Les Debré, une « marque de fabrique »

Jean-Louis Debré raconte son histoire dans un livre. Celle d' »une toute petite famille d’immigrés juifs » qui  » va s’élever dans la hiérarchie sociale « .

Par Julie Malaure  Publié le | Le Point.fr

Il est passé de la magistrature au ministère de l’Intérieur, avant de gagner la présidence du Conseil constitutionnel pour rejoindre, enfin, les Archives de France. Grand bien a pris à Jean-Louis Debré, puisqu’il a ouvert dans ce dernier élan celles de son illustre famille.

Dans un récit, qui se dévore comme une saga, sur plusieurs générations, pour « transmettre » à ses enfants et petits-enfants des personnages qui, « naturellement, n’évoquent rien pour eux », Debré raconte la découverte de ses origines bavaroises, la promesse faite à son père d’honorer le petit village alsacien de ses ancêtres, Westhoffen.

On voit le patronyme Anschel se transformer en Debré, Simon devenir grand rabbin, son fils, Robert, professeur et médecin, fonder la pédiatrie moderne, son petit-fils, Michel, garde des Sceaux, participer à la rédaction de la Constitution de la Ve République, enchaîner les postes de ministre.

Dans les branches de ce vénérable baobab généalogique, on découvre une grand-mère de 88 ans planquée par des sœurs pour échapper aux sbires de Vichy, la fondation de l’École polytechnique et son ouverture aux femmes.

Les Debré, qui nous éclairent aussi sur celui qui est également, et ce n’est pas la moindre de ses fonctions, président du jury du prix Le Point du polar européen, c’est « une marque de fabrique », une allégeance à la République et à la nation, telle que la pensait Renan, d’un « rêve d’avenir partagé ». Rêve partagé avec ses lecteurs conquis.

« Une histoire de famille », de Jean-Louis Debré (Robert Laffont, 268 pages, 21 euros).

 

Le Point : Vous évoquez les Debré comme une « marque de fabrique », quelle est-elle ?

Jean-Louis Debré : D’abord, un profond sentiment républicain. Qui s’explique par le fait que la famille est venue en France pour la République. Mon arrière-grand-père a quitté l’Alsace pour ne pas trahir la République qui avait donné aux juifs un statut et une espérance. La République a été transmise à mon grand-père, professeur en médecine, qui, lui, s’est engagé en 1914, l’a transmise à mon père qui s’est engagé en politique, puis dans la Résistance.

C’est aussi d’être profondément laïque. Au sens où l’on accepte toutes les religions, sans tabou. Mon arrière-grand-père était rabbin, mais mon grand-père était totalement agnostique et mon père a retrouvé le catholicisme lorsqu’il était prisonnier des Allemands. J’évoque d’ailleurs les mots de mon grand-père quand je lui avais dit : « Ton fils s’est converti. »

Il m’a répondu que ce n’est pas une conversion, qu’il avait été l’ami de Maritain, de Charles Péguy, qu’ils ne s’étaient pas convertis, mais avaient en eux une foi qui s’est exprimée à un moment donné.

La marque de fabrique, c’est encore une certaine conception de l’organisation sociale, de l’État et de la société. Il est question des universités populaires et de l’égalité hommes-femmes. Le grand rabbin Simon Debré va ouvrir les synagogues aux femmes. Robert Debré épouse ma grand-mère qui va devenir l’une des premières internes de France et la première cheffe de clinique de France ! Mon grand-père va militer pour l’ouverture de la médecine aux femmes. Et mon père, lorsqu’il crée Polytechnique, contre l’avis de l’armée, contre l’avis des officiels, permet l’ouverture de l’école aux femmes. Ce qui permettra à Anne Chopinet de finir première femme major. Renan parlait de la nation comme d’un rêve d’avenir partagé. Ce rêve, c’est une lutte contre les inégalités.

Dans votre livre, votre aïeul, c’est Anselme, non Debré. Quand la famille a-t-elle changé de patronyme ?

Sous Napoléon, lorsqu’il a voulu intégrer les juifs. Il a demandé qu’ils s’inscrivent sur les registres d’état civil. Seulement, leur nom ne devait pas avoir de consonance juive. C’est Jacques, mon ancêtre, qui va prendre le nom de Debré.

Noté par l’officier d’état civil de Westhoffen, le petit village alsacien dont je suis originaire, parce qu’il ne se rend pas compte que, en hébreu, le mot signifie « porter la parole ». Pas n’importe quelle parole, la parole pour transmettre quelque chose. L’officier ne réalise pas la consonance religieuse, et Jacques est profondément religieux, et ne veut surtout pas trahir ses racines juives.

