Pierre Haudebert, Jean-Baptiste. Le Cerf, 2021.

Voici un petit ouvrage, bien documenté sur l’une des personnalités les plus complexes et les plus énigmatiques de la tradition évangélique. Mais qui n’en a pas moins joué un rôle essentiel dans la constitution de la foi chrétienne, au point que l’on a pu parler de rivalité entre lui et Jésus en personne.

En effet, les passages des Évangiles (Marc, Luc, etc…) qui le mentionnent aux côtés ou en face de Jésus, optent pour un parallélisme dont cette littérature religieuse est coutumière. Des fois, on le place avant Jésus lui-même et d’autres fois immédiatement après lui. C’est progressivement qu’une hiérarchie claire s’est dessinée pour octroyer la toute première place à Jésus et la seconde à Jean-Baptiste

Pourquoi ce nom et cette qualité de baptiste dont l’intitulé hébraïque se dit Yohanan ha-tovel… Yohanan qui a donné Johannes en latin et en Allemand, pour devenir Jean en Français, connote l’idée de Grâce. Dieu gratifie quelqu’un d’une qualité spécifique, il le distingue d’une grâce particulière. Le terme Tovel qui a donné aussi tevila veut dire ablution, immersion, lavage des mains et aussi, par voie de conséquence, purification. L’expression Jean-Baptiste signifie l’homme qui vous immerge dans les eaux du Jourdain pour vous purifier, vous laver de toutes les souillures, ce qui vous accordera par la suite la rémission de vos péchés.

On relate dans les Évangiles que ce Jean a baptisé Jésus dans les eaux du Jourdain, car le terme laver doit être pris dans le sens du baptême. Jean aspergeait les candidats à la conversion des eaux du baptême Mais la nécessité se fit sentir de lui accorder une place moins éminente que celle de Jésus. Ce qui fit dire à certains passages que Jean baptisait dans les eaux et Jésus dans la Grâce de Dieu et le Saint Esprit. De même, Jean était réputé être fils de prophète et Jésus fils du Très-Haut…

On ne pouvait pas être plus clair. Quand on compare la présentation de leurs biographies respectives, on s’aperçoit que la prévalence est de plus en plus accordée à Jésus plus qu’à Jean. Et ce traitement ne laisse pas d’être étonnant : alors que Jésus était d’extraction plutôt modeste voila qu’il prenait rang devant le fils d’une famille sacerdotale, attachée au Temple de Jérusalem… la même surprise nous attend dans la présentation des parents de l’un et de l’autre : les parents de Jean, Zacharie et Élisabeth, ne bénéficient pas d’une présentation étincelante ni du même nombre de versets que la famille de Jésus. Je pense que cela fait partie d’une stratégie visant à asseoir Jésus dans le trône de fils de l’Éternel.

On trouve dans les Antiquités Judaïques de Flavius Josèphe quelques lignes sur notre homme qui commençait à éveiller la curiosité de ses contemporains. Était-il le Sauveur, le Messie tant attendu ? Était il un prophète appelé à ramener son peuple dans le chemin de la rectitude ? Était il chargé d’une mission particulière ? Pourquoi se démenait il tant pour convertir à la justice et au bien tous ses disciples ? Jean-Baptiste pressait son peuple à se faire pardonner ses fautes car la venue du royaume des cieux (malkhouta de-shemaya) était imminente et seuls seront sauvés ceux qui se seront amendés.

Tout le monde connaît la fin tragique du Baptiste dont la tête fut réclamée par Salomé au fils de Hérode le Grand, Hérode Antipas. Jean a appelé au repentir, à la vertu et au retour à Dieu, ce qui constitue l’essence de la conversion à laquelle tout un chacun est convié. Il ne s’agit pas de se convertir à une autre religion, tous, y compris Jésus et Jean étaient Juifs et entendaient le rester. Cet appel à la conversion est une conversion au bien, à la vertu, à l’amour du prochain. Rien d’autre. Tel est le message prophétique de Jean qui marche en cela dans les brisées des prédicateurs qui l’ont précédé. Mais Jean baptiste est considéré comme un précurseur, un être qui prépare les voies pour celui qu’il n’égalera jamais, dont il n’est pas assez digne, même pour défaire les lacets de ses sandales…

Faut-il aussi voir en Jean une sorte de résurrection du prophète Elie dont les imprécations contre ses contemporains sont bien connues ? On se souvient aussi de sa lutte contre les hérésies de la reine Jézabel, désireuse d’imposer sa propre religion ainsi que les prophètes du Baal. On connait la suite sur le Mont Carmel …

On s’ était même demandé si Elie n’était pas, d’une certaine façon, la réincarnation de Jean-Baptiste qui avait été décapité sur les ordre de Hérode Antipas et de son père…

Comme le remarque à juste titre l’auteur de cet excellent ouvrage, les Évangiles synoptiques dressent toujours des parallèles entre Jean et Jésus, même si leurs itinéraires respectifs ne sont pas les mêmes : Jean fait sa première expérience à Jérusalem même ; dans le temple, avant de se retirer dans le désert, alors que Jésus, lui, finit sa course à Jérusalem… Les deux personnages constituent une sorte de couple théologique, l’un témoignant en faveur de l’autre. Au fond, on se défend mal de l’impression qu’il y eut durant une assez longue période un certain flottement ; C’est, comme je le notais plus haut, graduellement, que la hiérarchie en faveur de Jésus a fini par s’imposer à tous. Mais Jean-Baptiste est demeuré l’incontournable prédécesseur de Jésus, le préparateur des voies.

Que savons nous sur la mort tragique du Baptiste ? Les témoignages des Évangiles d’une part (Marc, Matthieu), et celui de Flavius Josèphe, d’autre part, se rejoignent dans les grandes lignes. Hérode fait droit à la demande criminelle de sa nouvelle épouse qui oriente le choix de sa fille mais Flavius nous dit qu’il était inquiet de la notoriété grandissante d’un prédicateur ombrageux, n’écoutant que lui-même. Flavius Josèphe ajoute que l’imprécateur était un homme de bien. Ces deux sources concordent plutôt bien sur le déroulement de ces événements tragiques.

Jean-Baptiste n’a donc pas entièrement disparu dans l’Histoire antique du judaïsme et du christianisme primitif. Son personnage est inséparable de celui de Jésus qui a fini par s’imposer et transcender tous ses compagnons, ses disciples et ses proches.

Maurice-Ruben HAYOUN

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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Marco 22

Ah, Jean le Baptiste, celui dont les Ecritures disent: « Voici, je vous enverrai Elie le prophète, avant que le jour de l’Eternel arrive, ce grand jour et redoutable. Il ramènera le coeur des pères à leurs enfants, et le coeur des enfants à leur pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d’interdit. » Malachie 4.5-6

Et: « C’est ici la voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers ». Esaïe 40.3

Un homme qui avait un coeur pour Dieu, un homme sans complaisance!