L’étrange disparition en mer d’un célèbre chirurgien new-yorkais

La disparition du Dr Marvin Moy survient neuf mois après son inculpation devant le tribunal fédéral de Manhattan pour complicité dans une fraude aux soins de santé s’élevant à 100 millions de dollars. Facebook/Marvin Moy M.D.

ENQUÊTE – À l’instar du Dr Godard, le médecin Marvin Moy, perclus de dettes, a largué les amarres dans les Hamptons, avant de sombrer. L’homme qui ce soir-là l’accompagnait est toujours sur son lit d’hôpital. Ses premiers témoignages sur la tragédie ne dissipent pas tous les doutes et suspicions.

New York

Marvin Moy aimait larguer les amarres. Comme pour fuir cette éreintante vie new-yorkaise, qui avait failli le terrasser. Médecin d’origine chinoise âgé de 51 ans, connu comme le loup blanc dans son quartier, il avait mené grand train, pendant deux ou trois décennies, avant de connaître le sort des ambitieux qui se brûlent les ailes au soleil: une escroquerie montée avec des partenaires véreux, un divorce somptuaire avec sa femme négligée, et des dettes astronomiques auprès de ses avocats, remplacés les uns après les autres.

Quelle bouffée d’air, ce matin du 12 octobre 2022, lorsqu’il désamarre son petit bateau de pêche, le Sure Thing, à la marina de Moriches, dans les Hamptons, à la pointe de Long Island, et prend le large, en compagnie d’un ami, Max Wong, infirmier du Queens âgé de 36 ans, membre du même club nautique, le Center Yacht Club. Direction le Hudson Canyon, un site poissonneux très apprécié des amateurs de pêche au gros, six heures de cabotage plus au sud. Leur excursion accomplie, le pont encombré de leur butin, à la nuit tombée, les deux hommes entament le chemin du retour et cinglent vers Moriches.

«Il y a des questions sans réponse»

Le Sure Thing ne reviendra jamais au port. La nuit suivante, peu après minuit, les gardes-côtes américains reçoivent un signal émanant de la balise de détresse de l’esquif. Parvenus sur les lieux, à 25 miles au sud de Fire Island, les secours ne retrouvent qu’une large tache d’huile et des débris épars semblant provenir de l’embarcation du Dr Moy. Celui-ci a disparu, corps et biens. Son accompagnateur, lui, est repêché vivant, une balafre douloureuse en travers du visage. Il est héliporté sur la terre ferme. Son témoignage est la source la plus directe pour comprendre ce qu’il s’est passé, peu après minuit, mais il demeure confus, à la limite de la plausibilité. Il parle d’une «collision» entre le Sure Thing et un autre navire «de grande taille», d’un choc violent qui aurait projeté son ami par-dessus bord.

Les recherches dureront trente heures. Sur Twitter, les gardes-côtes mobilisent toutes les bonnes volontés: «Un individu est toujours manquant et aurait été vu portant un gilet de sauvetage.» Le signalement est optimiste, vu la situation délicate du disparu, la houle, la nuit, et le délai habituellement accordé aux secours pour retrouver un individu à la dérive, en considérant l’hypothermie et l’épuisement: 24 heures. 4 830 milles nautiques seront passés au peigne fin en vedette rapide et en hélicoptère, sans résultat. Le 14 octobre à 13 heures, un nouveau message Twitter, plus sinistre celui-là: «Mise à jour: la recherche de la personne disparue a été suspendue.» Seule la balise que Moy conservait sur lui en permanence est retrouvée, dérivant sur les flots.

Cette trajectoire, similaire à celle du Dr Yves Godard, médecin acupuncteur de Caen porté disparu en mer au large de la Bretagne en septembre 1999, à l’âge de 44 ans, comporte cependant une anomalie, et de taille. Personne ou presque ne croit à la thèse de la collision en haute mer, comme le relate le New York Times le 22 décembre. «Il y a des questions sans réponse, plaide un ami proche. Nous ne savons vraiment pas ce qui s’est passé.» Première étrangeté: Marvin Moy aimait passionnément la mer, au point de décorer son appartement de l’Upper West Side comme une cabine de vieux loup de mer. Passionnément, mais tout de même pas au point de lever l’ancre au milieu de la nuit.

«Une des plus vastes fraudes à l’assurance dans toute l’histoire»

Seconde interrogation: la disparition du Dr Moy survient neuf mois après son inculpation devant le tribunal fédéral de Manhattan pour complicité dans une fraude aux soins de santé, s’élevant à 100 millions de dollars. À l’incitation de deux gangsters, Alexander Gulkarov et Bradley Pierre, il aurait reçu des patients victimes d’accidents de voiture, réorientés par des urgentistes et du personnel hospitalier vers son cabinet pour des «tests électro-diagnostiques de douleur», dont les malades n’avaient absolument pas besoin. En janvier 2022, Moy est appréhendé, avec plusieurs autres praticiens, et inculpé pour «une des plus vastes fraudes à l’assurance dans toute l’histoire», selon le juge Damian Williams. Il encourt alors une peine de plusieurs années de prison. L’audience liminaire était prévue le 19 octobre, une semaine après l’incident au large de Long Island.

