Gonzague, Espinosa-Dassonneville, La chute d’un empire. L’indépendance de l’Amérique espagnole. Passés / Composés, 2023

Voici un aspect de l’histoire européenne en Amérique qui a été relativement peu étudié, alors que son impact sur l’avenir de tout le continent est incontestable. On entendait plus rarement parler de l’Amérique espagnole ou de l’Espagne des deux hémisphères. Au terme de près de deux siècles, entre 1550 et 1750, les possessions territoriales de la Couronne d’une Espagne encore divisée étaient régies par diverses institutions dont le seul avantage était d’être sur place, sur le terrain. La première des difficultés à vaincre était assurément la distance séparant cette Amérique espagnole de la métropole. Je n’entre pas dans les détails clairement exposés par ce beau livre. On retiendra l’intervention de Napoléon Bonaparte qui bouleversa l’ordre politique en Europe pour installer son propre Joseph à la tête d’un royaume. La chute d’un tel empire était-elle prévisible ? Assurément si l’on considère la structure multiculturelle et pluriethnique d’un tel conglomérat ; si loin de son suprême gouvernement, les autorités locales ne disposent pas, au début, des autorisations ou des pouvoirs nécessaires pour adapter la gestion des territoires de l’autre hémisphère aux fluctuations politiques et humaines. On a affaire à une société multiethnique avec tous les problèmes que cela pose. Comment réaliser un semblant d’homogénéité, d’unification ? La seule voie ouverte à ce type de réforme était le zèle religieux que l’Espagne, grande puissance européenne, pratiquait avec une étonnante ténacité : convertir les natifs à une forme particulière de christianisme pouvait raffermir les fondements d’une civilisation nouvelle, apte à se confronter aux défis spécifiques du lieu… Mais même dans de telles conditions apparemment favorables à la Couronne, il y avait aussi, à l’extérieur, les appétits des autres puissances comme la France et la Grande Bretagne qui ne cachaient pas leurs convoitises. La monarchie espagnole avait prévu certaines mesures de sécurité vis-à-vis de l’extérieur mais pour ce qui concerne la stabilité intérieure, les effectifs étaient notoirement faibles. Une refonte totale de l’empire s’imposait. Mais les autorités furent obligées d’armer des populations américaines dont elles se méfiaient. C’est un incontournable paradoxe…

Mais des oppositions internes à la société fragmentée produisirent des intérêts contradictoires et semblent d’opposer au sens de l’histoire. Notamment lorsqu’il s’agit d’imiter les puissances européennes, prenant des mesures d’expulsion contre la Société de Jésus. Les Créoles, majoritaires dans le camp réformateur, ne comprennent pas que les Jésuites échappent à l’impôt alors qu’ils disposent de terres nombreuses. En règle générale, cet ordre monastique heurtait la sensibilité et la philosophie des Lumières qui avaient envahi les esprits. N’oublions pas que le commerce était livre, que les gens communiquaient entre eux et pouvaient se livrer à des comparaisons. Le régime inique auquel ils étaient soumis leur devint insupportable et provoqua une volonté de changement . L’ordre ancien n’était plus dans l’air du temps.

Il fallait une révolution des esprits pour produire graduellement une identité américaine qui se fraya un chemin dans la population : être maître chez soi. Cette critique des conditions de vie, de cet ordre social faisait la part belle au pouvoir de la Couronne, au détriment des élites locales devint intenable. Et puis, il y eut la Révolution française qui inaugura une ère nouvelle diffusant ses idéaux de liberté et d’égalité partout sur son chemin : l’Espagne et d’autres puissances européennes ne furent pas épargnées par cette conception nouvelle des rapports sociaux. La quête d’une autonomie politique et sociale ne se fit point attendre. Et l’Espagne n’eut plus les moyens de faire face à la situation nouvelle.

Après la défaite hispano-française de Trafalgar, la quête d’une autonomie digne de ce nom se fit sentir .Et puis la faiblesse de la marine espagnole face à une Royal Navy sûre d’elle et conquérants donnait l’impression que les dés étaient jetés : plus rien n’empêchait la Grande Bretagne d’opérer.. Et on ne parle même pas des pirates britanniques qui attaquaient les navires marchands battant pavillon espagnol, chargés d’or et d’argent. Une foule d’événements défavorables s’étaient ligués pour rendre la position de la métropole espagnole intenable…

Inexorablement, la chute d’un tel empire, si éloigné de ses bases et souffrant d’une acéphalie incroyable , s’imposait. Il eut fallu une réorganisation de fond en comble pour survivre. Et encore… L’Espagne, monarchie catholique, n’était pas animée d’une vision ni porteuse d’un projet… Et puis, bien avant ses projets coloniaux expansionnistes, ce bastion de l’Inquisition l’avait conduit à expulser tous ses habitants juifs qui avaient, eux, par leur génie et leur expertise, la capacité de rénover et d’innover. Et d’endiguer le déclin. Le pays, dès la fin du XVe siècle, s’était tiré une balle dans le pied… Les erreurs historiques finissent toujours par se payer. Mais ce ne fut pas la cause majeure. Je crois plutôt que le défaut d’incarnation ou cette acéphalie expliquent une telle chute : de cet empire fracassé naitront au moins onze pays indépendants mais pratiquement aucun n’a franchi les limites d’une train-train traditionnel. Alors que l’Amérique du Nord, grâce à sa foi protestante, a réussi et marqué de son empreinte l’histoire du nouveau monde.

J’ai appris bien des choses en lisant ce beau livre si soigneusement préparé et si bien documenté. Bien que non-spécialiste, j’ai bien profité de sa lecture.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

 

 

Reprise des conférences du professeur Maurice-Ruben HAYOUN à la mairie du XVIe arrondissement, 71 avenue Henri Martin 75116, salle des mariages : 

Le jeudi 23 mars à 19 heures 

Contactez: Raymonde au 0611342874

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