Et maintenant on fait quoi ? On met un écran noir?
Personne n’aime se faire taper sur les doigts. Mais les responsables de l’information des radios et télévisions françaises ont réagi avec une rare véhémence aux trente-six mises en garde et mises en demeure notifiées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), jeudi 12 février, sur la couverture médiatique des attaques djihadistes à Paris et Montrouge, début janvier.

« Les décisions du CSA soulèvent des questions majeures pour le droit à l’information dans notre pays, estime ainsi Thierry Thuillier, directeur de l’information de France Télévisions. Je souhaite être reçu par le CSA et demande des explications. »

Lire aussi : Attentats : 4 questions sur une couverture médiatique hors normes

Tonalité similaire sur l’autre rive de la Seine, à Radio France, qui a fait part, jeudi soir, de « sa surprise et de son étonnement » et « examine toutes les possibilités de recours contre cette sanction ». De fait, les décisions du CSA sont susceptibles d’appel et de recours devant le Conseil d’Etat.

Selon nos informations, une réunion des responsables de l’information des radios et télévisions et d’ores et déjà programmée, mardi 17 février, au siège de TF1, afin d’échanger et d’étudier l’opportunité d’une réponse conjointe.

Principe de précaution contre liberté d’information

La plupart des médias audiovisuels sont concernés, car les notifications du CSA n’ont épargné personne – pas plus qu’elles n’ont ciblé un média en particulier. LCI s’est vu notifier trois mises en demeure ; BFMTV et iTélé deux, comme France 2 et TF1, qui avaient elles aussi fait le choix du direct, ou encore France 24 ; sans oublier Europe 1, France Info et France Inter, RFI, RMC, RTL ou Euronews.

 

« Le CSA dit en quelque sorte que tous ceux qui ont fait du temps réel ont failli, commente Céline Pigalle, directrice de l’information du groupe Canal+ (propriétaire d’iTélé). Ceux qui ne sont pas sanctionnés [à l’image des médias du groupe M6] sont ceux qui n’ont pas proposé d’édition spéciale pour couvrir ces événements. Quel est le message ? »

Un point concentre plus particulièrement l’ire des médias, d’autant qu’ils se voient tous mis en demeure pour ce motif : avoir annoncé que des affrontements avaient commencé entre forces de l’ordre et terroristes à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne). « La divulgation de cette information aurait pu avoir des conséquences dramatiques pour les otages de l’Hyper Cacher (…), dans la mesure où Amedy Coulibaly avait déclaré lier leur sort à celui de ses complices de Dammartin-en-Goële », écrit le CSA.

Or, les médias rappellent que le statut de cette « déclaration » du preneur d’otages était incertain et n’avait pas fait l’objet d’une consigne policière explicite. « Si doute il y a, ce que je ne crois pas, il faut appliquer le principe de précaution en raison des vies en jeu », rétorque Nicolas About, membre du groupe de travail du CSA sur le sujet.

Lire aussi : Hyper Cacher : les versions contradictoires de BFM-TV et de la direction du RAID

Surtout, radios et télévisions jugent ce point « déconnecté de la réalité médiatique », pour reprendre les termes d’un directeur de rédaction. « Ça va devenir compliqué, si on ne peut plus informer en direct, juge Catherine Nayl, directrice de l’information du groupe TF1. Que fait-on ? On met un écran noir ? Des bips pour cacher les sons ? » « Il faudrait donc arrêter le direct, imagine Thierry Thuillier. Cela revient à pousser les gens vers les sites d’information – y compris le nôtre – ou les réseaux sociaux qui, eux, ne sont pas régulés par le CSA ! »

Le Conseil ne nie pas cette limite, mais la loi ne lui donne compétence que sur les radios et télévisions. Depuis son arrivée à la tête du CSA en 2012, Olivier Schrameck plaide pour une extension de cette compétence aux « services de communication audiovisuelle » en ligne… mais il est risqué, politiquement, de déterrer le sujet sensible de la régulation du Web.

Contrôler ce qui est dit à l’antenne

Les autres points soulèvent moins de contestations. L’un concerne le choix de diffuser la vidéo montrant l’assassinat du policier Ahmed Merabet par les terroristes. Seule France 24 avait diffusé cette séquence – avec des atténuations –, et cela lui vaut une mise en demeure. « Je suis étonné, soupire néanmoins son directeur de la rédaction, Marc Saikali. Veut-on que nos téléspectateurs à l’étranger se reportent sur nos concurrentes Al-Jazira ou CNN, qui n’hésitent pas à montrer ce type d’images ? »

Une autre mise en demeure concerne la divulgation de l’identité des frères Kouachi avant la diffusion de l’appel à témoins par la Préfecture de police. iTélé et LCI avaient donné à l’antenne des éléments permettant cette identification, issus d’informations qui circulaient sur les réseaux sociaux, parfois de source policière ou militaire. « Nous n’avons fait que relayer un appel à témoins », se défendent, en substance, les chaînes, soulignant qu’elles ne pouvaient passer sous silence une information qui circulait par ailleurs.

Mais le CSA estime que, dans ce cas, le souci de ne pas « perturber l’action des autorités » l’emporte sur le droit d’informer. « Certes, la fiche de recherche avait fuité sur les réseaux sociaux, explique M. About. Mais les radios et télévisions ont un pouvoir accréditant. Quand elles en parlent, cela change le statut de cette information. En l’espèce, le gouvernement a été contraint de diffuser à son tour la fiche de recherche, car tout avait été dit sur les antennes. »

Sans surprise, une dernière mise en demeure concerne la révélation, par cinq médias, que des personnes étaient cachées sur les lieux des prises d’otages de Dammartin-en-Goële ou de la porte de Vincennes. Ces « révélations » ont pu prendre des formes variées : information glissée à l’antenne par un journaliste, ou parfois par un témoin interrogé en direct, dont la parole ne pouvait être filtrée.

Pour le CSA, ces mentions ont été « susceptibles de menacer gravement la sécurité des personnes retenues dans les lieux ». Les médias se voient donc incités à retenir ce type d’informations, mais aussi à réfléchir aux moyens de contrôler ce qui est dit à l’antenne – y compris par des non-journalistes – dans des situations de direct intégral, pour rester des garants actifs de l’information.

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kravi קרבי

Thierry Thuillier, qui cautionne les pire « reportages » biaisés sur Israël se pique à présent d’une déontologie journalistique.
On se pince.