Centre-ville de Sousse (Crédit : Tony Hisgett / Wikimedia Commons / CC BY

Quatre rues de la capitale du Sahel tunisien portent le nom d’anciens Soussiens juifs. L’ancestrale communauté a quitté le pays dans les années d’indépendance. Leurs descendants sont revenus pour inaugurer ces rues.

Et des milliers de juifs sont attendus ces 22 et 23 mai pour le pèlerinage de la Ghriba, à la synagogue éponyme sur l’île de Djerba.

Marie Verdier, envoyée spéciale à Sousse (Tunisie), Modifié le 22/05/2019 à 12:54

 

En Tunisie, Sousse réveille timidement son passé juif

Cérémonie religieuse à la synagogue de la Ghriba. Ahmed Jadallah/Reuters

La ville de Sousse, « mais, je l’ai vue, cette ville ! Oui, oui, j’ai eu cette vision lumineuse autrefois, dans ma toute jeune vie (…) Oh ! je la connais depuis si longtemps ! » Dans le car qui mène à la capitale du Sahel tunisien, les cœurs battent la chamade et les gorges se nouent, à l’instar de ce cri plein d’émotion de Guy de Maupassant lorsqu’il découvre la ville à la fin du XIXe siècle (1).

Ce convoi pas comme les autres propulse dans le passé des dizaines de juifs et quelques catholiques originaires de Tunisie, sexagénaires, septuagénaires, octogénaires, qui foulent à nouveau la ville de leur enfance. Certains ne l’avaient pas revue depuis plus d’un demi-siècle, depuis que la communauté juive a quitté par vagues d’exodes successifs le pays.

Des 100 000 à 120 000 juifs qui vivaient en Tunisie au milieu du XXe siècle parmi une population de 3,5 millions d’habitants, « il en reste une peau de chagrin », sourit tristement Roger Bismuth, représentant des derniers membres de la communauté juive tunisienne.

« Ce projet incroyable réconcilie avec le passé »

Ils sont tout au plus une vingtaine à Sousse et un millier dans le pays – fort de 11,5 millions d’habitants. Ils vivent essentiellement à Tunis et à Djerba, où des juifs reviennent chaque année plus nombreux au mois de mai pour le pèlerinage de la Ghriba, du nom de la synagogue majeure de l’île. Plusieurs milliers d’entre eux y sont attendus ces 22 et 23 mai. Et, en marge de l’événement, se tiendra une rencontre scientifique sur « les traces de l’Histoire et de la mémoire des juifs en Tunisie ».

Pour l’heure, loin du Sousse historique qui ravive de poignants souvenirs de jeunesse, les passagers du car se dirigent vers les villas et les lotissements du nouveau quartier Khezama (« Lavande ») récemment sorti de terre là où jadis prospérait un vaste élevage de poulets. Escales dans quatre de ses rues lourdes de symbole, qui portent les noms d’anciens Soussiens juifs particulièrement méritants du XXe siècle, à l’époque où la ville comptait une importante communauté : le docteur Daniel Uzan, l’avocat Claude Sitbon, la sage-femme Yvonne Bessis et le riche philanthrope Ichoua Ghouila-Houri.

En Tunisie, Sousse réveille timidement son passé juifMax Bessis, fils d’Yvonne Bessis, et son petit-fils, devant la plaque qui rend hommage à sa mère. / Martine Gasq

Michèle-Rachel Uzan, 80 ans, s’approche, au bras de son mari, pour inaugurer la plaque portant le nom de son père décédé en 1985. Un vertige parcourt les quelques dizaines de participants.

Cette reconnaissance est un grand moment.

« Il y a une très grande nostalgie de la Tunisie. Ce projet incroyable réconcilie avec le passé », s’émeut Claire Rubinstein, historienne et petite-fille du grand rabbin de Sousse Bokobza (de 1937 à 1955), auteur du Portrait de la Communauté juive de Sousse, un siècle d’Histoire de 1857 à 1957, de l’Orientalité à l’Occidentalisation (1)

. « Mais on n’oublie rien », ajoute-t-elle, évoquant les vies que les familles ont abandonnées derrière elles « en tournant la page de deux mille ans d’histoire ». Ses parents l’ont envoyée elle, et quatre de ses frères et sœurs, étudier et s’installer en France. Tandis qu’eux furent parmi les très rares à rester et mourir à Sousse.

« Partir c’était une défaite, le pari c’était de rester, souligne Claire Rubinstein. Mais lorsque la Tunisie devint, avec la Constitution de 1959, un pays de langue arabe et de religion musulmane alors que nous n’étions ni l’un ni l’autre, le pari était perdu. Il y avait pourtant une très forte aspiration à la citoyenneté tunisienne chez les juifs. Ce fut un rendez-vous historique manqué. »

« Avant, on vivait en osmose, juifs, arabes et catholiques »

Autant que Michèle-Rachel Uzan s’en souvienne, son père n’a, à l’époque, pas été menacé. « Mais il avait peur. Après l’indépendance, il ne s’est plus senti chez lui. » « (Un jour) mon père s’était allongé par terre sur un journal pour réparer notre voiture en panne. Comme il y avait une photo de Bourguiba sur le journal, les policiers l’ont accusé de jeter le président au sol et l’ont convoqué au commissariat. »

Soixante ans plus tard, l’octogénaire qui souhaite rester anonyme en garde un souvenir aigu.Lire la suite

Source: www.la-croix.com

Un exode par vagues

1948. La création d’Israël suscite les premiers départs vers le nouvel État, notamment parmi les plus pauvres de la Tunisie de l’intérieur.

1956. L’autonomie interne de la Tunisie (3 juin 1955) puis l’indépendance du pays le 20 mars 1956 génèrent de nouveaux départs vers la France et Israël.

1959. La Constitution adoptée le 1er juin, qui proclame dans son article premier que la Tunisie a pour religion l’islam et pour langue l’arabe, accélère le mouvement.

1961. La bataille de Bizerte (19-23 juillet) entre la France et la Tunisie fait plusieurs milliers de morts côté tunisien. Beaucoup de juifs sont sommés de choisir leur camp.

1964. La loi sur la propriété agricole du 12 mai exproprie les étrangers propriétaires.

1967. Les juifs sont victimes d’exactions après la guerre des Six Jours (5-10 juin), qui génère un flot de départs. D’autres suivront jusque dans les années 1970.

(1) Dans La Vie errante, récit de voyages publié en 1890.

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