La Collaboration en France: histoire des années noires par Denis Peschanski 

À partir de juin 1940, la France plonge dans les années noires de la Collaboration. Quels ont été les ressorts de cette politique ? Quelles formes a revêtu le mouvement collaborationniste ? Entretien avec l’historien Denis Peschanski, co-auteur d’un livre somme sur la question.

Dès la signature de l’armistice le 22 juin 1940, la France « libre » plonge dans l’engrenage de la collaboration avec l’Allemagne, politique qui débute formellement le 24 octobre 1940 avec la poignée de main entre Hitler et Pétain à la gare de Montoire.

Pour éclairer les ressorts de cette collaboration complexe et protéiforme, les historiens Thomas Fontaine et Denis Peschanski ont rassemblé et commenté près de 600 archives de toutes sortes – affiches, tracts, rapports, mains courantes, pièces à conviction, registres d’écrou, lettres, journaux intimes, albums photographiques… – dans un livre somme. 

Extraits de l’entretien avec Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS. Propos recueillis par Marina Bellot.

Qu’en est-il de la collaboration économique ? A-t-elle été massive ? Contrainte ? Les entreprises avaient-elles une marge de manœuvre ?

La question de la collaboration économique est sans doute la plus compliquée à analyser. Il y a d’abord les rapports d’État à État. La France, rappelons-le, est le pays occupé le plus riche d’Europe. Dès lors, l’une des priorités stratégiques de l’occupant est d’assurer le pillage en biens et en main-d’œuvre de la France. C’est donc un enjeu majeur pour l’Allemagne, bien sûr, mais aussi pour Vichy.

Côté français, l’intérêt, malgré la terrible pression financière allemande, était de profiter des commandes allemandes et des compétences de l’industrie d’outre-Rhin. Cela est passé par des sociétés mixtes franco-allemandes (six au total, dont deux dans le domaine très politique de la communication) et plus généralement par une présence dans les sociétés stratégiques. Le pillage a connu son paroxysme, évidemment, avec ce qu’on appelle « l’aryanisation des biens juifs ».

Des administrateurs civils furent mis à la tête de ces petites ou plus grandes entreprises, et ce fut l’objet de conflits de compétence entre Paris et Vichy, mais plus l’enjeu était d’importance, plus l’occupant imposait sa loi.

Si l’on quitte l’étage des gouvernants, on a cette nouvelle structure mise en place à l’initiative de Vichy, à savoir les Comités d’organisation où étaient regroupées les entreprises branche par branche. Ce fut un vecteur important de transmission des exigences allemandes.

Encore une fois, c’est dans des secteurs stratégiques comme l’aviation ou l’automobile que la collaboration a été le plus loin, comme avec Gnome et Rhône ou Renault – avec quelques personnages qui s’y sont refusés avec habileté, comme Michelin ou Peugeot.

Il y avait donc des marges de manœuvre, mais elles étaient restreintes. C’est pourquoi, dans un grand nombre de cas, je préfère parler d’ « accommodation » plutôt que de « collaboration ».

En 1943 et 1944, les entreprises du Nord et du Pas-de-Calais n’avaient pas d’autres choix, si elles voulaient rester ouvertes, que de travailler en quasi-totalité pour l’occupant. Le choix était donc d’accepter ce travail ou de fermer l’entreprise.

La situation était d’autant plus complexe que la collaboration permettait d’éviter aux ouvriers le Service du Travail Obligatoire en Allemagne (STO). Un certain nombre de ces patrons ont fait le choix de la collaboration, d’autres ont accepté cette forme de deal.

 

Quel rôle a joué le régime de Vichy dans la déportation des Juifs de France et dans la répression de la Résistance ?

Si l’on reprend la vision de l’Histoire et du monde qu’avait Vichy, on comprend bien que la répression anticommuniste et la persécution antisémite faisaient en toute logique partie de ses objectifs prioritaires.

Pour les communistes, cela ira même jusqu’à devancer les Allemands et à critiquer leurs réserves dans la période trouble où le pacte germano-soviétique était de mise. Pour Vichy, la lutte contre les communistes a été une constante de 1940 à 1944 [lire notre article au sujet de Guy Môquet].

La lutte contre la résistance non-communiste fut également importante, et les résultats furent souvent terribles, mais la machine répressive pouvait être enrayée par tel ou tel grain de sable dans la haute administration où des liens avaient pu être tissés avant-guerre.

Le régime de Vichy est allé très loin dans la collaboration des polices. Elle fut déjà une réalité en zone nord après le déclenchement de la lutte armée par le PCF à l’été 1941 ; on en trouve nombre de traces dans les archives allemandes comme dans celles de la préfecture de police de Paris.

Mais elle fut officiellement scellée par ce qu’on appelle les accords Bousquet-Oberg, du nom du secrétaire général à la Police René Bousquet et du chef suprême de la Police et de la SS en France et Belgique occupées, Karl Oberg, fin juillet-début août 1942.

Il s’agissait de laisser au maximum l’initiative de la répression à la police française et, de fait, comme Oberg en témoigna lors de son procès bien après la guerre, ce dernier n’avait eu qu’à s’en féliciter car il n’avait pas les moyens et les connaissances du terrain dont disposait son partenaire.

Cette collaboration valait d’abord pour la répression contre la Résistance ; mais elle fut de mise avant même la signature de l’accord pour les grandes persécutions antisémites.

La plus grande rafle de l’Occupation fut ainsi co-organisée par les polices française et allemande à Paris les 16 et 17 juillet 1942 (ce qu’on appelle la rafle du Vel’ d’hiv), mais les quelque 13 000 Juifs arrêtés alors en région parisienne le furent par les seuls policiers français.

L’accord scellé par Laval sur ce sujet prévoyait également la livraison de Juifs de zone sud. Or, pour mémoire, il n’y avait alors aucun soldat allemand en zone sud, dite « libre ».

Entre début août 1942, date des premiers convois, et novembre 1942, date de l’occupation de la zone sud par les troupes allemandes, pas moins de 10 000 Juifs furent livrés par Vichy. On peut s’interroger sur la stratégie de Vichy.

En effet, la déportation des Juifs de France n’était pas dans la logique de l’État français qui avait mis en avant une logique d’exclusion. Certes, il faudra un certain temps aux gouvernants français, Laval en tête, pour être mis au courant du sort qui attendait les Juifs : l’extermination de masse. Mais cela ne changea rien au sommet de l’État.

Deux mécanismes ont pu jouer. D’une part, Laval, chef du gouvernement, s’imaginait pouvoir jouer avec Hitler la place de la France dans une Europe qui, à ses yeux, serait nécessairement nazie. Il disposait, pensait-il, de deux cartes majeures : les ouvriers et les Juifs. Il lâcha ces deux cartes dans un calcul géopolitique de maquignon : les ouvriers avec la Relève puis le STO ; les Juifs de France, d’abord les étrangers puis tous, avec l’organisation des rafles. Dans la haute administration, jusqu’à Bousquet lui-même, s’ajoutait la conviction qu’il fallait affirmer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, y compris en zone occupée, quitte à prendre en charge les objectifs les plus sombres de l’Occupant. Dans tous les cas, la situation s’aggrava encore quand Darnand, le chef de la Milice, succéda à Bousquet à la tête de la police comme Secrétaire général au Maintien de l’ordre le 1er janvier 1944.

La Collaboration, Paris Vichy Berlin, 1940-1945 est paru aux éditions Tallandier en novembre 2018.

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