Michel Houellebecq, Sérotonine (Flammarion): entre cynisme et tendresse par Maurice Ruben Hayoun

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Il est très difficile pour un philosophe d’analyser un roman car il risque de sur interpréter certains thèmes, assez récurrents dans l’œuvre de Michel Houellebecq (désormais M.H.) et de leur conférer une importance qu’ils n’ont peut-être pas eu dans l’esprit de leur concepteur, mais qui tous gravitent autour de l’accès au bonheur, des relations erratiques entre les hommes et les femmes, la volonté de tout centrer autour du sexe avec parfois d’émouvantes réflexions (quasi philosophiques) sur le sens à donner à la vie en général.

Ce qui domine dans l’œuvre de cet écrivain doué et qui dispose d’un style plutôt bon, c’st le mal-vivre, le temps qui passe inexorablement, avec cette attente douloureuse d’une vieillesse à laquelle nul n’échappe, les ennuis de santé (notamment l’appétence sexuelle qui baisse pour ensuite disparaitre en totalité…), bref tout ce qui sépare le bonheur du malheur, la vie agréable d’un fardeau insupportable, pouvant vous mener au suicide pur et simple.

Particulièrement cruelles sont les descriptions de l’usure corporelle des femmes jadis aimées et qui ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. D’autres fois, les femmes sont présentées comme des substances abrasives au contact desquelles l’hommes finissent eux aussi par dégénérer…

Cet écrivain tente à longueur de pages de dénoncer l’absurdité de l’existence humaine. Une fois ou deux, tout au plus, notamment à la fin du livre, il confiera que rien ne vaut vraiment la peine ici-bas, hormis l’amour mais tout l’ouvrage tend à démontrer qu’il est difficile, voire impossible à trouver.

Et l’auteur-narrateur lui-même reconnaît s’être rabattu sur le sexe, faute d’amour. Car les plus belles amours qu’il a vécues sont des amours mortes… Il y a chez M.H. une vraie fonction remplie par la nostalgie : le passé détermine beaucoup, peut-être même trop l’existence de celui qui parle ici à la première personne.

Et pourtant, ce qui rend aisé mais toujours agréable la lecture d’un auteur comme M.H. c’est cette manière qu’il a d’aborder toutes ces choses du quotidien de tout un chacun ( la vie, la mort, le sexe, la jouissance, les femmes, l’amour, l’amitié, les parents, les voisins, les collègues, etc…) ; il les expose avec gravité, parfois même d’une manière poignante, mais sans pathos surfait.

Et puis, il y a dans tous ses livres ce rapport dialectique entre l’auteur et le narrateur, au point qu’une fusion totale finit par s’opérer, le plus souvent à l’insu du lecteur qui ne s’en trouve guère dépaysé.

Le thème le plus récurrent et qui constitue la trame de tous les livres de M.H., c’est assurément l’amour dans sa forme la plus concrète, la plus charnelle, si j’ose dire, ou plutôt les relations avec les femmes, en général, afin de rendre l’existence plus supportable, en y introduisant un peu de plaisir.

Maintes organisations féminines, et pas nécessairement féministes déclarées, lui reprochent vertement sa conception apparemment méprisante des femmes. On peut comprendre cette réaction car l’auteur s’attarde sur des détails assez choquants ou donne du comportement des femmes des descriptions (et Dieu sait qu’il en a connues quelques unes et que le sujet le passionne) peu flatteuses.

Mais peut-être n’est ce là qu’une sorte de dérivatif, un paravent, c’est-à-dire la volonté de sacrifier à un rite qui consiste à complaire à l’exigence d’une partie de ses lecteurs qui veulent de tels détails… Il est vrai que de tels développements sont si fréquents et si appuyés qu’on en vient à identifier l’auteur-narrateur avec les récits qu’il nous donne.

Mais il faut aller au-delà de cet aspect réducteur de l’œuvre : le titre même de ce nouveau roman évoque un antidépresseur puissant mais qui n’est pas sans effets indésirables, notamment sur le plan de l’appétence sexuelle qui représente un aspect absolument primordial dans la vie de notre auteur-narrateur…

Il déplore la situation qui est faite à l’homme occidental qui doit se plier à tant d’exigences menaçant, parfois gravement, sa virilité. Il doit constamment s’affirmer en tant que mâle, lui qui déplore que nous soyons presque tous des «quadragénaires fourbus».

Quand l’un de ses camarades d’étude, le seul qu’il ait jamais eu dans sa vie, lui conte le naufrage de son existence, à la fois privée et professionnelle, M.H. se contente de compter le nombre de verres de Vodka ou de Chablis que les deux déprimés ingurgitent pour oublier leur dépression… Mais, à nouveau, faut il se concentrer sur de tels détails sordides ou, au contraire, s’attarder sur les passages qui réfléchissent sur notre existence ?

