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L’antisémitisme en France, au-delà des chiffres

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Après une série d’actes antisémites commis ces derniers jours en région parisienne, le ministre de l’Intérieur a annoncé lundi 11 février, un bond de 74% de ces actes et menaces en 2018. Décryptage d’une recrudescence inquiétante.

« Ilan s’en va. Ilan quitte le cimetière de Pantin, il quitte Paris, il quitte la France et, vous qui l’avez massacré, vous ne pourrez plus jamais lui faire du mal », pensait Ruth Halimi.

« Je suis venue le chercher, (…), je l’ai sorti d’ici », confiait-elle en 2009 à l’écrivaine Émilie Frèche dans 24 jours, la vérité sur la mort d’Ilan Halimi (éd. Seuil), après avoir exhumé le corps de son fils battu à mort par le « gang des barbares ».

Mais « ici », on profane encore – la stèle érigée à Bagneux en son nom avait été brisée, puis taguée d’insultes, en 2015 et en 2017, et ce week-end du 10 février, l‘arbre planté à Saint-Geneviève-des-Bois (Essonne) à la mémoire de son fils kidnappé, séquestré, torturé, brûlé, parce que selon un cliché millénaire, « juif égal riche », a été tranché à la base.

Sur l’arbre-symbole tenait sa photo. Il était un lieu de recueillement, un mémorial depuis 2006, année où Ilan Halimi fut retrouvé à cet endroit en train d’agoniser.

Un second, plus jeune, planté pour le dixième anniversaire de son assassinat, a aussi été délibérément scié.

Ce sont deux agents municipaux qui ont découvert ce lundi 11 février le site profané. Ils venaient préparer la cérémonie commémorative prévue le 13 février, à l’occasion du treizième anniversaire de sa disparition.

Au même moment, alors que les souvenirs d’Ilan Halimi sont arrachés, les visages peints de Simone Veil, à différents âges de sa vie, sont barrés de croix gammées au cœur de Paris. L’artiste Christian Guémy, alias C215, a découvert, choqué, ses portraits recouverts du signe nazi.

« Honte à celui qui, abject, a défiguré d’une croix gammée mon hommage à Simone Veil, rescapée de la Shoah, peint l’an dernier sur les boîtes aux lettres de la mairie du treizième arrondissement de Paris, lors de sa panthéonisation », s’indigne-t-il.

Dans la capitale ces derniers jours, ces croix gammées, mais aussi, un Juden (« juif » en allemand) inscrit en lettres jaunes sur la vitrine d’un restaurant Bagelstein, sur l’île Saint-Louis.

Je suis maintenant persuadée que l’on n’apprend rien de l’Histoire

Des actes et des symboles qui inquiètent les derniers témoins de la Shoah 

Lorsqu’elle prend connaissance de ces deux vandalismes, Sophie Nahum, productrice et réalisatrice de la série documentaire Les Derniers, pense surtout à Simone Veil, et aux dernières et derniers survivants de la Shoah, qui assistent, en fin de vie, au recyclage des symboles nazis.

« Les imaginer eux, si dignes et courageux, face à ça et leurs terreurs d’enfant, me glace le sang. J’ai honte qu’on ne les ai même pas préservés de ça. »

Evelyn Askolovitch, survivante de la Shoah, et témoin infatigable de collèges en lycées, confiait il y a quelques mois à la réalisatrice, alors qu’elles marchaient à la mémoire de Mireille Knoll, n’avoir jamais été aussi mal depuis les camps.

L’idée qu’un corps ait été brûlé, celui d’une octogénaire juive, rescapée de la rafle du Vélodrome d’Hiver, la bouleverse.

