INTERVIEW – Journaliste à France 24 et auteur d’Etat Islamique, le fait accompli (Plon), Wassim Nasr estime que le rôle des femmes dans l’organisation terroriste est minoré. « Dans tous les mouvements terroristes, les femmes jouent un rôle majeur », explique-t-il.

Des femmes en première ligne dans un projet terroriste, est-ce une première en France?
Dans un rôle opérationnel, oui. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’autres tentatives, mais c’est la première qui éclate au grand jour. En revanche, des femmes ont commis des attentats hors de France. La première kamikaze européenne s’est faite exploser en Irak au milieu des années 2000 [la Belge Muriel Degauque le 9 novembre 2005 à Bakouba, NDLR]. Comme pour les djihadistes hommes, les appels se multiplient pour que les femmes ne rejoignent plus la zone irako-syrienne, quasiment inaccessible depuis un an, et commettent des actions en France.

Comment expliquer ce phénomène nouveau?
Depuis un peu plus d’un mois, un djihadiste français présent sur le territoire irako-syrien [Rachid Kassim, un djihadiste roannais, selon les enquêteurs, NDLR] appelle des femmes à commettre des attentats sur [l’application] Telegram. Cet homme très connu sur les réseaux sociaux a cité notamment des gens et des institutions à attaquer. Parmi les modes opératoires qu’il a proposés, il y avait la mise à feu d’une voiture remplie de bonbonnes de gaz. Ça n’a pas été repris par les médias officiels de l’Etat islamique et ça reste donc plutôt confidentiel, mais ça existe et ça fait du bruit.

«L’EI appelle à ne plus prendre les chemins périlleux, mais à commettre des attentats ici»

Y a-t-il plus de femmes tentées par le djihad ces derniers temps?
Bernard Cazeneuve a annoncé cette semaine que les départs diminuaient. C’est parce qu’il est quasiment impossible de rejoindre la Syrie et l’Irak depuis un an. La frontière avec la Turquie est quasi-hermétique et c’est pareil pour celle du Kurdistan irakien. L’Etat islamique lui-même appelle à ne plus prendre ces chemins périlleux, tels qu’il les décrit, mais à commettre des attentats ici. C’est exactement ce qu’a fait le tueur de Magnanville.

« Une femme peut décider en son âme et conscience de se voiler de la tête aux pieds »

Qui sont ces femmes qui font le djihad et pourquoi adhèrent-elles à l’idéologie de l’Etat islamique?
Il y a de tout, mais quand on creuse un petit peu, on se rend compte que ce sont des personnes qui se connaissent, que ce n’est pas nouveau. On a souvent un regard misogyne, on pense toujours que les femmes des djihadistes sont soumises, obligées de suivre leur mari et qu’elles sont des victimes. J’ai suivi plusieurs couples dont l’un d’eux est rentré il y a 3-4 mois. La femme était l’élément moteur dans le départ comme dans le retour : elle était enceinte et voulait accoucher dans de bonnes conditions. On n’arrive pas à admettre qu’aujourd’hui, une femme peut décider en son âme et conscience de se voiler de la tête aux pieds, de porter la burqa et de faire son djihad. Mais il y a pourtant des femmes très motivées par l’idéologie, qui veulent agir là-bas ou ici en France.

«Dans tous les conflits historiques, les femmes ont joué des rôles primordiaux»

En Syrie et en Irak, les femmes sont-elles impliquées dans les combats de l’Etat islamique?
Non, mais elles ont un rôle dans certaines administrations, un rôle médical, dans l’éducation. Elles doivent aussi embrigader et élever la nouvelle génération, ce qui est très important pour l’Etat islamique s’il veut s’inscrire dans la continuité, malgré la perte de terrain et les pertes militaires. Il n’y a aucun groupe qui a pu survivre sans femmes et enfants. Dans tous les conflits historiques, les femmes ont joué des rôles primordiaux, c’est aussi le cas avec l’EI. C’est quelque chose d’assez inconcevable en France, parce qu’on pense que les femmes sont voilées de force et dupées par leur mari pour aller en Syrie… Il y en a peut-être, mais ce n’est pas du tout la majorité, d’après ce que je sais.

Cette semaine, plusieurs couples ont été arrêtés. Peut-on parler de radicalisation conjugale?
Tout à fait. Dans un couple, il y a toujours un élément moteur, et ça peut être autant la femme que l’homme. D’après mon expérience des djihadistes, les femmes sont souvent plus virulentes que les hommes. Mais j’ai souvent constaté qu’à leur retour, seuls les hommes faisaient face à la justice.

La justice doit-elle s’adapter en conséquence?
Exactement, et le traitement judiciaire commence à changer. Les gens doivent sortir des schémas misogynes et réaliser que dans tous les mouvements terroristes, qu’ils soient de gauche, de droite ou islamiste, les femmes jouent un rôle majeur.

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