C’est votre livre le plus personnel ?

Oui, et c’est le seul. Il y a bien eu Ce que je ne pouvais pas dire ou Tu le raconteras plus tard, sur Chirac, qui étaient en un sens personnels, mais je parlais assez peu de ma famille. En réalité, ce livre-ci m’a été imposé, comme je le raconte.

Un jour – j’étais président du Conseil constitutionnel et, du côté de la rue de Rivoli, un vieux monsieur m’arrête pour me parler. Il me dit qu’il va bientôt mourir et qu’il a chez lui toutes les œuvres de mon arrière-grand-père, le grand rabbin.

Il propose de me les donner, j’offre en retour de venir les chercher. Mais il me répond : « Pas question. » Il les a déposées au Conseil et je n’ai jamais su qui était cette personne… C’est le geste de transmission des juifs. La religion juive est basée sur la transmission.

Vos ancêtres sont des personnages que vous ne connaissiez pas, en personne, comment avez-vous procédé pour leur donner de la chair ?

Je suis allé plusieurs fois devant la synagogue de Neuilly, celle du grand rabbin. C’est là, dans la rue, que j’ai écrit mes dialogues avec lui. D’abord, on a cru que j’étais quelqu’un de suspect. Ma présence a été signalée, et un jour j’ai vu arriver deux vigiles qui sont venus me demander ce que je faisais là. Ils m’ont heureusement reconnu et sont alors repartis. Une autre fois, un monsieur m’a demandé ce que je faisais là. Je lui ai dit que j’avais rendez-vous avec mon grand-père. Ça ne l’a pas étonné, il est parti aussi…

Votre père vous a demandé de tenir une étrange promesse avant de mourir. L’avez-vous tenue ?

« Quand le maire de Westhoffen te demandera quelque chose, tu lui obtiendras, car c’est le berceau de la famille », voilà ce que m’a demandé mon père. Depuis des années, je retourne dans ce petit village, où j’ai retrouvé la maison de famille, la tombe de mes ancêtres dans le vieux cimetière. Après la disparition de mon père, les maires successifs se sont adressés à moi, j’ai toujours fait ce que j’ai pu pour les aider à trouver des financements. Par exemple, il y a une magnifique synagogue qui menaçait de tomber en ruine, je me suis décarcassé pour trouver les fonds afin que soit préservé ce monument. Encore aujourd’hui, une fois par an, je me rends là-bas, avec mes enfants et mes petits-enfants. Promesse tenue.

Quelle nouvelle lumière ces recherches ont-elles portée sur votre famille ?

Cela a fait émerger certaines questions. D’abord, celle des rapports que ma famille, d’origine juive, entretenait avec Israël. J’évoque, dans le livre, le problème du sionisme. Et on voit bien que pour le grand rabbin Simon Debré, et on retrouve ce que disait Raymond Aron, si on est juif de France, on défend la France.

Je me suis interrogé aussi sur la relation que mon père entretenait avec Israël, puisqu’il était au gouvernement tandis que le général de Gaulle avait des phrases très dures à propos d’Israël. Cela m’a beaucoup interpellé.

Autre exemple, mon grand-père Robert Debré me parlait très peu de la guerre de 14. Or, il a vécu un drame là-bas. Son meilleur ami, Abel Ferry, le neveu de Jules Ferry, était parlementaire et ministre et il est parti au front, où il est mort. C’est Robert qui a accompagné la dépouille d’Abel jusqu’à sa famille. Les relations que mon grand-père a pu avoir avec Maritain, Péguy, Jules Ferry, c’est ici que je les ai retrouvées.

Et puis, il y a le début de la guerre. Mon père, fonctionnaire, est parti comme militaire, a été fait prisonnier, s’est évadé, a rejoint la zone libre, et le Conseil d’État. Et comme tout le Conseil d’État, il a commencé par prêter serment au maréchal Pétain dans le grand hôtel de Vichy. Ce n’est que progressivement, sous la couverture du Conseil d’État, qu’il est passé dans la Résistance.

Un jour, à Montauban, j’ai découvert qu’il avait organisé une filière de faux papiers pour les juifs. J’ai aussi appris que mon arrière-grand-mère, la femme de Simon Debré, le rabbin, avait été cachée chez des sœurs de Montauban.

Elle avait 88 ans, était recherchée par Vichy. Mes parents et mes grands-parents parlaient peu de la Résistance et de la guerre. C’est ce que les psychologues appellent « le syndrome du survivant ».