En janvier 2022, Moy est appréhendé, avec plusieurs autres praticiens, et inculpé pour “une des plus vastes fraudes à l’assurance dans toute l’his­toire”, selon le juge Damian Williams

Et encore, s’il n’y avait que la fraude! Marvin Moy peine à se dépêtrer d’un interminable divorce: la conclusion d’un mariage houleux de quatorze ans avec Hanyue Zhu, dite Hannah, rencontrée en 2007 et épousée en 2008 lorsqu’elle était enceinte. En jeu, la garde de leur fille de 12 ans. La procédure, qui traîne en longueur depuis cinq ans, a déjà généré des frais d’avocats monumentaux. Un cabinet réclame au bon docteur 69.000 dollars d’impayés, et lui intente à son tour un procès au civil. Le revers de fortune est accablant pour ce fils d’immigrant chinois. Marvin Moy a grandi dans l’arrière-boutique d’un restaurant de Chinatown, le Mee Sum Cafe, au 26 Pell Street, en bordure du Brooklyn Bridge et du Manhattan Bridge. Quelques étés à la plonge le motivent pour entamer des études de médecine à New York, puis à Buffalo. Il reviendra à Manhattan en 2004, pour ouvrir une clinique, puis rapidement d’autres dans le Bronx, à Brooklyn et plus à l’est sur Long Island. Une réussite stupéfiante, foudroyante.

«J’ai toujours su qu’il était un menteur»

Lorsqu’il épouse Hannah, Marvin Moy emménage dans un studio sans fard de l’Upper West Side. Sa carrière est stoppée net une première fois, juste après les noces, lorsqu’il se découvre atteint d’un cancer du pancréas. Une ablation partielle suivra, provoquant une affection diabétique et un éloignement définitif de sa femme, selon ses dires. Un tabloïd britannique alourdit la barque du Dr Moy: le Daily Mail dit avoir retrouvé la trace d’une petite amie de l’ex-étudiant de médecine. Celle-ci, sous couvert de l’anonymat, décrit l’escroc en herbe qu’elle finira par quitter. «Je pensais qu’il avait décidé de devenir docteur parce que sa mère était décédée d’un cancer, mais j’ai toujours su qu’il était un menteur. Il a toujours aimé les bateaux. Il travaillait dans un magasin d’équipements nautiques, et il dérobait des choses, telles que des instruments GPS, pour les confier ensuite à des amis, afin qu’ils les vendent d’occasion dans d’autres magasins et qu’il puisse dépenser avec les gains ainsi récupérés.»

Il y a pire: la même femme assure que Moy usait et abusait naguère de la générosité de ses grands-parents. «Un été où nous vivions ensemble, poursuit-elle, ils lui avaient donné des milliers de dollars pour qu’il suive une préparation à l’entrée en faculté de médecine. Sitôt après le début des cours, il était allé voir l’administration pour dire qu’il abandonnait et avait demandé à se faire rembourser. Il n’avait récupéré qu’une partie de la somme, mais n’avait rien dit à ses grands-parents et faisait semblant de continuer à aller en cours», alors qu’il préférait l’école buissonnière et le nautisme (ce qui n’empêchera pas le dilettante de décrocher un vrai diplôme de médecin). Pour toutes ces raisons, la tragédie en haute mer incite les autorités non pas à rendre hommage à un homme pris par les flots, mais à lancer un avis de recherche. Lors de l’audience du 19 octobre au tribunal de Manhattan, les juges suspectent un délit de fuite savamment orchestré plutôt qu’une banale noyade.

Au point de subodorer que Moy, toujours considéré en vie tant que son corps n’a pas été retrouvé, pourrait avoir brouillé les pistes à la faveur de l’obscurité et laissé Max Wong saborder le navire, tout seul comme un grand. Ce qui ferait de ce dernier un complice dans une évasion en haute mer. Mais Max Wong se tait, pour le moment, alors qu’il est en convalescence sur son lit d’hôpital. À Moriches Bay, les regards se portent sur ce tout nouveau membre, arrivé dans le club en septembre, et dont les compétences en termes de navigation paraissaient au mieux limitées. Un des pêcheurs du cru, George Harned, a questionné Wong par texto: «Il faut que tu montres patte blanche», lui assène-t-il. «J’ai été malade pendant le voyage et j’ai arrêté de pêcher, ça s’est terminé plus tôt que prévu», répond l’infirmier. L’homme se serait assoupi dans la cabine, pour être réveillé en sursaut par le vacarme de la collision.

La dernière fois que je l’ai entendu, il me disait: “Max, tu vas bien ?
Max Wong, l’accompagnateur de Marvin Moy sur son bateau de pêche, le Sure Thing

Wong aurait sauté par-dessus bord, avant de voir Moy agrippé à une bouée. «La dernière fois que je l’ai entendu, il me disait: “Max, tu vas bien?”» Le hic, dans cette version: aucun navire, petit ou gros, n’a fait état d’un tel accident, qui aurait laissé des traces visibles sur la coque. Les membres du Center Yacht Club, cependant, affichent plus de foi en Marvin Moy que la police et les juges. «Le propriétaire du bateau est un bon ami à moi, et c’est un des types les plus sympas du coin», écrit l’un d’eux sur le site nautique thehulltruth.com. «Marvin est un copain d’embarcadère dans ma marina, confie un autre. Et c’est l’un des skippers les plus compétents que je connaisse.» «De vilaines choses peuvent se produire en mer», élude un troisième, John Chase.

Par Maurin Picard www.lefigaro.fr

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