Qui sont les néoconservateurs? Au sujet de l’ouvrage de Juliette Grange (Univers poche, Agora)

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Voici un ouvrage bien écrit, parfois dans un style un peu lâche, journalistique, mais qui ‘en est pas moins très instructif et qui ne laisse pas d’intriguer des lecteurs qui ne sont pas des spécialistes de philosophie politique.

En suivant pas à pas les développements de l’auteur, on découvre des relations, des connexions et des influences qu’on était bien loin d’imaginer. Il ne faut pas s’attendre à apprendre bien des choses sur les néoconservateurs Us qui entouraient jadis Georges Walker Bush. On aura bien plus à faire à leurs excroissances dans l’Hexagone.

Cela m’a donné un certain nombre d’idées issues de l’univers de mes recherches philosophiques pures. Par exemple, le mode de comportement des savants, des élites, dans les sociétés dont le rythme de développement de la population est obligatoirement plus lent que le leur, celui des élites.

Ce qui fait des penseurs, des savants et des philosophes un catégorie sociale, isolée du reste : la division des groupes sociaux en une masse d’incultes ou de demi-savants et une fine couche d’élites bien formées, bien éduquées et seules aptes à diriger la cité ou le pays. On trouve ce même schéma dans l’œuvre maïmonidienne en général, notamment dans le Guide des égarés, véritable testament philosophique de l’auteur.

Ce grand philosophe juif du Moyen-Age interdit expressément à ses lecteurs d’en divulguer le contenu à des hommes dépourvus de culture philosophique, au motif que cela pourrait nuire à leur foi… sans même augmenter leurs faibles capacités d’assimilation…

On pense aussi, dès les premières pages de cet ouvrage de Madame Grange, au livre de Léo Strauss, grand spécialiste de Maïmonide et de Spinoza, si proche du libéralisme, Persécution et l’art d’écrire (Glencoe, 1951).

En pénétrant plus avant dans ces différents ouvrages, on réalise que les sociétés humaines sont soumises à des groupes d’influence, à des lobbies qui distillent leurs idéologies respectives de manière assez sournoise, au point que les personnes touchées ou visées n’en sont pas toujours conscientes.

L’auteur cite des cas où des idées dues parfois à d’obscurs fonctionnaires ou à des personnalités que rien ne promet à un tel rayonnement, accèdent à une célébrité mondiale. Ce fut le cas de Fr. Fukuyama et de son slogan sur la fin de l’Histoire.

Partis des USA, la vague a atteint les rivages de l’Europe puisque même un grand quotidien du soir ne s’est pas privé du plaisir de le publier, le mettant à la portée de centaines de milliers de lecteurs qui, autrement, n’en auraient jamais entendu parler. L’auteur de cet ouvrage montre que les néoconservateurs parviennent à imposer leurs idées et même leur vocabulaire, leurs termes techniques aux autres.

La victoire commence d’abord dans le domaine de la lexie, de la terminologie, un peu comme une armée en campagne acquiert la supériorité aérienne…

Qui sont ces personnes ou ces institutions, voire ces entités (pour reprendre un terme à la mode depuis peu de temps) qui s’organisentdiscrètement, agissent, sans jamais apparaître au grand jour, et font basculer l’opinion publique d’un pays ou de tout un continent, dans un sens ou dans un autre ?

L’auteur donne quelques éléments de réponse qui ne laissent pas d’inquiéter car elle met au jour des connexions entre des universités, des instituts de recherches, les fameux think tanks, les fondations US qui déversent des millions de dollars dans des chapelles idéologiques qui vont promouvoir leurs idées sur la vie des nations : sommes nous pour ou contre l’avortement, la peine de mort, l’aide aux indigents, le financement de l’éducation et de la culture par l’Etat, la propagation de l’action culturelle, le développement des religions, ou, au contraire, leur confinement dans la vie privée des citoyens etc… ? Que faut-il faire ?

Doit-on promouvoir une laïcité à tous crins, l’ériger en valeur absolue ou, au contraire, œuvrer en faveur d’une coexistence harmonieuse, une sorte de complémentarité entre le politique et le religieux, masquant de telles idées derrière une terminologie empruntée à une lexie de chercheurs afin de mieux dissimuler le fond de leur pensée ?

