Le fondateur de « Raqqa massacrée en silence » raconte comment son groupe est devenu une « voix de la souffrance »

Raqqa, une ville à peine connue au-delà des frontières de la Syrie avant la guerre civile, est désormais célèbre dans le monde entier pour être devenue la capitale de facto du groupe djihadiste de l’Etat islamique (EI). Appelée un certain temps la « fiancée de la Révolution », elle fut la première ville que le président Bachar al-Assad a perdu contre les combattants rebelles.

La ville d’un million d’habitants est d’abord passée sous le contrôle de l’Armée syrienne libre (ASL) et d’autres groupes rebelles en 2013, puis sous celui de l’EI en 2014.

Depuis, l’opposition au groupe ainsi que tous les médias indépendants, ou non affiliés à l’EI, ont été réduits au silence, par la violence ou par de simples menaces d’exécution. Mais un groupe de jeunes militants ont décidé de prendre un risque immense en lancant une campagne de graffitis anti-EI dans la ville.

C’est ainsi qu’est née Raqqa is Being Slaughtered Silently (Raqqa massacrée en silence), une campagne en ligne visant à attirer l’attention des résidents sur ce qui se passe dans leur ville, et à montrer au monde extérieur la vie sous le califat de l’EI.

Abdalaziz Al-Hamza, l’un des fondateurs du groupe, a confié à i24news que ses amis et lui ont décidé de devenir la « voix de la souffrance de la ville », après avoir constaté que les recherches sur internet au sujet concernant leur ville natale ne généraient que de la propagande, elle-même relayée par les médias internationaux. Le groupe, composé d’environ 70 militants, a donc commencé à publier des photos et des vidéos prises clandestinement dans la ville, prenant ainsi d’énormes risques, pour montrer la vie sous le Califat.

Al-Hamza vit aujourd’hui à Berlin, après avoir été contraint de fuir Raqqa. Il est devenu le porte-parole international du groupe devenu une cible privilégiée de l’EI, qui a mis à prix la tête de ses membres.

Avant la prise de contrôle de l’État islamique, Raqqa était une « ville normale », dit al-Hamza. Les femmes avaient la liberté de porter des vêtements occidentaux et pouvaient choisir de couvrir leurs cheveux avec un hijab ou non. Il se souvient de la joie qui a éclaté dans la ville, quand elle fut libérée des forces d’Assad par l’ASL.

« C’était la meilleure époque, parce que nous pouvions faire tout ce que nous voulions, » explique t-il. « Si quelque chose n’allait pas, je pouvais aller dans les rues et manifester. Nous pouvions tout changer. Jusqu’à ce que l’EI arrive ».

Anna Ahronheim/ i24news

Anna Ahronheim/ i24news
« AbdAlaziz Alhamza »

« Le premier groupe d’activistes de l’EI est arrivé dans deux voitures ne contenant pas plus de 10 combattants », dit-il. Mais plus tard, ils ont annoncé officiellement la formation de l’Etat islamique, et ils sont devenus plus puissants. C’est alors qu’al-Hamza et ses camarades militants ont réalisé que leur ville natale avait été prise par un groupe extrémiste dangereux.

« Ces hommes sont arrivés dans notre ville, et nous disaient ce que nous pouvions faire et de pas faire, ils ont imposé leurs règles. Cela a mis vraiment en colère les citoyens. Mais ils ne pouvaient pas se soulever. Parce que si vous vous soulevez, si vous n’êtes pas d’accord avec l’EI, vous êtes mort ».

Al-Hamza s’est fait connaître comme militant dans la ville, ce qui lui a rapidement valu de se retrouver dans le viseur des djihadistes de l’EI. Après avoir été sousmis à quatre interrogatoires, des membres de l’EI ont un jour frappé à la porte de sa maison. Il n’y était pas heureusement, et a compris qu’il n’était plus en sécurité à Raqqa. Avec de faux papiers d’identité, il a pu rejoindre la Turquie. Craignant pour sa sécurité, il a gagné Berlin en passant par la Grèce.

Alors que certains membres du groupe ont fui Raqqa, des dizaines d’autres y vivent toujours. Ils couvrent les murs de ville de slogans anti-EI et distribuent des bulletins d’information. Ils envoient aussi des nouvelles et des messages codés aux membres du groupe en Europe et en Turquie pour qu’ils les téléchargent sur leur site web, sur leurs pages Facebook et sur leurs comptes Twitter.

« Les membres du groupe « Raqqa massacrée en silence », tués par l’État islamique. En haut à gauche: Ibrahim Abd al-Qader. Au centre: Fares Hamadi. En haut à droite: Deux citoyens et le père de l’un des fondateurs du groupe. A gauche, en bas: Ahmad Mohamed Almossa; En bas au centre: Naji Jerf »

« Nos intentions de départ étaient bien modestes. Nous étions quelques gars dans leurs chambres, à parler sur skype. Nous sommes maintenant cette organisation qui lutte pour notre ville, et notre voix est puissante », constate al-Hamza.

Cependant, des militants du groupe, des membres de leur famille et des civils, simplement soupçonnés d’appartenir à l’organisation ont été exécutés.

« Ceux qui poursuivent la lutte à Raqqa sont mes héros. Ce ne sont pas des gens normaux, ils sont comme des anges. Ils mettent leur vie en danger pour prendre une photo, une vidéo, raconter une histoire. Ils se battent pour leur ville. Ils pourraient fuir leur ville et aller en Europe. Mais ils restent parce qu’ils savent qu’il n’y a personne d’autre feront tout ça à leur place. »

Anna Ahronheim est journaliste et spécialiste défense chez i24news.

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