1948, la première guerre israélo-palestinienne et l’exil de 700.000 Palestiniens a forgé le sentiment national d’une population sans Etat.

Mais un village échappe totalement à ce schéma: l’unique bourg à avoir «choisi» le camp israélien.C’est le village qui a arraché aux Libanais, en janvier 2010, le record du plus grand houmous du monde.

Sa purée de pois chiches, 4 tonnes à la pesée, figure aujourd’hui dans le Guiness des Records.

Mais cette bourgade musulmane de 6.500 habitants située à une dizaine de kilomètres de Jérusalem, n’en tire pas là sa seule particularité.

Sur une trentaine de villages, elle est la seule localité palestinienne à avoir subsisté à l’ouest de Jérusalem après la guerre israélo-arabe de 1948.

Abu Gosh, c’est en réalité un clan, dont les racines remontent au XVIe siècle.

Le patriarche Abu Gosh et ses quatre fils: Jaber, Ibrahim, Abdel Rahman, Othman. Les habitants d’aujourd’hui sont leurs descendants directs.

Ce clan a choisi un point de chute stratégique: sur la route entre la dune de sable côtière qui allait devenir Tel-Aviv, et Jérusalem.

Abu Gosh a, depuis toujours, été considéré comme l’antichambre de la ville sainte par tous ceux qui la convoitaient: c’est d’ici que, selon la légende, le roi Richard Cœur de Lion aperçut pour la première fois Jérusalem lors de la troisième croisade.

Un clan à part

Impossible de comprendre le destin des Abu Gosh sans évoquer leur lutte de pouvoir avec les autres clans de Jérusalem, comme les Husseini, famille du Grand mufti de Jérusalem de l’entre-deux-guerres, Hadj Amin al-Husseini.

Un affrontement qui va contribuer à déterminer les choix futurs de la tribu:

«Les Abu Gosh ont été LA famille qui compte durant l’Empire ottoman.

Le leadership des Husseini s’est, lui, imposé au détriment des Abu Gosh durant la période du mandat britannique», explique Isser Jaber, adjoint à l’éducation à Abu Gosh.

Le clan des Husseini se prononce dans les années 1920 contre une immigration juive massive en Palestine.

Les Abu Gosh prennent le contrepied, se faisant les hérauts d’une coexistence arabe-juive en Palestine.

Le Sheik Sayid Abu-Gosh s’oppose ainsi à un décret défendu par les Husseini devant le Haut-Comité arabe de Haïfa contre l’immigration juive.

Dans les années 1920-1930, il vend même plusieurs dizaines d’hectares de terre à de nouveaux immigrants juifs qui établiront plusieurs kibboutzs, comme Kiryat-Anavim et Maale-Hachamisha.

En représailles, des leaders de la tribu des Abu Gosh se font assassiner par des membres des autres clans.

1948: l’heure du choix

Le 14 mai 1948, le mandat britannique sur la Palestine prend fin.

L’armée anglaise se retire conformément au plan de partage du territoire en deux Etat indépendants, adopté le 29 novembre 1947 par l’ONU.

Le lendemain, les pays arabes déclarent la guerre au jeune Etat juif.

A contre-courant, le village d’Abu Gosh choisit activement ou passivement le camp d’Israël.

L’adverbe varie en fonction des pro et anti Abu Gosh…

Durant la bataille pour le contrôle de Jérusalem, les armées arabes ferment la route de Tel-Aviv à la Ville Sainte, au niveau de Castel, un autre village palestinien, coupant l’approvisionnement vital en vivres et armement.

Les Israéliens construisent alors, en 8 semaines, une voie alternative connue sous le nom de «route Burma».

Des habitants d’Abu Gosh participent alors au chantier.


Burma road

En parallèle, les kibbouz(im) voisins fournissent une protection armée au village contre notamment les franges les plus radicales des organisations armées sionistes, comme l’Irgoun.

Durant les émeutes arabes antibritanniques et antisionistes des années 1936-1939, les habitants d’Abu Gosh avaient auparavant contribué à la protection des localités juives voisines.

Résultat: au terme de la première guerre israélo-arabe, Abu Gosh est immédiatement reconnu par le premier gouvernement israélien comme une localité aux droits politiques et administratifs strictement identiques aux autres villages israéliens.

Le contre-exemple palestinien

Son destin singulier a fait du village l’antithèse même du langage national palestinien.

Le clan Abu Gosh fait, certes, partie de la «famille» palestinienne.

Mais à ses yeux, il fait plutôt office de frère «indigne».

L’identité palestinienne en question

La singularité d’Abu Gosh se remarque jusqu’à la décoration du bureau du maire, Salim Jaber.

En bonne place: le drapeau israélien et la bannière d’Abu Gosh.

Aucun drapeau ou bibelot palestinien mais un portrait insolite, celui du président tchétchène Ramzan Kadyrov.

Les habitants d’Abu Gosh situent leurs origines dans ce petit territoire du Caucase et non dans les entrailles de la Palestine originelle, comme de nombreuses familles palestiniennes.

Mais comment les habitants d’Abu Gosh se définissent-ils aujourd’hui?

«C’est variable.

Une minorité se considère palestinienne, une autre uniquement israélienne.

La majorité se voit comme des Arabes israéliens, explique Isser Jaber.

Notre identité palestinienne se limite à un folklore et à des traditions auxquels nous sommes très attachés.»

Dans le nord de l’Etat hébreu au contraire, où se concentre la minorité arabe, on préfère ouvertement évoquer une nationalité «palestinienne d’Israël» plutôt que «arabe-israélienne».