De nombreuses institutions inspirées par ces fameux néoconservateurs plaident inlassablement en faveur d’une complémentarité entre la foi et la raison, la tradition et la science. Leur but est de promouvoir cette tradition religieuse au rang de source de connaissance. La même légitimité devrait revenir selon eux tant aux sciences dites dures qu’à l’enseignement moral et à l’éthique en général.

Ainsi, selon l’auteur, quand on parle de la culture européenne, on ferait surtout allusion à ses racines judéo-chrétiennes, voire même exclusivement au catholicisme ; je souligne que ceci ne me paraît pas scandaleux ni infondé. Quand on parle de civilisation, ce serait un renvoi subliminal à la mission civilisatrice de l’Europe chrétienne. Et ainsi de suite. En fait, tous ces cercles qui ont investi largement la Toile et s’y expriment sans retenue aucune mènent une guerre contre leurs ennemis idéologiques.

Les maisons d’édition ne sont pas oubliées dans ce vaste mouvement d’acquisition idéologique des populations : l’auteur parle même d’une cathosphère et cite un grand éditeur, à l’œuvre dans une maison d’éditions aux mains de l’ordre des Dominicains et qui m’a moi-même publié plus d’une fois… il y a deux décennies.

Il est vrai que certaines causes, parfaitement oubliées et souffrant de la plus grande indifférence, prennent soudain leur envol et occupent les salles de rédactions et les plateaux de télévision. Exemple parfait : le sort peu enviable des Chrétiens d’Orient, adeptes d’une grande religion qui fit ses premiers pas dans un secteur d’où de nouveaux venus entendent les bannir.

Je dois bien reconnaître que l’auteur se laisse parfois emporter… Moins discutables et plus pertinentes sont les analyses sur le mode de pénétration de telles idées des néoconservateurs sur le développement de nos sociétés.

Par exemple, le mode de diffusion de telle ou telle idée (l’intolérance, l’exclusivisme religieux, les massacres d’autres croyants), sur telle ou telle religion qui représente désormais une menace pour les sociétés qui ont commis l’erreur de s’ouvrir à leur influence dévastatrice : le meilleur exemple en est le recours au terme communautarisme dont on sait fort bien à qui et à quoi il revoie : il ne s’agit pas de Danois ni de Finlandais mais d’un groupe bien défini et que nul ne peut confondre avec une autre ethnie…

Même chose pour ce terme étrange de radicalisation ou radicalisé dont on se demande encore comment il a émergé. Fanatisme et fanatisé eussent été meilleurs mais étrangement c’est le premier terme qui l’a emporté. et a fini par s’imposer à tous…

L’auteur montre comment de telles chapelles ou organisations ne sont jamais organisées comme des structures partisanes ayant pignon sur rue ; dans l’écrasante majorité des cas il suffit d’une poignée de personnes installées à des postes-clés dans les universités, la presse, l’édition, et les organismes de recherches, des fondations, des think tanks qui vous assurent grâce à des financements généreux,l’acquisition d’une supériorité intellectuelle… Ce que Marx appelait l’idéologie dominante.

Ce qui signifie que des millions de gens reprennent, à leur insu parfois, des idées, des formules dont ils ne savent presque rien, quant à leur origine première, ignorant à quoi elles renvoient au juste… Prenons l’exemple frappant de ce qu’on nomme (Dessein intelligent)l’intelligent design, ou sur un tout autre plan, la gnose de Princeton…

La première expression plaide en faveur de la thèse créationniste mais enveloppée dans des atours difficiles à élucider par le commun des mortels, la seconde expression, titre d’un livre devenu célèbre, pourrait s’intituler : Des savants à la recherche d’une religion… Le débat tourne autour de l’origine de l’esprit. Toute réflexion scientifique aboutit –elle inéluctablement au matérialisme ? On le voit, le champ balayé par ces néo-conservateurs est immense.

