Avec un texte d’Eli Wiesel, Steve Kalfa propose de nous entraîner dans les méandres des grands évènements contemporains de l’histoire du peuple Juif, pour un voyage qui nous invite au questionnement, ferment de l’identité juive

Les étranges hasards du calendrier

Une œuvre c’est une rencontre. Et c’est toujours passionnant d’en connaître la genèse. D’abord, il a fallût que Steve Kalfa, tente de déchiffrer le succès de son premier spectacle « Le chandelier enterré ». En quoi avait-il répondu à l’attente de ce public francophone israélien, et qu’est-ce qui avait motivé son engouement pour son travail ?

Bien sûr, il y a une vraie demande de spectacle au sein de la communauté francophone, en manque d’évènements culturels. Pour autant, elle a une exigence de qualité, à laquelle Steve Kalfa semble avoir su répondre. « Je pense qu’il y a un désir très profond, à la fois en Israël et en France, d’aller à la source de l’identité juive, qui doit constamment être enrichie et questionnée. Sinon avec le temps, et la modernité du monde qui nous entoure, elle vient à s’étioler et le danger de s’en éloigner menace », explique l’artiste.

Steve Kakfa s’est donc mis en quête d’un texte, grâce auquel il pourrait poursuivre ce questionnement. Mais il n’a pas trouvé sa matière en un jour. «  Je ne me suis pas fixé sur Eli Wiesel tout de suite. Je pensais à priori que ce serait difficilement « faisable » de l’adapter, car c’est une œuvre extrêmement dense. J’ai donc exploré l’œuvre d’autres auteurs israéliens contemporains, avant Wiesel. Et finalement, j’ai été interpellé par ‘Le Mendiant de Jérusalem’, car justement il permettait de poursuivre cette exploration de l’identité juive et des menaces qui pèsent sur elle ». Et c’est là que le hasard du calendrier s’en est mêlé pour lui donner raison. « J’ai alors constaté que la première du spectacle coïnciderait avec le cinquantenaire de la guerre des six jours et la libération de Jérusalem, que nous fêtons cette année, et qui se trouve justement au centre de ce récit ».

En effet, quelle formidable façon de commémorer ces évènements majeurs de l’histoire d’Israël, que de le célébrer cette anniversaire avec le génie littéraire de Wiesel et un texte écrit en Français, qui relie l’histoire de ce jeune Etat à celle du peuple Juif. Ce texte s’est donc imposé. Et comme pour le conforter dans ce choix, à sa grande surprise, Steve Kalfa a sollicité les droits de cette œuvre, au moment de la mort de son auteur, en prenant conscience que les premières représentations surviendraient au premier anniversaire de sa disparition.

Un Hassid sans l’habit

La guerre des six jours n’a pas été une guerre « ordinaire ». Et Si Wiesel n’emploie jamais le mot de miracle, il n’en reconnaît pas moins que ce n’est pas une victoire rationnelle, qu’a remporté le jeune état. Cette foi dans le peuple Juif, Israël et le projet divin, est sans doute celle du Hassid qu’est resté Wiesel, même s’il n’en portait plus l’habit, s’inscrivant avec sa foi dans la destinée du peuple juif, dans le sillage de celle de son père et de la communauté de son enfance.

D’où peut-être sa volonté de donner du sens à l’histoire avec le « Mendiant de Jérusalem ». Cette œuvre littéraire parue en octobre 1968 aux éditions du Seuil, a valu à son auteur, Elie Wiesel, le prix Médicis cette même année. Le récit de la guerre des six jours, de la libération de Jérusalem et du Mont du Temple, sous la plume d’un prix Nobel de la paix, a un pouvoir évocateur immense et agit comme un révélateur du sens de l’histoire, dans la mesure où ce texte fait le lien entre l’histoire contemporaine d’Israël et les grands évènements qui ont marqué l’histoire du peuple Juif.

 

Révéler le sens de l’histoire

Car on n’a pas toujours la clé qui permet le décryptage des évènements auxquels on participe. Souvent, c’est le recul du temps qui fait effet de révélateur. David, le narrateur, survivant de la Shoah, raconte les évènements qu’il est en train de vivre au présent, tout en faisant des allers retours narratifs avec d’autres évènements du passé. « On fait donc un va et vient constant, d’un lieu et d’une époque à l’autre », « du « temps de la nuit », comme dit Wiesel, à la guerre des 6 jours, sans qu’il y ait apparemment de lien », explique Kalfa. « Pourtant il en existe un, et c’est justement l’histoire de ce peuple. Cette histoire a un sens et une direction, même si on n’est pas forcément capable de la lire, au moment où nous la vivons alors que nous sommes immergés dedans au quotidien », souligne l’artiste. De plus, « pour Wiesel, l’humanité va dans une direction positive », rappelle Kalfa.