Que pensent les « derniers » du climat actuel ? Sont-ils inquiets ? « Elie Buzyn [le père de la Ministre de la Santé a été déporté à Auschwitz à 15 ans, ndlr] me dit que nous sommes aujourd’hui dans le même déni que celui de son père et de son oncle quand ils ont découvert Mein Kampf », rapporte Sophie Nahum. Esther Senot, rescapée d’Auschwitz, affirme à la réalisatrice « entendre aujourd’hui les mêmes propos qu’en 40 », tandis que Ginette Kolinka, ancienne déportée et passeuse de mémoire, lui lâche : « Je témoigne, mais je suis maintenant persuadée que l’on n’apprend rien de l’Histoire. » 

Le rabbin et auteure de Réflexions sur la question antisémite (éd.Grasset) Delphine Horvilleur souligne elle aussi cet « acharnement antisémite à travers l’Histoire » et « sa résurgence permanente ».

Elle déplore un antisémitisme qui « ne passe jamais de mode et d’actualité ». Et si elle publie maintenant cet essai, c’est parce que « la verbalisation plus forte et les passages à l’acte de ces dernières années [l’] ont forcée à [s]’y plonger.

«  Car ces dernières années, et parmi les pires actes, on peut dramatiquement lister : des enfants juifs tués à bout portant à l’entrée de leur école, des grand-mères juives assassinées, l’une défenestrée, l’autre brûlée et poignardée, des clients abattus dans un hypermarché casher, et des porteurs de kippa menacés d’une attaque à la machette.*

Des chiffres qui ne prennent en compte que les actes « signalés »

« Il y a les actes violents d’une part, et de l’autre, les menaces écrites, par mail, par appel… Ces deux catégories d’actions sont prises en compte dans le recensement des actes antisémites », détaille Marc Knobel, historien, membre de l’Observatoire sur l’antisémitisme et directeur des études du Conseil représentatif des institutions juives de France, alors que le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a révélé, ce lundi 11 février, que les actes antisémites ont bondi de 74% en France, l’an passé.

Entre 2017 et 2018, ils sont ainsi passés de 311 à 541. 

Si on intégrait au calcul la haine antisémite des réseaux sociaux, les compteurs exploseraient

Pour mieux comprendre, l’historien donne trois chiffres-clés: en 1998, 81 actes antisémites ont été comptabilisés sur le territoire, l’année suivante, 82. Et puis, à l’an 2000, on en dénombre 744.

« Depuis, les chiffres sont en dents de scie, mais même quand ils baissent, ils sont chaque fois plus hauts qu’avant 2000 », analyse Marc Knobel.

Il ajoute que ces chiffres sont en de-ça de la réalité, puisqu’ils sont comptabilisés à partir des actes signalés à la police (plaintes ou mains courantes).

« On ne peut pas comptabiliser les agressions subies par tous ceux qui n’osent pas porter plainte, qui ont peur. »

Et d’ajouter : « Si on intégrait au calcul la haine antisémite des réseaux sociaux, les compteurs exploseraient. »

Toujours ce week-end du 10 février, l’inscription « Macron Jews’ Bitch » (« Macron pute à juifs ») a été inscrite sur une porte de garage dans le premier arrondissement de Paris. « On associe Macron à Rotschild, et Rotschild à juif », analyse l’historien qui pointe « la survivance et la permanence de préjugés parfois millénaires ».

Publié en mars 2018, le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme révèle à quel point ce cliché est tenace dans la société française : 38 % des personnes interrogées partagent l’idée que « les juifs ont un rapport particulier à l’argent ».

S’ajoutent à cette série d’inscriptions : « Truie juive », sur un mur du 18e arrondissement parisien, signalé ce lundi 11 février, « Micron (sic) Rothschild parce qu’il se vend bien. La putain de la youtrerie universelle », découvert ce même jour sur une façade du bâtiment du journal Le Monde, dans le 13e arrondissement cette fois. Et ce mardi 12 février au matin, un tag alliant racisme, antisémitisme et homophobie, a été signalé dans le RER C. Il y est abjectement inscrit : « M’ Bappé : enculé de nègre enjuivé ».

« État d’urgence de l’antisémitisme »

« Qu’y a-t-il de plus simple que de prendre un feutre et d’inscrire une injure ou de dessiner une croix gammée ? Ces gens sont bouffés par la haine, et en plus, ils sont lâches », commente Marc Knobel.