D’où la difficulté qu’il y a à définir conceptuellement les néoconservateurs et le néo-conservatisme. Etre un néoconservateur n’est pas l’équivalent d’être conservateur. De même qu’être un néo-orthodoxe ne veut pas dire la même chose qu’être orthodoxe.L’auteur a même recours au titre suivant d’un paragraphe : du néoconservateur au théo-conservateur

En effet, la place de la pensée religieuse dans nos sociétés contemporaines est vivement discutée depuis quelques années, car des courants de pensée qui ne sont plus du tout groupusculaires, ont  dominé les débats au cours des dernières élections françaises mais aussi américaines, un pays où la  religion, comme en Allemagne, est considérée comme une authentique matière académique, à l’égale de toutes les autres.

Evidemment, il ne s’agit pas ici de la science des religions comparées ni de la critique rationnelle des traditions religieuses mais d’une re-légitimation in petto du message religieux qui a tendance à refouler l’influence des idées héritées du siècle des Lumières.

Lisez aussi attentivement le chapitre consacré à l’étude des sources des groupuscules d’extrême droite depuis un siècle et demi. On y trouve une curieuse sédimentation d’idées de provenances diverses, originaires de la gauche mais bien reprises par la droite extrême…

Je ne me propose pas, dans cette recension, déjà bien longue, de réécrire ce bon livre qui fourmille d’aperçus judicieux, en dépit d’un ton assez souvent piquant, pour ne pas dire polémique. Je trouve qu’il expose bien le défi lancé par une certaine école de pensée qui cherche à réorienter entièrement l’évolution morale et intellectuelle de notre culture.

Il est indéniable qu’une certaine forme de pensée tend à présenter la modernité comme une entité athée et matérialiste. Cela me fait penser à certains aspects de la querelle autour du panthéisme à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle en Allemagne : Friedrich Heinrich Jacobi avec sa fameuse théorie du salto mortale avait soutenu que toute philosophie rationaliste (donc la nôtre, celle imprégnée par les Lumières) aboutissait immanquablement au panthéisme de Spinoza et partant, à l’athéisme et, pour finir, au matérialisme…

L’auteur analyse de manière très fouillée ce phénomène dont j’ignorais à peu près tout. Mais elle exagère un peu parfois, surtout quand elle dit que les néoconservateurs veulent éradiquer notre république et repenser dans un tout autre esprit les valeurs qui nous guident depuis plusieurs siècles. Mais laissons lui tout de même le dernier mot :

Les néoconservateurs ne font donc pas retour à la tradition ou au passé, ce ne sont pas des réactionnaires au sens usuel mais des révolutionnaires d’un nouveau genre. Ils ne sont pas non plus conservateurs ou  traditionalistes : ils ne défendent pas la continuité ou la coutume. Nouvelles technologies et productivité, sciences et techniques sont revendiquées et développées. Il s’agit pourtant de revenir sur «la sortie de la religion», sur la modernité comme fin de l a«dépendance métaphysique» de la vie politique à l’égard d’une loi naturelle ou d’un absolu extérieur. (p 295). 

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

Le nouveau cycle de conférences, Aux racines de la culture européennese penche sur l’humus spirituel et les valeurs premières qui gisent au fondement de ce continent. Mais l’Europe n’est pas seulement un continent, c’est aussi et surtout une culture, axée autour de courants spirituels et d’écoles philosophiques, qui passent à juste Titre pour sa constitution théologico-politique ou éthique.

Les réflexions qui seront exposées dans la salle des mariages de la Mairie de notre arrondissement couvrent la critique biblique, la littérature éthique, la philosophie médiévale sous son triple aspect, gréco-arabe, chrétienne et juive au miroir des pères spirituels de l’Europe : Thomas d’Aquin, Maimonide, Averroès et Maître Eckhart.

Salle des Mariages Mairie du 16e Arrondissement – 71, avenue Henri Martin- 75016 Paris

Jeudi 11 janvier -19h
Hannah Arendt, égérie de Martin Heidegger?

Jeudi 8 février – 19h
Le Moïse de Sigmung Freud, selon Y. Yerushalmi

Jeudi 15 mars – 19h
Franz Rosenzweig, la philosophie et la Révélation: le problème de la Vérité

Jeudi 5 avril – 19h
Emmanuel Levinas et Moïse Mainonide

Jeudi 17 mai – 19h
L’historien Marc Bloch et Simone Veil face au Kaddish

Jeudi 7 juin – 19h
La langue judéo-arabe: plaidoyer pour une culture (presque) oubliée

 

   

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