Elie Buzyn, Photo La Dépêche

« En août 1944, lorsque le ghetto de Lodz a été liquidé, nous avons dû partir, mes parents, ma sœur et moi, pour un voyage de trois jours en wagon à bestiaux, direction Auschwitz-Birkenau. À la sortie du train, nous avons été définitivement séparés.

J’avais 15 ans, et je serais mort comme les autres enfants de mon âge si, sur la rampe de sélection, un déporté ne m’avait soufflé de prétendre que j’avais 17 ans. Grâce à lui, j’ai obtenu mon passeport pour la survie : le numéro qui m’a été tatoué, en caractères énormes sur mon bras d’enfant. Mes parents, eux, n’ont pas eu cette « chance ».

« Tu dois tout faire pour rester en vie », m’avait dit ma mère le jour de ma bar-mitsvah, dans le ghetto, moins de deux ans plus tôt. Lorsqu’est venu ce temps de la survie, ce sont ces mots qui m’ont permis de ne pas flancher durant l’interminable hiver qui a suivi.

J’avais 15 ans, et quantité de frontières à franchir pour construire une vie sur ce champ de ruines. Revivre. Pendant cinquante ans, j’ai effectué cette traversée des mondes, celle de la sous-nutrition et de la mort, celle du danger permanent jusqu’à la réparation des vivants à travers mon choix de devenir chirurgien orthopédiste, celle de la désagrégation de mon univers et de la disparition de mes parents à celle de la construction de ma famille, lorsque j’ai rencontré mon épouse et que je suis devenu père à mon tour.

Durant ces cinquante ans, il m’a été impossible de raconter. Jusqu’à ce que mon fils formule le souhait d’aller à Auschwitz, sur les lieux de l’assassinat de ses grands-parents paternels, et que je comprenne que je n’avais pas d’autre choix que de l’accompagner.

C’est lui qui avait raison. Il fallait que j’y aille. Il fallait que je me confronte à tous ces fantômes et que je témoigne, car ne pas parler de ces millions de victimes, dont mes parents, revenait à les faire mourir une seconde fois.

Désormais, je m’y rends une à deux fois par an, avec des groupes, mais aussi et surtout avec mes enfants et mes petits-enfants, pour qu’ils soient à leur tour des témoins du témoin que je suis.

Nous y allons ensemble lorsque chacun d’eux atteint l’âge de 15 ans. »

 

Elie BUZYN, Prologue à « J’avais 15 ans – Vivre, Survivre, Revivre ».
Élie Buzyn, né à Łódź le 7 janvier 1929, est un chirurgien orthopédique français, d’origine polonaise, survivant et témoin de la Shoah.

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