«Mustang»: derrière le film, la réalité des mariages forcés

Au lendemain de la Journée internationale du droit des femmes était diffusé le film «Mustang» dans un auditorium du XIIe arrondissement de Paris. Dans la salle: des femmes victimes de violences conjugales. Et à la tribune: des responsables associatives qui luttent notamment contre les mariages forcés.

(Photo tirée du film «Mustang»)

La jeune femme réfléchit une ou deux secondes. « Mettez Xena, Xena la guerrière »,répond-elle, se choisissant ainsi pour pseudonyme le nom d’une série américaine des années 90 contant les aventures d’une princesse courageuse. « J’ai craqué », confie-t-elle dans le froid parisien du boulevard Daumesnil. Avec d’autres femmes âgées de 20 à 25 ans, Xena vient de voir Mustang, un film de 2015 projeté lundi soir, veille de la Journée internationale du droit des femmes, à l’auditorium du conservatoire municipal Paul-Dukas, à l’initiative de la mairie du XIIe arrondissement de Paris. Réalisé par la Turque Deniz Gamze Ergüven, Mustang, quatre fois césarisé fin février et qui représentait la France aux Oscars, est un drame dont le thème est le mariage forcé et dont l’action se déroule dans une Turquie montagneuse et maritime, à « 1 000 kilomètres » d’Istanbul.

Xena réside dans un foyer en région parisienne, géré par l’association FIT (Une femme, un toit) qui héberge une soixantaine de jeunes personnes fuyant les coups de leur conjoint. Avant d’arriver là, elle a épousé un Maghrébin, en situation irrégulière. Un mariage mixte, Xena est française « de souche ». « C’était pas forcé, mais c’est après que ça s’est mal passé, raconte-t-elle. D’abord de la violence verbale, ensuite de la violence physique, pendant un an, ça a été le calvaire. » Elle a intégré le FIT par l’intermédiaire de l’Association nationale de réadaptation sociale (ANRS). Son ex-compagnon essaye encore d’entrer en contact avec elle , sait où elle se trouve. Il est apparemment inexpulsable. « Dans son pays d’origine, il serait déclaré fou, explique Xena. J’ai le soutien de sa famille, qui a honte de lui. » Toutes les semaines, dans son foyer, la jeune femme voit une éducatrice, « pour qu’on puisse partir un jour ».

Se reconstruire, regagner confiance en soi, apprendre un métier quand on en a moralement la force, tel est son programme et celui de toutes celles qui l’accompagnaient hier soir à la projection de Mustang, la plupart françaises d’origine sub-saharienne. Contrairement à Xena, elles n’ont pas souhaité « témoigner » sitôt après le visionnage du film, qu’elles découvraient. Sur le chemin du retour nocturne au foyer, l’une disait toutefois se former à la profession d’« éducatrice » avant de prendre congé d’un « au revoir Monsieur » chaleureux.

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60 000 à 70 000 mariages forcés en France ?

Quelques minutes plus tôt, une fois le film terminé et les lumières rallumées, l’auditoire avait droit à une succession de chiffres, établis notamment à partir d’enquêtes de victimation, qui disent cette réalité que ces femmes ne trouvent pas toujours la force de « partager » : 86 000 femmes violées chaque année (80% d’entre elles l’étant dans leur environnement immédiat), 217 000 femmes victimes de violences conjugales, 123 tuées en 2015, 17 depuis le début de 2016, dont 7 qui avaient entre 18 et 25 ans. Quant aux mariages forcés ou arrangés, leur nombre concernant des Françaises se situe entre 60 et 70 000, indique Nana Camara, formatrice et conseillère technique du GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles). « Beaucoup de communautés sont touchées par ces unions contraintes ou arrangées », précise-t-elle.

Si le mariage arrangé peut se révéler heureux comme malheureux, l’union forcée est par définition tragique. Elle a lieu généralement au « bled ». Française originaire du Mali, excisée alors qu’elle n’avait que trois mois, comme elle l’avait confié en 2013 à L’Express, Nana Camara se veut parfaitement claire dans ses propos : « Une femme née en France, de nationalité française, âgée de 18 ans ou plus, n’est ni française, ni majeure dans le pays d’origine des parents, en particulier au Maghreb, qui ne reconnaît pas le droit du sol, affirme-t-elle. C’est le père, l’oncle, voire le petit frère de la future mariée qui a autorité sur elle. »

Cela fait quinze ans que Nana Camara s’en va chercher « sur le terrain » des jeunes filles promises à des hommes dont elles ne veulent pas. « J’ai pu en ramener dix-sept, dit-elle sous les applaudissements de la salle. J’ai fait trois mois de prison en Mauritanie où l’on m’avait accusée d’enlèvement. Attention, je ne veux pas qu’on m’applaudisse parce que j’aurais enlevé quelqu’un. » Nana Camara sourit, l’assistance aussi.

On met le public dans la confidence de quelques « combines » auxquelles des jeunes femmes ont recours pour attirer l’attention de la PAF, la Police de l’air et des frontières, et éviter ainsi d’embarquer vers un mariage forcé. « Ne les écrivez pas », demande Marie Cervetti, la directrice du FIT. Ce n’est certainement pas trahir un secret que de répéter ici qu’un simple clin d’œil à l’agent de police peut vous sauver d’un voyage non désiré.

Dans cette soirée Mustang, on aura par moments pensé très fort à la chronique de Kamel Daoud sur la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, à la justesse de son intuition. Ce n’est pas pour autant qu’on aura nourri, pas plus que Daoud, d’ailleurs, des sentiments racistes ou xénophobes. Ce serait même tout l’inverse.

Reportage

Antoine Menusier
est journaliste.

Publié le 08 mars 2016 à : / Société

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