De l’antisémitisme, hier et aujourd’hui…

Ce sujet s’avère inépuisable, irrationnel et d’une rémanence unique, absolument unique. Et pourrait bien s’avérer comme étant le péché congénital que l’Occident chrétien, mais aussi sous d’autres latitudes et à partir d’horizons différents, voire inattendus: les arabo-musulmans sont eux aussi des sémites comme les Juifs et certains d’entre eux, je dis bien certains et non pas tous, ne se gênent pas pour vouer à Israël une haine inexpiable.

Le dernier exemple en date, mais pas nécessairement l’ultime dans son genre, concerne la virulence extrême, haineuse, de cet islamiste connu des services de police qui a pris à partie Alain Finkielkraut devant toutes les caméras du monde…

Joignant le geste à la parole, ou plutôt à la vocifération, il vomissait sa rage et sa haine à l’encontre d’un homme quasi-septuagénaire, membre de l’Académie Française, tribunal suprême de l’esprit et de l’humanisme français. Les deux ne sont pas du même monde.

Je ne sais pas si quelque gouvernement que ce soit, et dans quelque partie du monde que ce soit, pourra venir à bout de cette haine presque trimillénaire qui poursuit depuis toujours, les Hébreux, les Judéens, les enfants d’Israël ou les Juifs…

Les rassemblements et les protestations de toutes sortes, les condamnations, les interdictions, les législations et les répressions de tout acabit n’y suffiront pas. Mais devons nous forcément vivre avec ?

Non point, mais il faut savoir que ce l’on nomme de manière un peu vague, l’antisémitisme, couvre beaucoup de choses et plonge ses racines dans des profondeurs insoupçonnées.

Nous allons mentionner dans cet article deux sources, très différentes et très éloignées chronologiquement l’une de l’autre. Commençons par la plus proche de nous car elle émane du milieu du XIXe siècle européen, plus précisément allemand.

Il s’agit d’un éminent professeur d’histoire, grand spécialiste de la Rome antique, Théodore Mommsen dont la statue orne l’une des entrées de l’université Humboldt à Berlin-Est.

Mommsen était membre de l’église évangélique et n’avait aucune attache juive, donc n’était guère suspect de je ne sais quel philosémitisme qui lui aurait dicté son attitude relativement favorable au judaïsme.

Voici, en substance, ce qu’il a écrit au sujet de la persistance de l’antisémitisme tant dans l’Allemagne de son temps qu’au cours de l’histoire universelle : lorsque Israël fit son apparition sur la scène de l’histoire mondiale, il n’était pas seul mais était accompagné d’un frère jumeau : l’antisémitisme !

Même dans l’historiographie juive, et même aujourd’hui dans l’historiographique hébraïque qui nous dit que le continent européen est un interminable cimeterre juif, on ne trouve pas une déclaration d’une telle ampleur, émise, en outre, par un homme formé aux techniques d’investigation de la science historique allemande.

Un mot encore sur Mommsen : il fut le seul, de toute l’université allemande de son temps à avoir pris la défense de Heinrich Grätz, le père fondateur de l’historiographie moderne, lors de la controverse opposant ce dernier à l’historien nationaliste allemand Heinrich von Treitschke.

Rappelons que c’est sous la plume de ce dernier que les Nazis trouveront, moins de trois décennies plus tard, le terrible slogan : Les juifs sont notre malheur (Die Juden sind unser Unglück).

Mais Mommsen nous permettra tout de même de rappeler sa solution de la «question juive» (Judenfrage) : si la majorité des juifs faisaient preuve de lucidité et se convertissaient en bloc au christianisme, le problème serait résolu !! Ce qui montre que même un historien impartial comme Mommsen n’était pas à l’abri de simplification grossière. Ce qui souligne le caractère insoluble de l’affaire.

Venons en à présent à la deuxième citation concernant l’antisémitisme ; elle émane du corpus de la Bible hébraïque, plus précisément du rouleau d’Esther. Il s’agit d’un juif vivant à Alexandrie au milieu V-IVe siècle, probablement en butte à l’antisémitisme de la cité hellénisée et qui a, pour les besoins de la cause, transposé l’action dans le palais du roi Assuérus, potentat persan, plus prompt à festoyer qu’à gérer son immense royaume légendaire.

Voici le programme que lui souffle tout à coup son premier ministre Haman (3 ;8) et qui constitue, on le verra clairement, le mécanisme de tout antisémitisme ancien ou moderne : Il y a un peuple dispersé e vivant à part au milieu des peuples, dans toutes les provinces de ton royaume.

Leurs lois diffèrent de celles des tous les peuples et ils n’observent pas les lois du roi. Il ne convient pas, pour le roi, de les laisser tranquilles.

Les Juifs en question ne se sont rendus coupables d’aucun crime, d’aucune infraction et pourtant Haman les hait et veut les exterminer… Sa remarque rejoint celle de Mommsen en enjambant les siècles. Les enfants d’Israël, disait Renan, ont voulu écrire l’histoire de l’humanité, mais pour ce faire, ils devaient eux mêmes disparaître.

Il ajoute qu’ils se sont attiré l’ire, voire la haine des nations en imposant le monothéisme éthique, interdisant les mœurs barbares du paganisme et du polythéisme… Ceci est un péché capital, à l’échelle mondiale que l’on ne pardonne pas aisément.

En fait, ce sont des déracinés qui ont déracine le monde (Simone Weil) . L’antisémitisme a encore, hélas, de beaux jours devant lui.

Maurice-Ruben HAYOUN, Professeur à l’Uni de Genève.
Dernier livre paru : Joseph, l’esclave hébreu devenu vice-roi d’Egypte (Paris, Hermann, 2018)

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