Erwan L’Eléouet, Madame Claude. Le parfum du secret. Fayard, 2022.

Pourquoi un philosophe épreuve-t-il le besoin de parler d’un tel ouvrage ? Je rassure d’emblée mes lecteurs habituels, ce n’est pas par voyeurisme ni par curiosité malsaine, avide découvrir les secrets inavouables d’alcôve de quelques grands ou puissants de ce monde. Cela répond plutôt à des problématiques philosophiques, du genre : l’homme est-il libre au sens fort du terme ou n’est- il qu’un être méprisable, jouet de ses passions notamment sexuelles et de ses fantasmes ? J’ai donc voulu voir ce qui, dans cette affaire, relève de la légende et ce qui relève de la réalité historique puisqu’on prête à cette femme sans relief, issue d’un milieu modeste, des pouvoirs et surtout une influence exceptionnels, bénéficiant de la protection directe ou indirecte, de la police notamment.

Née en province sous le nom de Fernande Grudet, dotée d’un physique banal, sans traits particulièrement saillants, prostituée dès son plus jeune âge, cette femme s’est juré de sortir de son milieu et d’éloigner d’elle à tout jamais la médiocrité sociale. On pourrait presque parler à son sujet de grandeur et servitude d’une courtisane puisqu’elle est morte dans le sou après avoir fréquenté les grands et les puissants, tant dans l’Hexagone que dans le monde…

L’être humain peut tout changer, sauf sa nature profonde. Et c’est ce genre de document qui nous l’apprend concrètement. Certes, Épicure nous apprend depuis l’antiquité grecque, que la racine de tout plaisir est le plaisir du ventre… IL faut corriger ou simplement compléter cet adage si vrai, le ventre, certes, mais aussi le bas ventre, c’est-à-dire le sexe. Madame Claude n’a probablement jamais lu ni étudié Épicure, pourtant, elle a su bâtir et contrôler tout un réseau de proxénétisme national et international comprenant des hommes d’État, un cardinal, des ministres, anciens ou en activité, voire même un Premier ministre de la Ve République dont les descendants ont confirmé la chose… Leur père, concepteur de la constitution de la France gaulliste avait bien ses habitudes chez Madame Claude… Il s’y rendait régulièrement pour y bénéficier des caresses de l’amour tarifé.

Je ne nierai pas mon étonnement que certains taxent de naïveté, en prenant connaissance de certains faits. Je m empresse de dire qu’il ne s’agit pas de faire un cours de morale ou d’éthique ; il ne s’agit pas de cela mais de la découverte de l’âme intime de s princes qui nous gouvernent, tant ici qu’ailleurs à travers le monde. Que des chefs d’État recourent aux services ou aux mains expertes de prostituées, m’étonne. Je ne fulmine aucune condamnation d’ordre moral, ce n’est pas là le sujet, au risque de me répéter. Ce qui pose question, c’est que de tels hommes soient arrivés au sommet des institutions politiques ou économiques qui servent à gouverner nos sociétés.

Quand vous lisez que des avions décollent d’un aéroport réservé aux chefs politiques, avec pour seules passagers des femmes censées satisfaire les désirs les plus intimes d’hommes désireux d’assouvir leurs fantasmes, vous commencez à vous poser des questions… Certes, les choses ont changé mais n’ont pas entièrement disparu ; c’est moins voyant, plus discret, deux qualités dans lesquelles Madame Claude a excellé… Dans un tel commerce, un tel intercourse, la discrétion et le silence sont indispensables.

Ce qui me frappe aussi, c’est que les rares rapports (notes blanches) des Renseignements généraux ont été détruits ou ont simplement disparu. Il faut bien savoir que le chauffeur et l’officier de sécurité d’un ministre ou d’un Premier ministre rendent compte à leur hiérarchie des lieux où ils ont conduit leur hôte ministériel, ce qui permet de tout savoir. Un exemple simple : on remarquait la présence régulière du véhicule du Premier ministre (d’il y a quelques années) avenue Victor Hugo… Il s’agissait simplement d’un ostéopathe qui massait le chef du gouvernement, souffrant d’arthrose…

Mais la suite est connue et était fatale : les protections aléatoires dont bénéficiait la proxénète ont fnii par s’arrêter, au gré des mutations politiques… La dame qui se croyait intouchable a fini par être arrêtée et rechuter dans l’anonymat social. Tous ceux qui étaient ses obligés se sont détournés d’elle. Triste fin. A son enterrement payée par sa fille qui n’était même pas présente, on ne se bouscula pas. De très rares filles qui travaillaient pour elle du temps de s splendeur lui témoignèrent leur gratitude. Mais cela ne suffisiait pas à adoucir l’amertume de l’abandon et de l’ingratitude.

Il demeure difficile de poser un jugement moral sur les activités de cette femme qui, partie de rien, a bâti un empire composé de clients de très haut vol. La prostitution, de luxe ou de la misère, se poursuivra tant qu’il y aura des clients en gésine d’émotions rares.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires