La Coupe du Monde est de retour. Mais, même s’il reste le seul véritable sport populaire, le foot ne suffira sans doute pas à rassembler un peuple français qui souffre encore beaucoup trop…


Comme tous les quatre ans, qui passent tellement plus vite pour moi maintenant, revoilà la Coupe du Monde de football. La première dont je me souvienne est celle de 1958 où, sidéré, j’apprenais par mon frère la défaite de la France en demi-finale contre le Brésil. Comment était-ce possible ?

Dans mon esprit d’enfant, la France était invulnérable, en tout point. Des pitoyables cinq médailles des Jeux olympiques de Rome à l’abominable soirée du 8 juillet 1982 à Séville, la vie allait se charger de m’apprendre qu’en sport mon pays perdait toujours. Sauf peut-être en vélo, mais là encore, à Anquetil le seigneur intraitable, les Français préféraient Poulidor le perdant malchanceux.

En 1976, la belle équipe des Verts de Saint-Etienne fut battue en finale de la Coupe d’Europe par les comptables brutaux du Bayern de Munich. On incrimina la forme des poteaux et Jean-Michel Larqué et ses coéquipiers eurent quand même droit à une descente triomphale des Champs-Élysées. Curieuse que cette façon de fêter et d’adorer les vainqueurs qui perdent.

Hier encore, j’avais 20 ans…

Et puis il y eut le 12 juillet 1998, cette année historique où le 14 juillet avait deux jours d’avance. Qui a lavé tous les affronts, fait pardonner Séville aux Allemands, et aimer vraiment la victoire. Le début d’été de cette année-là ne vit pas qu’une épreuve sportive, mais un moment rare dont ceux qui l’ont vécu ont une forte et parfois mélancolique nostalgie.

Comme viennent de le montrer les commémorations que les grands médias opportunistes ont organisées et qui nous ont permis de nous attendrir sur nous-mêmes.

Et de nous souvenir de ces instants qui virent un peuple entier, dans un étonnant mouvement d’ivresse fraternelle, sortir dans les rues, les jardins et les villages pour encourager une équipe de football dont il sentait bien qu’au-delà des considérations sportives elle le représentait.

Étonnant moment fusionnel dont le rappel par les images peut encore nous piquer un peu les yeux. Nous nous aimions et il faisait si beau. C’était il y a 20 ans.

L’équipe de France était composée d’un mélange que l’on appela alors « Black blanc beur » dirigé par deux hommes de fer. Aimé Jacquet le sélectionneur, relayé sur le terrain par son capitaine Didier Deschamps, petit basque né pour commander.
Avec une mosaïque de joueurs d’inégales valeurs, ils construiront une machine à gagner, nouvelle démonstration que le tout n’est jamais la somme des parties.
Aidés, on le sait, par la présence d’un artiste paré de tous les dons et nommé dans une magnifique allitération : Zinedine Zidane. Jacquet, ouvrier métallurgiste devenu footballeur professionnel puis entraîneur, coiffé, habillé et parlant comme le prolo qu’il est, c’est-à-dire avec intelligence et dignité, sera l’objet avant le tournoi d’une campagne de dénigrement particulièrement infecte.
À base de dérision et de racisme social, on y retrouvera la sempiternelle cohorte des petits marquis qui se poussent du col avec une mention spéciale pour Jérôme Bureau le rédacteur en chef qui voulait faire de L’Equipe, quotidien populaire, le Télérama du sport. Sans oublier, bien sûr, l’increvable Daniel Cohn-Bendit, comme toujours, jovialement à côté de la plaque.

C’était il y a 20 ans, lueur donnée bien au-delà du foot, par cette démonstration de fraternité. De celles dont le peuple français est capable quand il le veut.

Après eux, le Déluge

L’est-il toujours ? Depuis, il y a eu le 11 septembre, l’invasion de l’Irak, la monnaie unique, la forfaiture démocratique de 2005, la crise de 2008, le chômage massif, la trahison de la gauche de gouvernement, l’austérité éternelle promise par l’Union européenne sous direction allemande, le communautarisme, la montée de l’islamisme et le terrorisme du même nom.

