Le président Ruk Reccep Tayyip Erdogan et son homologue Libyen, Fayez Sarraj. Photo © /AP/SIPA

Comment la Turquie d’Erdogan recycle d’anciens combattants djihadistes dans des milices privées

Par Auteur Alexandre del Valle / Mercredi 23 septembre 2020 à 13:00
Alors que les Européens peinent à trouver une position commune face à la Turquie, Alexandre del Valle revient sur les liens ambigus que le régime d’Erdogan entretient avec le jihadisme international via d’étranges sociétés de mercenaires privées et des ONG au profil tout aussi surprenant.

Depuis la fin de l’année 2019, la société paramilitaire Sadat de Tanriverdi se serait associée à un opérateur libyen, le Security Side de Fawzi Boukatif, pour former les combattants du gouvernement d’union nationale (Tripoli) de Fayez Sarraj.

Et ce serait la compagnie aérienne libyenne Afriqiyah Airways ainsi que la compagnie al-Ajniha, propriété de l’ex-Jihadiste d’Al-Qaïda et artisan de la révolution libyenne armée, Abdelhakim Belhaj, régulièrement en Turquie et au Qatar, qui auraient transporté ces combattants de la Turquie à Tripoli.

C’est ainsi que des appareils atterrissent régulièrement sur l’aéroport de Matiga pour débarquer en Libye des combattants syriens des brigades islamistes fidèles à Ankara. « Nous sommes venus défendre l’islam en Libye, nous sommes l’armée libre », déclare ainsi un combattant syrien.

Autre confirmation de ces transferts de jihadistes de la Syrie vers la Libye: sur les réseaux sociaux, des pages consacrées à la guerre civile syrienne annoncent le décès de personnes ayant trouvé la mort en Libye de « martyrs venus défendre les Moujahidines de Tripoli ».

Rami Abdel Rahmane, le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), a lui-même confirmé à maintes reprises la présence combattants islamistes syriens et jihadistes en Libye.

Il a ainsi affirmé qu’en Syrie, « des bureaux d’inscription sont ouverts pour les combattants désireux d’aller combattre en Libye, dans les zones sous occupation turque au nord de la Syrie, précisément à Afrin. Nous sommes sûrs que des combattants appartenant à « l’armée nationale », ces forces fidèles à la Turquie, ont été transférés en Libye. En réalité, ce ne sont que des mercenaires parce qu’ils combattent hors de la Syrie, au service de la Turquie ».

 « Ces combattants sont transportés dans un premier temps vers Gaziantep, près de la frontière syrienne, et sont ensuite envoyés vers plusieurs aéroports d’où ils sont transportés vers la Libye. Ils combattent dans le cadre de sociétés de sécurité privées turques. La Turquie n’enverra pas son armée tant qu’elle trouvera des mercenaires prêts à faire le travail en Libye », a précisé Rami Abdel Rahmane.

Maints rapports accablants

D’autres rapports ayant fuité des services de renseignement turcs et de pays de l’OTAN, publiés par le Nordic Monitor notamment, ont mis en évidence les liens qui unissent la Turquie d’Erdogan à la nébuleuse jihadiste internationale, en Syrie, en Irak, en Somalie, au Soudan ainsi qu’en Libye, notamment.

Le 10 juin dernier, cette accusation a été corroborée par les quatre Hauts rapporteurs spéciaux des Nations Unies du Groupe de travail sur « la violation de l’embargo et les crimes de guerre et violations des droits de l’Homme en Libye par la Turquie et ses proxys jihadistes »^*, qui ont à cet effet envoyé à Ankara une « Lettre conjointe » officielle dont les conclusions ont diligenté une enquête de l’ONU.

Celle-ci pourrait d’ailleurs très bientôt déboucher sur des sanctions ou sur une condamnation officielle des Nations unies tant le scandale est désormais impossible à étouffer malgré l’effort de désinformation des autorités turques et qataries et des Frères musulmans, très actifs.

