Ambiance cyberpunk à Hong Kong. | Sean Foley via Unsplash

La science-fiction chinoise est-elle au service du pouvoir?

 

Ce genre littéraire a pu nourrir au cours de l’histoire de la Chine une certaine idée de la nation, et le Parti communiste chinois n’a pas hésité à s’en servir comme d’un outil politique.

C’est l’histoire d’un peuple en proie à des crises collectives de somnambulisme, qui travaille sans le savoir de jour comme de nuit pour décupler la productivité du pays et devenir la première puissance mondiale.

En 2007, l’auteur de science-fiction Han Song diffusait sur internet une nouvelle intitulée Ma Patrie ne rêve pas (Wo de zuguo bu zuomeng), petit tableau d’une Chine prise dans un délire libéraliste et cherchant à conquérir le monde grâce à sa maîtrise de la science et d’une propagande bien huilée.

Six ans plus tard, par une coïncidence un peu trop appuyée, le président Xi Jinping lançait son fameux slogan du «rêve chinois». Anticipation rhétorique ou curieux hasard, la nouvelle de Han Song avait mis le doigt sur l’une des préoccupations que le gouvernement devait embrasser –ce qui lui vaudra de n’être jamais éditée, censure oblige.

De manière générale, la science-fiction pose la question des possibles: quel futur pour l’humanité et, en contexte, pour la Chine, pour les Chinois·es? Quel modèle de société inventer? Quels horizons la science serait-elle susceptible d’ouvrir?

Ces interrogations, la Chine n’a pas attendu les auteurs et autrices de science-fiction pour les formuler. En revanche, la science-fiction a pu nourrir au cours de l’histoire chinoise une certaine idée de la nation, et le pouvoir n’a pas hésité à s’en servir comme d’un outil politique.

Le meilleur des mondes

À la fin de l’ère Qing, la science-fiction fait son entrée sur le territoire chinois: des traductions des textes de Jules Verne ou de H. G. Wells commencent à circuler depuis le Japon, bientôt suivies de théories scientifiques occidentales comme le darwinisme.

En 1904 paraît le roman inachevé Histoire de la colonie lunaire (Yueqiu zhimindi xiaoshuo) de Huangjiang Diaosou, considéré comme le premier roman chinois de science-fiction, qui conjugue les thèmes de la conquête spatiale et de la survie de certains peuples, sur fond de critique sociale.

La tendance est à la modernisation par la science, dont le Japon donne l’exemple, et le roman scientifique (kexue xiaoshuo) est considéré par des intellectuel·les comme un moyen de porter le projet politique d’un État-nation moderne.

Principalement tournée vers les jeunes générations, la science-fiction chinoise devient un support didactique et pédagogique pour promouvoir et vulgariser, par la littérature, les avancées scientifiques réelles, à venir ou fantasmées, soutenues par l’État, et imaginer «le meilleur des mondes».

«Dans les années 1950, on retrouve en Chine une influence de la science-fiction soviétique optimiste, utopique, qui imagine une société idéale sur un modèle marxiste. La science-fiction va servir le projet internationaliste communiste, en inventant une société où tous les problèmes seront réglés grâce à l’action du Parti communiste», relate Gwennaël Gaffric, traducteur et maître de conférences en langues et littératures chinoises à Lyon 3.

Ce meilleur des mondes, il passera également par les meilleurs des êtres humains: l’être humain modèle est moderne, éclairé, et surtout communiste –dès 1939, le futur président de la République populaire de Chine, Liu Shaoqi, publie l’essai prescriptif Comment être un bon communiste. En un sens, l’univers de la science-fiction rejoint la dimension utopiste du discours communiste chinois.

Au début du règne de Mao Zedong, les auteurs et autrices de science-fiction seront d’ailleurs contraint·es d’adhérer à l’Association des écrivains de vulgarisation scientifique, placée sous tutelle de l’Association des sciences et technologies de Chine: il n’est pas rare de trouver dans leurs romans des «scènes pédagogiques», lors desquelles la narration s’interrompt pour laisser place à de petits exposés scientifiques sur le fonctionnement d’un dirigeable ou les effets néfastes et socialement réprouvés de l’opium –les rêves futuristes font bon ménage avec les ambitions du Grand Bond en avant.

Un rapport trouble au pouvoir

Est-ce à dire que la science-fiction chinoise serait à la solde du pouvoir? Certes pas. Si le gouvernement chinois mobilise la science-fiction, cette dernière ne saurait être réduite à un manuel de propagande.

Comme toute littérature, c’est une arme à double tranchant. Après le désastre du Grand Bond et alors que la Chine se lance dans la révolution culturelle à partir de 1966, la science est jugée contre-révolutionnaire. Naturellement, la science-fiction devient une littérature dissidente: ce qui était jugé visionnaire la veille est considéré trompeur le lendemain; la science-fiction ne coïncide plus avec l’idéologie du Parti, elle doit donc disparaître.

En réalité, elle excède toujours le rôle que le pouvoir veut lui assigner: quand Mao ne sera plus dans le paysage et que la modernisation sera redevenue le credo, reprenant à peine son souffle, c’est en tant que «pollution spirituelle» et production «anti-scientifique» qu’elle sera bannie du champ culturel chinois par les conservateurs du Parti:

«Une “campagne contre la pollution spirituelle” est lancée en 1983. C’est principalement une réaction liée à une certaine ouverture sur l’Occident, depuis lequel on importe beaucoup de cassettes vidéo et audio. La science-fiction se retrouve considérée comme de la pollution occidentale, qui va pervertir les jeunes», raconte Gwennaël Gaffric.

«La science-fiction chinoise actuelle semble s’éloigner de sa fonction d’outil pour devenir une littérature pouvant divertir ou faire réfléchir.»

Loïc Aloisio, doctorant spécialisé en science-fiction chinoise

Malgré ces sévères revers, la science-fiction chinoise occupe aujourd’hui une place privilégiée dans les classements des best-sellers du genre. Les romans de Liu Cixin ou de Ken Liu, compatriote expatrié aux États-Unis, font régulièrement les devantures des librairies et des Relay, tournent sur les podiums de prestigieux prix littéraires, et ont conquis un large public international.

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