Frédéric Brenner : “Israël occupe une place à part dans une notre imaginaire”

La famille Weinfeld, 2009
 
Le photographe français expose le projet “This Place” au Musée d’Art de Tel-Aviv. Si l’ambition est d’explorer la complexité d’Israël et de la Cisjordanie sans approche idéologique, la dimension politique n’est jamais très loin.
 

Pendant un quart de siècle, Frédéric Brenner a promené son objectif sur la diaspora juive aux quatre coins du monde. A partir de 2006, le photographe français conçoit This Place (« ce lieu »), un projet artistique dont l’ambition est d’explorer la complexité d’Israël et de la Cisjordanie. Inspiré par la Mission photographique de la DATAR menée dans les années 1980 et par celle de la Farm Security Administration née en 1935 aux Etats-Unis, il convainc onze autres photographes de renommée internationale de participer à cet « essai visuel ». A savoir Wendy Ewald, Martin Kollar, Josef Koudelka, Jungjin Lee, Gilles Peress, Fazal Sheikh, Stephen Shore, Rosalind Fox Solomon, Thomas Struth, Jeff Wall et Nick Waplington.

Pendant trois ans, entre 2009 et 2012, les artistes se sont succédé dans la région, certains pour une résidence de plus de six mois, afin de réaliser leur sujet. Si This Place revendique une approche anti-idéologique, la dimension politique et le conflit israélo-palestinien ne sont jamais très loin. Josef Koudelka a choisi de se s’intéresser au Mur de séparation ; Nick Waplington de se concentrer sur les colonies juives de Cisjordanie ; Fazal Sheikh de s’attarder sur les villages bédouins disparus ; tandis que Wendy Ewald a confié des appareils photos à des enfants de quatorze communautés. Leur travail a donné lieu à une exposition de près de 300 clichés, présentée en octobre dernier au Centre DOX pour l’Art Contemporain à Prague, et qui prend désormais ses quartiers au Musée d’Art de Tel-Aviv (14 mai – 6 septembre 2015). Décryptage avec son initiateur.

Qu’attendez-vous de la rencontre avec le public israélien ?

L’échange avec un public israélien— averti ou pas — promet évidemment d’être intéressant. Même s’il s’agit avant tout d’un projet artistique qui vise à mettre en perspective Israël comme lieu et comme métaphore. Israël est à la fois l’épicentre des trois religions monothéistes et un lieu du partage de l’origine. Son nom est aussi devenu synonyme du « conflit ». Or il faut se placer au-delà d’une logique binaire, de l’alternative victime ou coupable, pour en saisir l’infinie complexité. Car ce qui se joue ici est plus large. Nous sommes partis du local, mais c’est un essai sur la condition humaine.

Pourquoi ne pas avoir fait appel à des photographes israéliens ou des palestiniens ?

Israël est le théâtre d’une altérité radicale, et pour explorer ce spectre, il fallait mobiliser des artistes qui apportent un regard extérieur. A un moment, nous avons a envisagé de faire appel à des « locaux » — soit en Israël, soit en Cisjordanie — pour offrir un contrepoint. Mais cette tentative s’est heurtée à plusieurs obstacles. Par exemple, aucun Palestinien n’a donné suite à nos sollicitations.

Israël occupe une place à part dans notre imaginaire ?

Bien sûr que tout le monde a une image préétablie d’Israël. Y compris les photographes du projet qui sont venus ici pour revisiter les images ancrées en eux. Dans leur grande majorité, ils n’avaient auparavant jamais mis les pieds en Israël. Beaucoup ont exprimé de fortes réserves avant d’accepter cette invitation. Chacun a apporté sa réponse, son regard. A mes yeux, Israël se présente comme le lieu de la dissonance radicale. Un lieu où chacun semble l’autre de l’autre : un Juif d’origine marocaine pour un Juif d’ascendance autrichienne, un Juif éthiopien pour un Juif russe, un Arabe musulman pour un Arabe chrétien, un ultra-orthodoxe pour un Juif laïc…

Votre propre travail s’intitule « une archéologie de la peur et du désir »

Il y a une promesse attachée à cette terre. Mais qu’avons-nous fait de cette promesse ? Lorsque Dieu parle à Abraham, il évoque « la terre que je te donnerai à voir », pas la terre que je donnerais à posséder. L’enjeu, ce n’est pas un lopin de terre. Le philosophe Daniel Epstein évoque une terre « qui va te révéler à toi-même et qui va te révéler aux nations ». Israël est l’expression contemporaine d’une rédemption. Ce lieu permet d’explorer la nostalgie, l’appartenance et l’exclusion.

Le projet peut-il modifier la représentation que l’on se fait d’Israël ?

J’aimerais que les gens commencent à regarder autrement. Qu’ils sortent de leurs jugements. Jeff Wall (Ndlr : qui ne réalisera qu’une seule image pour ce projet) a confié qu’il était là pour donner à voir, et non pour prendre parti. L’idée, c’est d’inciter tout un chacun à élargir son champ de conscience.

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