Le décret Crémieux conférant citoyenneté française aux israélites d’Algérie – @D.R

Judaïsme et République: une marche à l’égalité longue et difficile

 Par Rédaction Réforme

Jean Laloum, historien, chercheur sur l’histoire des Juifs en France et en Algérie auprès de l’École pratique des hautes études (EPHE), raconte la marche à l’égalité longue et difficile de la communauté juive, jalonnée d’épisodes de rejet, de violence mais aussi de détermination obstinée.

Au moment de la proclamation de la IIIe République en septembre 1870, les Juifs de France avaient acquis depuis 1791 – soit huit décennies plus tôt –, la qualité de citoyens français.

Cette marche à l’égalité fut longue et difficile, jalonnée d’épisodes de rejet, de violence mais aussi de détermination obstinée. Ce sont les décrets émancipateurs qui avaient fini par consacrer, à l’Assemblée nationale, leur nouvelle condition juridique.

L’annexion des deux départements alsaciens et de la Moselle par l’Allemagne en 1871, après la défaite de la France, vit près de la moitié de la population juive – qui oscillait autour de 80 000 âmes – soustraite à la mère patrie et détachée du Consistoire central. Cependant, l’importance relative des Juifs alsaciens-mosellans qui firent le choix de quitter les territoires annexés pour conserver la nationalité française, les “optants”, permit de combler le déficit démographique par l’accroissement naturel et aussi par l’arrivée d’une première vague d’immigrés russes fuyant la misère et les pogroms.

Émergence de l’israélitisme

L’exode massif qui s’ensuivit vers la capitale et les provinces voisines entraîna, en 1872, la création de deux nouveaux consistoires à Lille et à Vesoul. Concomitamment, en zone annexée, les communautés établies dans les trois consistoires d’Alsace-Lorraine, d’orientation plus orthodoxe, périclitèrent et se virent progressivement investies par l’arrivée de nombreux Juifs allemands de propension libérale.

Quant aux communautés de l’intérieur, les réussites professionnelles, associées le plus souvent au processus dynamique d’intégration, risquaient au final d’accélérer le phénomène de déjudaïsation.

En écho aux deux “provinces perdues”, un patriotisme ardent, conciliant valeurs de la République avec celles du judaïsme et désigné sous l’appellation d’”israélitisme” ou de “franco-judaïsme”, se manifesta chez les Juifs français, un modèle d’intégration tout aussi présent au sein du rabbinat et des institutions juives de France.

Cette symétrie entre la source du judaïsme et celle d’une France sortie de l’Ancien Régime se trouvait incarnée dans les Droits de l’homme et du citoyen de 1789, issus du Décalogue et qu’illustrait alors parfaitement la devise consistoriale “Patrie et Religion”.

Dans ce contexte de tension touchant aux “provinces perdues”, l’affaire Dreyfus allait occuper le devant de la scène médiatique et engendrer la vive controverse entre dreyfusards et antidreyfusards qui déchirerait le pays des années durant.

Celle-ci éclata avec l’acquittement d’Esterhazy, – l’officier français dont la trahison causa l’Affaire – suivi de la publication par Émile Zola, le 13 janvier 1898, de son pamphlet “J’accuse…!” L’Affaire coalisa les forces réactionnaires du pays. Chacune des étapes marquant la déchéance du capitaine Dreyfus provoquait un déchaînement de passions haineuses tant en France qu’en Algérie, où celles-ci débutèrent plus tôt et furent particulièrement virulentes.

Juifs français d’Algérie

L’abrogation du décret Crémieux constitua là-bas la principale cible des manifestations antisémites. L’une des finalités de ce “tourbillon antisémite” visait à remettre en cause l’émancipation sociale des Juifs.

Dans le département, l’octroi de la citoyenneté française fut accordé un peu plus d’un mois après la proclamation de la IIIe République – suivant le décret du 24 octobre dit décret Crémieux, du nom du ministre de la Justice du gouvernement provisoire, l’un des initiateurs de cette mesure – aux 37 000 israélites “indigènes” des trois départements algériens.

Dès 1845, l’organisation consistoriale française y servit de modèle aux communautés juives. S’estimant investis d’une mission “civilisatrice”, les dirigeants du judaïsme français se mobilisèrent en vue d’œuvrer à leur “régénération”, à savoir les occidentaliser, les modeler à leur propre image. Les rabbins venus de France devaient y contribuer, en dépit de la sourde réprobation du rabbinat autochtone.

L’adhésion au régime de la liberté religieuse

La loi de Séparation des Églises et de l’État allait estomper l’organisation du judaïsme français créée de toutes pièces par l’État. Fruit d’un long processus de laïcisation et de sécularisation engagé depuis la Révolution française, l’adhésion du judaïsme français au régime de la liberté religieuse ne pouvait qu’insuffler – en dépit de la crainte de ne plus bénéficier de la protection due au statut de culte reconnu – plus de démocratie et de vitalité au sein de l’institution religieuse.

Ces valeurs républicaines de laïcité, indissociables du principe de neutralité de l’État en matière religieuse, incarnaient en quelque sorte la consécration du principe de la liberté de conscience. La Grande Guerre entérinerait ce loyalisme républicain, par la participation sans faille des israélites français aux destinées de la République.

Par JEAN LALOUM 

https://www.reforme.net/religion/2020/09/16/judaisme-et-republique-une-marche-a-legalite-longue-et-difficile/

POUR ALLER PLUS LOIN

  • Michaël R. Marrus, Les Juifs de France à l’époque de l’affaire Dreyfus, “collection Diaspora”, Paris, Calmann-Lévy, 1972.
  • Pierre Birnbaum, Les Fous de la République. Histoire politique des Juifs d’État, de Gambetta à Vichy, Paris, Fayard, 1992.
  • Pierre Birnbaum, Le moment antisémite. Un tour de France en 1898, Paris, Fayard, 1998.
  • Jean-Philippe Chaumont et Monique Lévy (codir.), Dictionnaire biographique des rabbins et autres ministres du culte israélite. France et Algérie. TomeI. Du Grand Sanhédrin (1807) à la loi de Séparation (1905), Paris, Berg international, 2007.
  • Bernhard Blumenkranz (dir.), Histoire des Juifs en France, collection “Franco-Judaïca”, Toulouse, éditions Édouard Privat, 1972.
  • Patrick Cabanel et Chantal Bordes-Benayoun (codir.), Juifs et israélites en France et en Europe (XIXe -XXe siècles), Paris, Berg international, 2005.
  • Philippe Boutry et André Encrevé (codir.), Vers la Liberté religieuse: la séparation des Églises et de l’État, Bordeaux, éditions Bière, 2006.

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Rosa SAHSAN

Que tous ceux qui hurlent dans les rues de France et de Navarre que La France n’est pas à nous, lisent bien ceci. Depuis 1791, les juifs ont acquis la citoyenneté française. Mais il y a mieux pour ces incultes. Les juifs sont en France Bien avant le baptême de Clovis. C’était ma petite leçon d’histoire pour les nuls.
ROSA