… L’intolérance.