Voici un exemple allant, selon moi, dans le bon sens : tout ce que M.H. dit dans ces romans sur les femmes n’est guère reluisant, et pourtant en page 100 M.H. nous émeut vraiment quand il narre la séparation d’avec Kate, cette belle Danoise qu’il regrette vraiment et même s’il ne peut s’empêcher d’user d’un registre lexical assez cru, on sent l’homme atteint par cette séparation qui s’opère sous ses yeux, au plus profond de lui-même :
… et sa voix était si fraîche, c’était comme plonger sous une cascade à la fin d’un poussiéreux après-midi d’été, on se sentait aussitôt lavé de toute souillure, de toute déréliction et de tout mal..

Il est rare de lire de telles considérations sous la plume de M.H. A ma connaissance, c’est la première fois qu’il parle dans ce même livre de pureté, certes, il n’utilise pas le terme, mais quand il dit qu’il se sent lavé de toute souillure, de tout mal, cela revient au même.

La suite du récit est tout aussi émouvante ; l’auteur-narrateur décrit les rares mais chaudes larmes qui coulent en silence et presque sans témoin sur les joues de cette femme tant aimée. On est dans un cadre presque classique lorsque les amants savent leur amour impossible et se disent adieu sur le quai d’une gare.

Tout espoir d’un au revoir est vain. Pour la première fois, M.H. dit du bien d’une femme, pour une fois il vante ses capacités intellectuelles, ne la limite pas à son sexe, et finit même par s’adresser de vifs reproches :
Pour cela, je mérite la mort et même des châtiments beaucoup plus graves, je ne peux pas me le dissimuler : je terminerai ma vie malheureux, acariâtre et seul, et je l’aurai mérité. Comment un homme l’ayant connue, pouvait il se détourner de Kate ? C’est incompréhensible.

Mais quelques pages à peine avant cette touchante confession, l’auteur-narrateur se livre à une curieuse théorie sur l’entente ou plutôt la mésentente entre les hommes et les femmes :
l’amour ne peut se développer que sur la base d’une certaine différence, que le semblable ne tombe jamais amoureux du semblable… Si encore l’on pouvait se limiter à des sujets immédiats et concrets — où sont les clés du garage ?— ça pourrait encore aller, mais au-delà commence le règne de la désunion, du désamour et du divorce.

Parfois, con croit lire des propos d’une tonalité rappelant la dépression de l’Ecclésiaste (qu’il cite un peu plus loin) (p 158) :
J’ai connu le bonheur, je sais ce que c’est, je peux en parler avec compétence et je connais aussi sa fin, ce qui s’ensuit habituellement. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé…

Dieu, dit l’auteur-narrateur, est un piètre scénariste, toute sa création se caractérise, ajoute t il, par un ratage total et d’innombrables approximations. Et enfin cette phrase qui clôt le chapitre :
Le monde extérieur était dur, impitoyable aux faibles, il ne tenait presque jamais ses promesses et l’amour restait la seule chose en laquelle on puisse encore, peut être, avoir foi.

Après le sexe, l’amour et quelques autres thèmes comme la nourriture et les boissons de préférence alcoolisées, le thème dominant est la mort. De livre en livre, l’auteur-narrateur évoque la disparition de ses géniteurs. En l’occurrence, il parle de leur suicide commun afin d’échapper à la désagrégation précédant inéluctablement la disparition… On constate une totale absence de sentiments filiaux. Même quand il dit qu’ils furent de bons parents, c’est le minimum syndical, si j’ose dire.

En somme, entre le cynisme et la tendresse, dans quelle direction s’oriente la languette de la balance ? Il est difficile de répondre de manière claire car l’auteur-narrateur accorde même, quoique très brièvement, un certain crédit à une forme de Providence.

Il semble dire que lorsque l’histoire humaine abonde dans le mal, la désolation ou la mort, une force ou une main invisible tente de rétablir un peu d’équilibre et restaurer un peu d’harmonie, comme si cette même puissance tutélaire existait vraiment…

Un dernier détail concernant ce cadeau quais divin qui consiste à permettre à un homme ou à une femme de rencontrer enfin l’âme sœur . La tradition juive a choisi de dire ceci : depuis les six jours de la création, Dieu a affecté à chacun de nous l’âme sœur qui est destinée et réservée depuis la nuit des temps, le jour de naissance de l’univers.

C’est un très beau mythe mais M.H. Aurait certainement demandé comment s’expliquent alors tant de divorces…

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

 

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