Le criminologue Alain Bauer
Alain Bauer, Professeur de criminologie au Conservatoire national ses arts et métiers (CNAM), réagit aux mouvements de grogne des policiers en France.

Que vous inspire le mouvement de grogne des policiers ?

Les policiers sont dans une situation particulière puisqu’ils sont entre l’épuisement – eu égard aux contraintes qui sont les leurs depuis janvier 2015 – mais aussi de tout ce qu’on ne voit pas au quotidien puisque ce ne sont pas tous les policiers qui sont en mouvement mais surtout ceux de première ligne. C’est-à-dire ceux de la sécurité publique, des BAC, des services de nuit ; ceux qui ont le plus souffert des réductions d’effectifs et qui n’ont pas été les mieux pourvus dans le processus de réaugmentation. Au jour d’aujourd’hui, la sécurité publique est un peu la voiture-balai de la société. Elle gère en même temps l’urgence, police secours, le drame, la petite et moyenne criminalité, le quotidien, l’intervention en zone difficile, l’insulte ; et en contrepartie elle est souvent mise en cause pour son comportement qui résulte évidemment du contexte (le tutoiement, le sur-contrôle, la mise en cause sur les contrôles au faciès, etc.). Tout ceci fait un cocktail qui, à force d’être secoué, provoque des déflagrations. On notera toutefois qu’il a fallu attendre deux policiers brûlés dont l’un entre la vie et la mort, et une situation où la police est tellement inhibée dans sa gestion de l’arme à feu que les policiers en question ont préféré se faire brûler que de tirer sur leurs agresseurs. C’est une situation inédite, un concentré de ressentiment, de fatigue, d’exaspération et d’épuisement.

Font-ils face à une délinquance plus violente ?

Non ce n’est pas vrai, c’est une recréation permanente des médias sur le thème rien n’existait avant. Marseille du temps de Carbone, les Apaches à Paris, c’était assez violent.

Le gouvernement a pourtant pris un certain nombre de mesures depuis 2012. Sont-elles insuffisantes ?

Il faut lire ce que les policiers demandent. Au-delà du côté très rentre-dedans sur le terrain, les gens des BAC par exemple ont beaucoup d’idées sur l’amélioration de leur métier. La police est l’un des rares endroits où il n’y a pas de contrôle-qualité. On ne demande jamais aux gens qui font comment ils pourraient faire mieux et comment on pourrait améliorer leurs conditions de travail et leur efficacité. Ils ont pourtant des tas d’idées dont certaines sont extrêmement pratiques et structurées. La vraie difficulté dans la maison policière est que la plupart de ceux qui savent ne sont pas consultés sur le mode d’organisation très centralisé du système. Il est assez rare d’avoir un processus interne qui permet de valider l’expérience dans les processus professionnels.

Je suis actuellement à la conférence des chefs de police aux Etats-Unis qui vient de se terminer. J’ai assisté mardi à une séquence incroyable d’exercices, d’explications, de volonté de coopération sur le terrain. Bref ce retour d’expérience en France est considéré comme un processus punitif. On dit : surtout il ne faut pas le faire, cela va permettre de choisir un coupable. Même si la question des effectifs est lancinante, le sujet est beaucoup plus qualitatif qu’on croit. Quand vous voulez gérer une politique publique de sécurité, on se demande quels sont les problèmes à traiter, quels sont les territoires et à la fin quelles sont les missions que vous voulez affecter aux policiers et avec quels objectifs. Et à la fin combien de personnes pour le faire. En France c’est l’inverse. Cela ne marche que miraculeusement. Le vrai débat est de reprendre ce que disent les policiers qui ont aussi des revendications sur la stratégie. Malgré la très grande lucidité du ministre de l’Intérieur, le processus hiérarchique, notamment à la DGPN, est encrassé, chaotique et peu fonctionnel…

La Dépêche

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