Une partie du peuple français, est devenue périphérique, invisible, a fait sécession et ne vote plus. Le pays a été doté d’un président improbable, choisi au premier tour par 18 % des inscrits.

Alors, lorsque l’on commémore la victoire de 1998, on se prend à rêver. Pourquoi pas un remake, retrouver un peu de joie et de fraternité, et une fois de plus grâce à ce sacré football ?

Borges disait que « le football est universel parce que la bêtise est universelle ».

Au-delà du mépris facile pour notre cher « passing game », l’aveugle de Buenos Aires avait mis le doigt sur l’un des mystères du football. Qui fait partie des universaux anthropologiques.

Comme la plupart des mammifères, Homo aime le jeu, c’est un instinct. Et la compétition aussi, c’est un fait culturel. Pour en organiser la combinaison, il a donc demandé aux Anglais d’inventer les sports et leurs règles. Ils ne se sont pas fait prier, elles sont bien sûr à la fois irrationnelles et incompréhensibles, mais faute d’être capable d’en imaginer d’autres, on les applique.

Le foot est le seul sport populaire

Tous les sports pratiqués aujourd’hui sur notre planète mondialisée sont rattachés à des cultures locales particulières, comme le vin l’est à un terroir. En France, on joue au rugby d’abord dans les villages du sud-ouest. On ne pratique pas le cricket partout, et encore moins le baseball.

Même s’il s’est acclimaté ailleurs, le judo est japonais, les escrimeurs sont Français ou Hongrois et on pourrait multiplier les exemples, on butera toujours sur ce constat : seul le football est à ce point universel. Ce qui ne veut pas dire que l’on joue en tout lieu de la même façon, il suffit de regarder les Italiens et les Brésiliens pour s’en convaincre.

Le foot a aussi son terroir, mais l’articulation nature et culture y est particulière, reste mystérieuse et c’est tant mieux. Alors, il y a les grincheux, qui ne connaissant pas le sens du mot communion, parlent de nouvelle religion. Ceux qui dénoncent le poids de l’argent, mais pour surtout pointer avec mépris « ces analphabètes payés des fortunes à taper dans un ballon ».

https://twitter.com/Lekmind/status/1007220569648005120

En passant sous silence les risques, le travail et les sacrifices consentis par ces quelques élus pour parvenir au sommet, et le fait que dans le foot business, ce ne sont pas eux qui gagnent le plus. Ignorant aussi que, grâce à ces gamins et la passion qui les fait avancer, l’argent, malgré ses efforts, n’a pas réussi à déraciner ce jeu de ses terroirs.

Depuis longtemps, comme à l’allemande, à l’italienne, à la brésilienne, il existe un football à la française.

Celui joué par Raymond Kopa, Michel Platini, Zinedine Zidane et aujourd’hui Kylian M’Bappé. On ne peut malheureusement pas en dire autant de ces sports déracinés, comme le rugby professionnel d’où le « French flair » a disparu.

Ou le cyclisme, où des robots chargés comme des mules parcourent les routes du Tour de France sur des vélos truqués.

Aux armes, etcaetera

Nous allons donc participer à la fête, suivre et soutenir une équipe composée pour l’essentiel d’enfants issus des couches populaires et, comme d’habitude, de pas mal d’immigrés de la deuxième génération.

Après les Polonais, les Italiens les Espagnols, les Portugais et les Maghrébins, c’est le tour des fils d’Africains d’enfiler le maillot bleu. Ils sont vaillants, portent des noms à coucher dehors, ont en général trois poumons, et ne craignent personne.

Très jeunes, souvent dotés d’un talent fou, ils rêvent et nous avec eux de refaire le coup de 1998.

Monter sur le toit du monde accompagnés de tout un peuple. Malheureusement, même s’ils gagnaient le tournoi, cela ne marcherait pas. Pour l’instant les Français n’en ont pas la force.

Mais qu’ils ne s’inquiètent pas, la vie est longue et ce vieux pays aujourd’hui un peu fourbu a de la ressource. Et puis il faut qu’ils sachent qu’il compte quand même sur eux cette fois-ci encore.

« Formez vos bataillons… »

par

Régis de Castelnau

www.causeur.fr

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