Si ce livre était un message adressé à vos descendants, comment le formuleriez-vous ?

Le message, c’est de voir qu’une toute petite famille d’immigrés juifs, génération après génération, grâce aux instituteurs de la République, grâce à leur travail, va progressivement s’élever dans la hiérarchie sociale. Il y a pour eux ici un enseignement : ne jamais poser son baluchon au bord de la route, travailler, croire à ce que l’on fait. Enfin leur dire qu’on reçoit un patrimoine, un nom, ne le déshonorez pas.

www.lepoint.fr

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12 Commentaires
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Bonaparte

Cet article me fait penser à l’affaire Finaly bien différente de  » l’histoire des Debré  » .

Nous rappelons les actions du grand Rabbin Kaplan et du Cardinal Gerler qui ont été déterminantes pour le retour des enfants Finaly qui ont fini par s’installer en Israël pour leur plus grande joie .

gigi

Dans le passage de l’interview consacré à la question des rapports de cette famille avec le sionisme (lire Israël), l’auteur dit « si on est juif de France, on défend la France ».
J’avoue que cette phrase me déconcerte car elle semble installer, comme un présupposé, qu’on ne peut pas défendre la France ET Israël. Pour quelle raison un juif français devrait-il s’interdire de défendre son pays, la France, mais aussi Israël, le pays qui abrite d’autres juifs, souvent descendants de familles persécutées, massacrées, anéanties, et qui sont aujourd’hui encore menacés ?
Ce monsieur n’est pas clair, pas clair avec ses origines et pas clair avec lui même. D’ailleurs, ne dit-il pas « juif de France » ? S’il était aussi sûr de son identité, il aurait dû dire « juif français » car « juif de France » signifie « juif vivant en France » mais pas forcément français. Ambiguïté quand tu nous tiens…..
Pourquoi écrire un livre sur ses origines si c’est pour en parler avec si peu de profondeur ? C’est superficiel. Je le dis sans acrimonie, mais à compte là il aurait mieux valu qu’il laisse enfouie cette « histoire d’une toute petite famille d’immigrés juifs ». Ses ancêtres juifs, des combattants fidèles à leur foi plusieurs fois millénaire et qui ont résisté aux mille et un tourments de l’antisémitisme, méritent certainement mieux que ce blabla sans consistance.

Moshe

Vous avez probablement raison, mais je trouve cette famille Debré magnifique.

Thierry Fauchard

Pas un mot sur les enfants de la Creuse ??? Et cette politique inhumaine dont Michel s’est rendu coupable ?
Dommage !
https://www.franceculture.fr/histoire/enfants-de-la-creuse-une-memoire-defaillante-sur-un-crime-impuni

Californien

JB
Une famille les succes sont impressionants en depit des circonstances et de leur identite juive. Mais le fait qu’ils ont senti le besoin de changer de nom pour y arriver, en dit long sur la societe francaise!

Moshe ( ex-catholique converti au judaïsme )

Ce n’est pas « la société française » qui est responsable, mais l’église (je mets un petit « e » volontairement) catholique qui a imprégné les enfants français d’antisémitisme, au travers de cette histoire de juifs qui auraient condamné Jésus face à Ponce Pilate.

Richary

Évidemment

MICHEL

Contrairement à ce qui est écrit , Michel Debré n’a , bien évidemment , pas « crée Polytechnique  » , mais a autorisé les filles à s’y présenter en 1972 et dès cette année-la une fille a été reçue Major .
pm : l’X a été une création de la Révolution en 1794.

Daniel

Michel Debré a, j’en suis presque certain, créé l’ENA mais pas Polytechnique puisque Napoléeon Bonaparte y fut élève pour être officier artilleur.

MICHEL

Mon cher Daniel ,
Napoléon née en 1769, n’a, évidemment , pas été polytechnicien !!!!! Il a été , jeune adolescent , très brillant interne à l’Ecole d’Artillerie de de Brienne .

Gilles

A l’époque de ses ancêtres Israël n’existe pas
Cela aurait été sans doutes different
Et puis le France d’aujourd huit n’a aucun rapport avec celle racontée
Je conseil à ce monsieur d’ouvrir Les yeux

Jg

Le bon choix ? Et aujourd hui que vont devenir les Juifs qui restent encore dans ce pays républicain , et surtout qu’elle république ? Il y a aussi la République islamiste !
Il faut choisir la survie ,et la survie ,c est l état Juif !