La lettre déplore notamment le fait que les milliers de combattants islamistes acheminés depuis le nord de la Syrie vers l’Ouest de la Libye par la Turquie via le groupe SADAT auraient été recrutés au sein de la rébellion islamiste syrienne et de factions radicales de l’Armée syrienne Libre (ASL) anti-Assad.

Tanrıverdi a d’ailleurs révélé publiquement avoir fondé lui-même cette Armée Syrienne Libre contre le président syrien Bashar al-Assad qui avait en fait tout de turc… Les factions jihadistes ensuite utilisées en Syrie comme en Libye par SADAT et liées à cette fausse « modérée » ASL sont notamment: les Brigades Suqur al-Sham, les Divisions Hamza, Sultan Murad, Mu’tasim, Faylaq al-Sham, Ahrar al-Sham, Ahrar al-Sharqiya, ou encore Suleyman-Shah.

Toutes ont été impliquées dans de graves violations des droits de l’homme et des crimes contre l’Humanité en Syrie, y compris trafic d’enfants et enrôlement d’enfants-soldats. L’enquête onusienne précise que ces groupes auraient été entraînés en Syrie et en Turquie puis acheminés en Libye via la Turquie à travers les check-points frontaliers de Hawar Kilis et Jaralabus avec des documents officiels fournis par Ankara.

La Lettre conjointe onusienne précise que ces mercenaires ont été recrutés et formés dans le cadre de « contrats » privés de six mois renouvelables (avec la supervision des services spéciaux turcs), par l’entreprise de mercenaires islamistes SADAT, qui les paie (avec l’argent du Qatar, ndlr) entre 500 et 2000 dollars par mois pour les combattants et jusqu’à 10 000 dollars de commissions pour les « apporteurs ».

Le document onusien déplore également le fait que la coopération militaire turco-libyenne (officialisée le 27 novembre dernier par deux memoranda d’understandings signés entre Ankara et les autorités islamistes de Tripoli) viole l’embargo sur les armes en Libye.

Ces accords sont en fait destinés à établir une présence militaire turque durable dans le pays, sachant que les bases turques font désormais face aux forces de Haftar.

Dans un récent rapport d’août 2020 publié par le Commandement Afrique du Pentagone, le groupe SADAT est accusé d’avoir « supervisé » en Libye 5000 mercenaires-jihadistes venus de Syrie, dont d’anciens membres de l’Etat islamique et d’Al-Qaïda déguisés en anciens membres de « l’Armée Syrienne Libre » (ASL), elle-même souvent alliée durant la guerre civile syrienne avec DAECH et Al-Qaïda, suivant les zones et les circonstances de la lutte anti-Assad.

Le rapport mentionne des « crimes de guerre » commis par les mercenaires-jihadistes acheminés en Libye depuis le théâtre syrien.

Le 10 juin 2010, un autre rapport, publié par les membres du « Groupe de travail des Nations unies sur la violation de l’embargo et les crimes de guerre et violations des droits de l’Homme en Libye par la Turquie et ses proxys jihadistes, dirigé par le « chef-rapporteur » nigérian Chris Kwaja et dont les conclusions ont diligenté une enquête de l’ONU, accuse la Turquie, la société SADAT, Adnan Tanriverdi et le gouvernement de Tripoli de complicités de « crimes contre l’Humanité » en Syrie et en Libye.

Le rapport d’enquête déplore la violation de l’embargo sur les armes en Libye, consacré par les deux « memoranda of understanding » turco-libyens signés le 27 novembre 2019 entre Tripoli et Ankara.

Ces accords très controversés (puisqu’ils ont aussi pour but de s’emparer de 40 % des eaux souveraines de la Grèce en vue d’une main basse sur le gaz-offshore), sont destinés eux-mêmes à établir une présence militaire turque durable dans le pays face aux forces anti-islamistes du maréchal Haftar, quant à lui aidé par le front anti-Frères musulmans et anti-jihadistes: la Russie, les Émirats arabes unis, l’Egypte, et, plus secrètement, la France.

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