Puisque l’acte ignoble est « facile » à faire et à reproduire, l’historien s’inquiète. Et sonne l’arme face à cet « effet de mimétisme ».

Les responsables politiques se contentent de tweeter. Les tweets, l’émotion et la compassion vont un temps

Face à cette série d’actes antisémites, Sacha Ghozlan, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), attend aujourd’hui plus qu’une condamnation de la part des élus : « Les responsables politiques se contentent de tweeter. Les tweets, l’émotion et la compassion vont un temps. Ce n’est plus possible. Parce qu’il y a des Français dont la vie est détruite par un harcèlement, une agression. Et parce qu’il y en a d’autres qui en meurent. » Et de poursuivre : « J’attends du gouvernement qu’il proclame un État d’urgence de l’antisémitisme. »

Le président de l’UEJF est présent, en cette fin d’après-midi, à la remise du prix national Ilan Halimi à Matignon.

Dans ce contexte dramatique, Émilie Frèche récompense un projet réalisé par des jeunes engagés contre le racisme et l’antisémitisme.

Ruth Halimi, digne, est aussi là, pour cette première édition, et pour encourager la jeunesse à rester mobilisée. Et Simone veille, à nouveau, « avec ses valeurs et sa grâce, plus forte que la barbarie des anonymes ».

Christian Guémy a repris le pinceau en urgence, sous les yeux de Pierre-François Veil, fils cadet de Simone Veil.

Décidé à être le gardien de sa mémoire, l’artiste assure qu’il restaurera chacun de ses portraits, inlassablement.

Juliette Hochberg

marieclaire.fr

 

*Depuis Ilan Halimi en 2006, Jonathan Sandler, Gabriel Sandler, Arié Sandler, Myriam Monsonégo, Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada, Yoav Hattab, Sarah Halimi, Mireille Knoll, ont été assassinés en France parce qu’ils étaient juifs.

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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Sydney Cohen

Rien ne changera en france, à présent que ce pays est peuplé de musulmans extrémistes qui utilisent la démocratie pour perpetrer leur idéologie antisémite.
Mais que les français ne se réjouissent pas, de sera bientôt leur tour si le les gouvernants laissent faire

Elie de Paris

Ce n’est là que publication de l’antisémitisme, qui a toujours sévi, mais qui dispose dune support technologique très performant, et anonyme .
Les gouvernements sont élus pour diriger. Diriger quoi ?
Le peuple_du moins sa majorite_qui les élit. Ils sont élus pour les compétences qu’ils présentent, et qui ne sont pas les nôtres. Et pas pour suivre les mouvements de foules qui suivraient une mode, une tendance…
Aujourd’hui, on pratique l’automédication, sur les conseils de « médecins-gourous » autoproclamé. Internet…
Pareil pour les idéologies.
On parle d’explosions , de multiplications de l’antijudaïsme…
Et nous autres, victimes naïves, pensons que le phénomène est, dans cette ampleur, une nouveauté !
Une croix gammée est, avant tout, une croix, n’est-ce pas ?
Le clergé philosemite réel, en France, doit se compter sur les doigts d’ une main. Le manque d’emphase k-to apparaît donc et est directement rétribué par l’abandon des églises…
Puisque la fille aînée de celle-là ne protège, ni ne respecte l’honneur de sa mère…la Synagogue.
Or, l’honneur, et le respect et la crainte des parents, sont inscrits en clair dans les Tableaux de la Loi, données pour l’humanité, gravées du « Doigt » de Dieu…
Ce vide est rempli par les ultras d’extrême gauche/droite, qui puisent dans la haine arabomusulmane prêchée dans les mosquees et ecoles coraniques, pensant qu’ils maitriseront, plus tard, le feu allumé …
Il n’a y malheureusement pas d’extincteurs capables dorénavant, d’ eteindre pareil incendie.
Dans ce cas, on evacue.

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