Le stupéfiant cheminement de la haine antisémite
en cent dessins

Par Sophie Rahal

Source : Télérama
Avec “Dessins assassins ou la corrosion antisémite en Europe”, le Mémorial de Caen expose, jusqu’au 15 décembre 2017, une centaine de pièces issues de la plus grande collection de propagande nazie du monde.

Lorsqu’il était jeune, Stéphane Grimaldi voulait être historien. Si la vie l’a finalement conduit au droit, il n’a pas oublié comment dérouler une histoire.

Passer par les petites pour retracer la grande, tel est selon lui un moyen habile de gagner notre attention. On écouterait ainsi pendant des heures le directeur du Mémorial de Caen, installé dans le fauteuil de son bureau, n’interrompant le flot de ses paroles que pour offrir un café ou décrocher son téléphone.

Pour raconter ce qui a présidé à l’exposition Dessins assassins, il revient sur sa rencontre avec celui qui en constitue la cheville ouvrière : Arthur Langerman.

Aujourd’hui âgé de 74 ans, ce fils de juifs belges déportés à Auschwitz a échappé à la déportation, et détiendrait, selon Grimaldi, la « plus grande collection de propagande nazie au monde » (deux autres sont recensées aux Etats-Unis) : une centaine de pièces ont été choisies pour constituer l’exposition qui se prolongera à Caen jusqu’à la fin de l’année.

Photo présente dans l'exposition du Mémorial de Caen.

Rattrapé par l’Histoire en 1961

L’Histoire – la grande – a rattrapé Arthur Langerman en 1961.

Il n’est alors qu’un modeste tailleur de diamants anversois de 19 ans, à qui la mère, miraculeusement rescapée d’Auschwitz, n’avait jamais vraiment raconté les camps.

Lorsque s’est ouvert le procès Eichmann, en avril, il réalisa avec effroi l’ampleur de la Shoah. « Et c’est pour comprendre la haine des Juifs qu’il a démarré cette collection de l’innommable », précise explique Stéphane Grimaldi.

Dès lors, la quête va devenir obsessionnelle : objets, affiches, journaux, dessins, cartes postales… en 56 ans, Arthur Langerman a accumulé plus de sept mille pièces, comme s’il en fallait autant pour comprendre comment la production antisémite avait contaminé, dès la fin du XIXe siècle, un terreau fertile dans une Europe fragilisée par les crises, économique, politique et morale, et permis la diffusion d’une idéologie d’idées nauséabondes autant que fausses.

Et c’est une autre – petite – histoire qui incitera Stéphane Grimaldi à organiser cette exposition au Mémorial de Caen, devenu, en trente ans d’existence, un haut-lieu de l’histoire contemporaine en Europe. Alors qu’il range sa bibliothèque, il met la main sur son vieil exemplaire de Tartuffe, étudié au collège : « Je me suis dit qu’il fallait justement arrêter d’être des tartuffes, et faire cette exposition, une bonne fois pour toutes ».

Propagande par l’image

Présentée sur deux niveaux, Dessins assassins retrace donc les origines et la diffusion de l’idéologie antisémite avec une chronologie concise, qui s’étend de 1879 à 1945.

De l’apparition du mot « antisemitismus » en 1879, au sinistre bilan de la Shoah (près de 6 millions de victimes, soit les deux tiers des juifs Juifs d’Europe), en passant par l’ouvrage d’Edouard Drumont (1844-1917, journaliste de La Libre parole, auteur de La France juive en 1886), l’affaire Dreyfus dès 1894, la parution du livre d’Adolf Hitler, Mein Kampf (1925) ou la proclamation des lois de Nuremberg (1935), le visiteur explore le stupéfiant cheminement de la haine.

A l’étage, sur une trentaine de tables, sont présentés les éléments de la propagande nationaliste et les moyens que celle-ci a utilisés pour modeler les esprits dans une large partie de l’Europe. Tout y est décrit et expliqué : selon les cibles visées, qu’il s’agisse des élites intellectuelles ou d’un public populaire, les articles de journaux, les tracts, les chansons et autres outils de propagande oscillaient entre ouvrages prétendument scientifiques et grossière instrumentalisation de l’histoire.

Le recours fréquent et massif à la propagande par l’image servit aussi la diffusion de ces idées politiques : sous l’impulsion d’éditeurs privés, des affiches, cartes postales ou autocollants fleurirent, représentant les juifs sous des traits caricaturaux. Même la photographie, investie d’un « effet de vérité documentaire », fut également largement utilisée par la propagande nazie à des fins antisémites. La fin du XIXe siècle, âge d’or de la caricature et des journaux satiriques, est marquée par la parution de La Libre parole, hebdomadaire illustré lancé par Drumont en 1893, magnifique exemple de cet outil de propagande massive qui oscille entre antisémitisme politique et racial.

Tout au long de cette exposition, les stéréotypes destinés à décrire, déshumaniser et animaliser les juifs (« juif enrichi », personnages à la physionomie difforme, « juif complotiste » ou apatride) sont analysés, qu’il s’agisse de ceux répandus en Allemagne et en France, mais aussi en Belgique, en Serbie et dans les autres pays de l’Est où sévissaient des régimes fascistes.

Exposer la “banalité du mal”

Très illustrée et peu bavarde, l’exposition revêt un caractère pédagogique essentiel, auquel le directeur du mémorial est attaché. « Nous voulions bien faire comprendre aux visiteurs, explique Stéphane Grimaldi, le lien entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. Il fallait pour cela montrer le mal dans son caractère le plus banal. Drumont a ainsi inventé l’antisémitisme racial (et non plus religieux) en insistant sur les caractéristiques physiques supposées de ceux qu’il poursuivait de sa haine. C’est cette filiation qui a irrigué toute l’Europe et conduit à la tragédie de la Shoah ».

A voir

1886 – 1945, Dessins assassins ou la corrosion antisémite en Europe. Jusqu’au 15 décembre 2017. Mémorial de Caen. http://www.memorial-caen.fr

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