Autour de Maurice Blanchot, Le livre à venir (Gallimard, Folio. essais)

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Je commencerai par un aveu : je suis venu aux écrits de Maurice Blanchot grâce à mon livre sur Emmanuel Levinas, à paraître à la fin du mois de juin 2018. Auparavant, je ne savais que très peu de choses sur lui.

Ce qui m’a retenu chez cet écrivain, plus littéraire que philosophe mais doté d’une incontestable profondeur, c’est son amitié avec Levinas et l’aide vitale qu’il lui a apportée concernant sa femme et sa fille durant l’Occupation.

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Maurice Blanchot dans les années 30.

Depuis, j’ai reçu une demi douzaine de recueils et d’œuvres de cet auteur. Je m’y suis mis aussitôt, mais ce fut un mauvais début puisque je me suis lancé dans une lecture mal préparée de Thomas l’obscur, un livre qui est resté encore plus obscur pour moi après l’avoir lu de la première à la dernière ligne…

Pourquoi cette rencontre ratée ? Probablement à cause de l’imaginaire dans lequel se développe ce petit ouvrage. Songez donc : je n’ai même pas pu accrocher une idée-force qui m’aurait servi pour faire une critique. J’ai donc benoîtement renoncé, jusqu’au moment où mon choix s’est heureusement porté sur Le livre à venir que j’ai dévoré avec l’impatience qu’on peut deviner…

Il s’agit ici d’un recueil de textes et de critiques littéraires avec des raisonnements clairs, des renvois à des œuvres identifiables, une écriture soignée et un style lisse. Rien de commun avec L’obscur Thomas qui m’a victorieusement résisté.

Blanchot se pose des questions métaphysiques sur l’art d’écrire. Pourquoi écrit-on ? Il s’agit assurément de romans et non de livres sur l’histoire ou sur la philosophie. Comment les écrivains, mais aussi les poètes, gèrent-ils cette réalité qu’ils tapissent de mots plus ou moins bien choisis ? Fuient-ils le réel ? Est-ce une manière de dénoncer l’absurdité de l’existence ? L’auteur de Native son (1940), Richard Wright, le pensait. Virginia Woolf n’était pas loin de le penser aussi, si l’on en juge par la résolution tragique qui fut la sienne… On retire des développements de Blanchot, critique littéraire, que l’écriture, le fait de tendre la main vers la plume (pour parler allemand), n’est pas un acte banal, ni anodin.

La nécessité se fait soudain sentir en une personne, homme ou femme, de verbaliser, de planifier, de consigner par écrit, sa vie, ce qu’il vit, et comment il ressent ce qu’il vit. Est ce un acte libératoire, une façon de se soustraire à un destin, une loi d’airain sous laquelle on serait condamné à vivre ?

En écrivant cela, une idée de Martin Heidegger me revient en mémoire : l’idée de Geworfenheit, la notion d’être littéralement jeté dans un milieu, un monde, une famille, une nation, ou un pays qu’on n’a guère choisis. Et pourtant il faut y vivre, s’assumer et donner un sens à sa vie. Faute de quoi, on se retrouve au bord du suicide… Et c’est hélas ce qui est parfois vraiment arrivé.

Le poète, comme le romancier et peut-être bien plus que lui, s’arrache au réel et lui substitue un monde éthérique, imaginaire ; ce n’est plus le monde des dimensions dont parlait Rilke, ce n’est plus qu’un univers intériorisé comme chez Hölderlin lorsqu’il parle de ses compatriotes allemands dont il dénonce sévèrement la nature si velléitaire.

Comment un si génial poète a-t-il trouvé ces vers d’une désarmante, d’une renversante simplicité, que personne n’avait découverts avant lui : Sous le pont Mirabeau coule la Seine ; ou Le ciel est au-dessus des toits…

Blanchot fait défiler devant nous une série de grands poètes et d’écrivains qui écrivent ou tentent d’écrire dans une quête lancinante de liberté. Mais se libérer de quoi ?

Du fardeau de l’existence, ressenti et vécu comme tel… En écrivant ces lignes, je pense (on ne se refait à nos âges) aux crises spirituelles traversées même par les plus grands philosophes : entre 1786 et 1788, Hegel lui-même traversa une telle crise.

Il éprouva un violent malaise en constatant que le cours immuable du monde ne coïncidait nullement avec ses sentiments personnels, avec sa subjectivité. C’est le lot de tout un chacun mais tout un chacun ne dispose pas d’un tel talent. Blanchot parle de Goethe dont le Werther a tant influencé la jeunesse allemande de l’époque…

Mais j’ai trouvé géniales les pages, au tout début, consacrées, au Chant des Sirènes et à Ulysse. On imagine une sorte de fusion parfaite, identitaire, entre le monarque d’Ithaque, l’époux voyageur de la belle et si fidèle Pénélope, d’une part, et Homère, d’autre part.

Le symbolisme de ce roi qui se fait ligoter au mât du navire pour ne pas tomber dans le piège des Sirènes tout en ne résistant pas à l’envie de jouir de leur chant si envoûtant mais aussi mortifère. La citation en note du commentaire de Jean Starobinski est bienvenue.

Et l’écrivain est un peu dans la situation d’Ulysse : ils se livre à son passe-temps favori bien que cela risque parfois de lui coûter la vie.

On parle aussi du temps et de sa relation à l’écriture : sans remonter à l’Ecclésiaste et à sa conception binaire, antinomique de la vie, il faut bien reconnaître que les moments propices à l’inspiration du poète ou du romancier se font parfois attendre.

Et comment savoir de manière indubitable que le produit est achevé, que l’œuvre est parachevée, prête à être livrée au public ? Il est un temps pour écrire, pour réécrire, pour livrer… Mais n’oublions pas tous ces écrivains, plus ou moins célèbres et talentueux qui commandent de brûler leurs écrits, pire qui le font eux-mêmes…

Voir le cas de Franz Kafka et Max Brod : Marthe Robert avait jadis écrit un très beau livre, intitulé Seul comme Franz Kafka, car la solitude est un ingrédient majeur dans la création littéraire.

Blanchot parle de Joubert (XIXe siècle) et du vide qui génère un grave vertige quand on s’y confronte : Il en conclut hardiment que ce vide et cette absence sont le fond même des réalités les plus matérielles, au point, dit-il, que si l’on pressait le monde pour en faire sortir le vide, il ne remplirait pas la main… (p 81) Le problème, c’est que ce vide peut vous conduire au désespoir, voire à la mort.

Dans ce recueil, Blanchot s’intéresse aussi à la tradition juive, notamment à l’essence du prophétisme d’André Néher et qu’il recense longuement ici.

Citons un passage significatif dans un compte rendu déjà bien long : (p 123) : Ces deux manières de lire sont illustres et ont pris naissance il y a bien des siècles. Pour n’en citer qu’un exemple, l’une a conduit aux riches commentaires du talmud, l’autre aux expériences extatiques du kabbalisme prophétique, liées à la contemplation et à la manipulation des lettres.

On trouve aussi une fugitive allusion au Golem ainsi qu’à l’aleph… En somme, un beau recueil d’une grande richesse. Nous reviendrons sur Blanchot dans nos prochaines chroniques…

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

Le nouveau cycle de conférences, Au

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