Une nuance dialectique qui prend toute son importance sur une terre, épicentre d’une guerre des mots (terroristes/martyrs; colonies/implantations…)

La «Nakba»

Pour les Palestiniens, le souvenir de la «Nakba» (la catastrophe, célébrée le 15 mai), qui marque la fondation de l’Etat d’Israël, reste le ciment de leur quête nationale.

L’histoire singulière d’Abu Gosh met le village en porte-à-faux.

Ses relations avec les Palestiniens de Jérusalem-Est, en particulier, sont «difficiles»:

«Abu Gosh reste un village qui a choisi clairement Israël en 1948 contre les autres Palestiniens: il a donné aux Israéliens des informations, un soutien logistique.

Il n’a pas vécu la même histoire que nous», explique Mohammed gérant d’un café littéraire à Jérusalem-Est.

«Aussi, il y a toujours un contentieux même s’il est souterrain.

Je n’aurais pas forcément extrêmement confiance si je devais faire du business avec les habitants d’Abu Gosh.»

Pour le village, il s’agit d’un procès injuste.

Le maire Salim Jaber réfute l’idée d’un choix actif en faveur d’Israël au profit d’une neutralité réaliste:

«Nous n’avons pas tiré sur nos “frères” palestiniens.

Nos leaders de l’époque ont juste été suffisamment sages pour faire le meilleur choix vu les circonstances.

Après la guerre, ils ont compris qu’un Etat juif serait formé en Palestine.

Il ne faut pas oublier qu’Abu Gosh est situé à l’ouest de Jérusalem.

Selon le plan de partage des Nations unies, nous étions de toute façon dans la partie réservée à l’Etat hébreu.»

Même si Abu Gosh aspire à se détacher de l’année 1948, elle revient tous les ans, au printemps, dans les écoles: faut-il dire dire Fête de l’Indépendance ou Nakba?

Dans le village, on a coupé la poire en deux: on évoque ni une catastrophe nationale, ni un combat pour l’indépendance au profit du terme plus neutre de «guerre de 1948».

Les réfugiés

Autre pierre angulaire de la lutte palestinienne: le drame des réfugiés.

Mis à part quelques habitants d’Abu Gosh qui ont fui en Jordanie, le village ne porte pas le poids de l’exil mais plutôt celui de l’absence d’exil:

«On nous en veut car nous avons choisi de rester là où nous appartenons.

Cela n’a pas été une décision facile.

Nous avons risqué notre vie en 1948 en restant sur place, se défend le maire Salim Jaber.

Nos chefs ont fait le bon choix à l’époque.

Ils nous ont épargné l’errance.

Ce n’est pas de notre faute si d’autres ont tout quitté.

Ils nous envient, on le comprend, mais nous n’y sommes pour rien.»

Abu Gosh fait ainsi figure d’exception.

Son arbre généalogique est pratiquement resté intact alors que la démographie palestinienne s’est forgée autour de la notion de déplacement.

Ainsi, près de deux habitants sur trois à Gaza sont considérés comme des réfugiés, originaires du sud ou de la zone côtière de l’actuel Israël.

Israéliens modèles

Mais si la pilule du «choix de 1948» a du mal à passer, à l’est de Jérusalem, c’est surtout qu’Abu Gosh s’intègre pleinement à l’Etat israélien:

«Ce qui est difficile à accepter, c’est que des jeunes d’Abu Gosh rentrent dans la police israélienne», explique Mohammed.

Dans le village, on rétorque que ceux qui portent l’uniforme israélien proviennent surtout de deux unités d’intervention d’urgence fondées en 2006: «Elles portent secours, elles ne combattent pas», explique le maire.

Reste que l’image de premier de la classe d’un village élevé au rang d’icône de la coexistence par Israël et les pays occidentaux (il abrite également plusieurs familles juives), ne contribue pas à renforcer la popularité du clan Abu Gosh auprès des Palestiniens, ou même des autres arabes d’Israël.

Un rapide passage dans Abu Gosh suffit à éveiller la «jalousie» de certains: des rues impeccables, un mobilier urbain flambant neuf, des 4×4 et des villas huppées.

Le village est plutôt gâté par le ministère des Finances israélien.

Il vient de recevoir un chèque de 10 millions de shekels (2 millions d’euros) pour construire 9 crèches.

Chaque année, il reçoit de généreux bonus du gouvernement qui vient récompenser «une bonne gestion du budget et un calme exemplaire».

Un luxe pour d’autres villes arabes du nord du pays qui s’estiment «oubliées» par le portefeuille du gouvernement.

Conscient du malaise que la situation enviable d’Abu Gosh peut provoquer, le maire évoque à nouveau le principe de réalité:

«75% de notre budget vient du gouvernement.

Nous n’avons quasiment aucune ressource propre.

Ni industrie, ni agriculture.

Notre survie réside dans notre intégration à Israël, l’Etat auquel nous appartenons et dont nous reconnaissons les principes et la justice.

Notre avantage par rapport aux Palestiniens et aux autres arabes d’Israël est que nous savons nous adapter.

Nous ne sommes pas enfermés dans une rhétorique radicale et stérile contre Israël.»

«Collabo» pour les uns, «exemplaire» et «pragmatique» pour les autres, l’exception Abu Gosh dépend surtout de la grille de lecture qu’on lui applique.

LA colonne vertébrale du conflit.

Hélène Jaffiol / Slate.fr Article original

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Israël Nations Unies Plan de Partage Israël Arabes Israéliens

World’s largest Hummous Guiness book Mandat Britannique

Empire Ottoman Husseini Coexistence

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