Elie Wiesel a eu au cours de sa vie, plusieurs rendez-vous avec la grande histoire. « Il était déjà en Israël lorsque la guerre des 6 jours a éclaté, – parce que je redoutais une catastrophe -, a-t-il écrit dans son introduction, que j’ai intégrée à mon adaptation », souligne Kalfa. « Et c’est grâce à un ami gradé, qu’il a pu la vivre de l’intérieur ».

Et en ponctuant le récit qu’il en fait, comme un reporter d’image, par des allers-retours entre le « temps de la nuit », celui de la shoah, et la guerre sanglante pour la survie d’Israël, Jérusalem et le Mont du Temple, à laquelle il assiste en direct aux côtés des acteurs de ces évènements majeurs de l’histoire d’Israël, Elie Wiesel met en lumière ce lien, qui fait sens sous sa plume : il s’agit toujours d’un seul et même peuple, qui traverse toute l’histoire.

Impossible alors de ne pas mettre ce récit en perspective avec l’histoire contemporaine d’Israël qui s’écrit au jour le jour et dont nous sommes en tant qu’israéliens partie prenante. «  Les Juifs à la mer » ce slogan cher aux arabes de l’époque, est toujours d’actualité », pointe Kalfa. Et c’est alors qu’à la faveur de ce ballet d’allers retours, il en surgit en autre en creux avec notre temps, qui semble nous interpeller pour nous dire : le caractère israélien de ce peuple ne doit pas dissoudre son caractère juif.

Vers une culture francophone israélienne… juive ?

Steve Kalfa, joue tous les personnages : David, le conteur, survivant de la shoah, et les mendiants, personnages hauts en couleur, qui évoquent la comedia del arte, et le cinéma des années 80. Mais ce n’est pas seulement en scène qu’il joue tous les rôles. Producteur, scénographe, metteur en scène, acteur, son travail artistique se teinte d’un certain militantisme. L’objectif est de participer à la création d’une culture francophone israélienne. D’où sa volonté de créer « de l’intérieur ». Une démarche nouvelle, qu’a engendré sa tchouva, faite dans le sillage de celle de sa femme et de leur alya. « Bien sûr c’est formidable que des spectacles montés en France, viennent se produire ici. Mais c’est important d’inverser la tendance et d’exporter des spectacles créés en Israël, en diaspora. D’ailleurs, « Le Mendiant de Jérusalem » devrait se jouer aux Etats-unis en 2018 » souligne Kalfa. Mais il ambitionne aussi de redonner vie au théâtre juif d’avant la nuit, un théâtre à portée universelle, qui fût florissant, auquel des artistes israéliens, en Israël, donneraient souffle. Une façon de faire écho à ce sens du lien, sublimé par Wiesel, offrant à la création israélienne francophone sa facture, en mettant en lien ce peuple juif d’avant la nuit, avec ce peuple juif en Israël aujourd’hui, par le prisme de la création artistique. C’est aussi pourquoi Kalfa espère pouvoir donner à son travail une plus grande visibilité, en l’ouvrant aux anglophones et aux hébraïsants, afin de fédérer le public israélien dans sa diversité, autour d’un même projet, en le décloisonnant.

Un façon aussi de donner à ses spectacles une chance de se rentabiliser. Car il sera encore plus difficile de monter les pièces de ce théâtre Yiddish à portée universelle, qu’il veut faire redécouvrir, et qui nécessiteront de mobiliser plusieurs comédiens, des décors, et des montages financiers plus articulés. Car pour l’heure la production de spectacles francophones manque encore de soutien. « J’ai eu des fonds de la municipalité de Jérusalem, mais pas sans peine, malgré le sujet, le calendrier, et le succès du chandelier enterré », souligne Kalfa. C’est pourquoi, dans l’attente de subventions du ministère de la culture israélien, dont la création francophone ne saurait être exclue, c’est de l’adhésion du public que dépend la viabilité de cet élan créatif, qui a sa raison d’être si l’on souhaite se doter d’une culture plurielle et vivante.

Donner une âme à la culture francophone israélienne

Car ce texte serait-il encore plébiscité s’il avait été écrit de nos jours ? Les Nations pourraient-elles encore applaudir en entendant comme en 1967, l’historique « Le Mont du Temple est entre nos mains » ? Et se féliciter de cette victoire ? A l’heure ou sous la pression du monde arabe, l’UNESCO adopte des mesures infâmes, qui nient le lien indéfectible du peuple Juif avec le Mont du Temple, Elie Wiesel serait-il encore couronné du prix Médicis ?

Parce qu’avec son travail, Steve Kalfa ne nous propose pas seulement un rendez-vous avec une œuvre littéraire, mais qu’il est aussi porteur d’un projet pour le peuple Juif, celui d’explorer la grande histoire de son identité, le public se doit d’être au rendez-vous. A l’heure où nous en sommes encore à mendier la reconnaissance de l’identité juive de notre Etat, de sa terre et du Mont du Temple, nul doute qu’il se fera une joie de répondre présent.

Kathie Kriegel

Tournée israélienne prévue à partir du 15 octobre puis tournée française

 

 

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