Jzan-François Figeac, La France et l’orient. De Louis XV à Emmanuel Macron. Passés / Composés, 2022.

La France et l'Orient De Louis XV à Emmanuel Macron - broché - Jean-François Figeac - Achat Livre ou ebook | fnac

Voici un sujet hautement sensible et où le mythe est presque inextricablement mêlé à la réalité. Au fil des siècles la poésie (comprenez la légende) a pris le pas sur la vérité. Une certaine historiographie, obéissant plus à des considérations politiques que strictement historiques a voulu faire croire que cette passion de la France pour l’Orient, et notamment pour le Liban, était essentielle pour l’âme française. Cela a trouvé son expression insurpassée dans le discours de l’actuel chef de l’État Emmanuel Macron, suite aux terribles explosions dans le port de Beyrouth. On connait la suite : le président qui a oublié que l’Orient était compliqué, ignorant tout de Descartes et du cartésianisme, a cru pouvoir se mêler publiquement de la vie intérieure libanaise qui a plongé tout le pays dans un gouffre sans fond….

Il faut aussi définir le champ sémantique du terme orient dans notre langue et dans notre politique étrangère. On parle du Proche Orient, du Moyen Orient et aussi de l’Extrême-Orient. Chacune de ses dénominations définissant une zone géographique avec plus ou moins de précision. Mais chacune se caractérise par des cultures et des religions spécifiques. Ce qui fait que lorsque nous parlons du Proche Orient ou encore du Moyen Orient, on parle du monde arabo-musulman et aussi d’Israël depuis 1948. Ce qui nous conduit à envisager la politique arabe ou arabo-musulmane de la France.

Au cours du XIXe siècle européen, les puissances occidentales se sont réparti différents territoire qu’elles estimaient pouvoir conduire sur la voie du progrès et de la civilisation. De fait, sous des dehors altruistes et désintéressés, ces puissances se sont offert les lambeaux de l’empire ottoman, appelé aussi l’homme malade de l’Europe. Ce qui explique que depuis quelques décennies, après la décolonisation, on assiste à un réveil de l’islam tant en Afrique du Nord qu’au Moyen Orient, quand il ne s’agit pas purement et simplement de flambées du terrorisme…

Si je ne m’abuse, le but de ce bel ouvrage est de dénouer les mythes et de faire œuvre d’historien en analysant les documents et en se référant aux archives, lorsque celles-ci existent ou que leur accès est facilité par les différents régimes en place.

On assiste donc, selon l’auteur, à l’émergence d’une approche plus historique et plus diplomatique de la question orientale. Il faut d’ailleurs se méfier du champ sémantique de ce terme d’orientalisme qu’un Palestinien chrétien Edward Saïd rejettera totalement dans sa controverse avec le plus grand islamologue de son temps, le britannique Bernard Lewis… Orientalisme signifierait une vision tronquée et biaisée de la culture arabo–islamique, charriant des préjugés hérités de l’Occident.

Pour rependre le cours de notre papier , il faut évoquer François Ier qui instaura au XVIe siècle une chaire de langue arabe au Collage de France. Mais il faut aussi se souvenir que la France s’est maintes fois alliée au Grand Turc (notamment pour contrer les Habsbourg). Certes, la papauté déployait des efforts désespérés pour inciter les rois à se conduire en roi très chrétien. Au fond, la Realpolitik l’a toujours emporté. Même à notre époque, notamment lorsque la France a dû subir la décolonisation. Sitôt l’indépendance proclamée, les autorités se rapprochèrent des pays arabes et musulmans, ce qui était difficile du tempe de la souveraineté française en Algérie ou ailleurs en Afrique du Nord… Il n’était alors plus possible de parler de supposées affinités électives entre les deux cultures et les deux civilisations.

L’attitude vis-à-vis de l’Orient varie selon la nature du régime politique en France : au cours de la Révolution française on fut plus retenu que du temps de la campagne d’Égypte menée par Bonaparte dont on ne sait toujours pas exactement quels but il poursuivait sur les rives du Nil.. Voulait-il aider à la création d’un royaume arabe tant fantasmé ou simplement barrer la route des Indes à l’Angleterre ?

Au fond, mis à part quelques succès de prestige remportés auprès de l’empire ottoman, les différents régimes français n’ont pas pu ou pas su renforcer leur engagement en Orient… A part la Syrie et surtout le Liban, ce sont les Anglo-saxons qui ont su s’implanter sur place, notamment en Arabie et dans le Golfe arabique où leurs compagnies d’explorations d’hydrocarbures ont su s’imposer auprès des régimes politiques existants. La France a dû se contenter, comme aujourd’hui au Liban, sur la culture et la francophonie…

Mais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et parallèlement au processus général de la décolonisation, les différents gouvernements français ont dû s’adapter aux circonstances. Et de ne fut pas brillant, notamment au moment de la guerre des-six-jours où le général de Gaulle fut ulcéré de voir que la voix de la France n’avait pas été entendue (sic) ! On croit rêver ! Alors que le gouvernement israélien risquait de tout perdre s’il ne prenait pas l’initiative de la guerre préventive, un chef d’État, puissance moyenne rêvant de gloire et de prestige, changeait d’attitude et embrassait la position arabe contre celle d’Israël. Tsahal ayant détruit les armées ennemies, la France voyait son influence sur place réduite à néant puisque même son ministère de la parole n’était pas efficace. On a parlé du soft power à la française, mais plus de puissance ni même d’influence.

La France a toujours voulu faire de l’équilibrisme entre l’appui à Israël et une certaine complaisance à l’égard du monde arabe, notamment après l’indépendance de l’Algérie. En fait, les différentes défaites subies par la France ont considérablement réduit son expansionnisme. On se souvient de la formule assassine de Henry Kissinger, la France est une grande puissance de taille moyenne… Une telle situation ne permet pas de pratiquer une politique arabe de la France, laquelle est depuis des décennies exposée à un grave danger pesant sur la disparition possible de son identité de nation chrétienne.

L’Orient a changé de nature…

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

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