Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Montpellier-I La mission parlementaire sur le port du voile intégral a préconisé, mardi 26 janvier, une loi l’interdisant dans un premier temps dans les services publics, transports compris. Pour Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Montpellier-I, « cette proposition n’est pas réaliste d’un point de vue pratique ».
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Les principes posés par le rapport de la commission parlementaire sur le voile intégral, comme l’interdiction de porter le niqab ou la burqa dans les établissements publics, vous paraissent-ils applicables au quotidien ?

C’est tout le problème. On peut poser des principes, mais il faut ensuite s’interroger sur leurs modalités d’application. Cette proposition n’est pas réaliste d’un point de vue pratique, et n’est pas non plus en accord juridiquement avec le mode de fonctionnement des services publics. La loi est mal placée pour régler ce type de problème, car elle est par définition « générale et impersonnelle ». Or, le port du voile est le résultat d’un choix particulier. Certaines femmes le portent par conviction religieuse, d’autres par soumission à leur mari, leur frère ou leur imam… Il n’y a que des cas particuliers. Comme la loi se doit d’être impersonnelle, elle risque de se révéler injuste car elle frappe à l’aveugle et indifféremment tous ces cas particuliers. Elle risquerait en outre d’être censurée par le Conseil constitutionnel pour atteinte à la liberté individuelle et à celle de manifester ses opinions, garantie par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Quelle est l’alternative à une loi pour régler la question du voile ? Une résolution parlementaire peut-elle suffire ?

La loi n’est clairement pas le bon instrument pour empêcher le port du voile ou en tout cas réduire cette pratique. En revanche, une résolution parlementaire serait plus appropriée. Elle pourrait servir de repère aux agents du service public pour qu’ils soient encouragés à appliquer la réglementation existante. Car la réglementation existe déjà ! Par exemple, si une maman se présente masquée à la porte d’une école, le directeur de l’établissement a juridiquement les moyens de refuser de confier l’enfant à une personne qui ne se présente pas à visage découvert et n’est donc pas identifiable. Il existe déjà des dispositions juridiques qui permettent aux agents de refuser un certain nombre d’actes et de services à des personnes entièrement voilées. Pour la plupart des opérations, que ce soit dans un bureau de poste ou dans une préfecture, une vérification d’identité est indispensable.

En ce qui concerne la possibilité de refuser un permis de séjour ou l’octroi de la nationalité française à une femme portant le voile intégral, là aussi il existe une jurisprudence En 2008, le Conseil d’Etat a confirmé un jugement refusant d’accorder la nationalité française à une jeune Marocaine portant le niqab, mariée à un Français et mère de trois enfants nés en France, pour « défaut d’intégration » »>Article original. Le Conseil d’Etat n’a pas eu besoin d’une nouvelle loi, il n’a fait qu’appliquer les dispositions existantes à ce cas particulier. Le juge est le mieux placé pour ce type de problèmes, dans la mesure où il peut se prononcer au cas par cas, alors que le législateur opère de manière générale et impersonnelle. Que le pouvoir du juge soit encadré par une résolution, pourquoi pas. Mais il ne faudrait pas aller plus loin.

La portée de ce débat n’est-elle pas plus politique que juridique ?

Bien sûr. On mélange le débat sur la burqa avec celui sur l’identité nationale de manière à attiser des peurs, des haines et des rancœurs. C’est très dangereux. Le « vivre-ensemble » n’a aucun intérêt si nous vivons entre « clones ». Vivre ensemble, cela veut dire que des gens différents partagent un minimum de valeurs communes. Ces valeurs sont celles de la Déclaration des droits de l’homme. Ce « vivre-ensemble » produit une identité, une société et une tolérance. Rappelons-nous qu’il n’ y a pas si longtemps, les religieuses se baladaient coiffées d’une cornette et les églises séparaient les hommes des femmes. Toutes ces pratiques ont disparu et la volonté de vivre ensemble a pris le dessus.

La loi ne fait que cristalliser un malaise et fixer les comportements. Le port du voile intégral correspond à un moment particulier dans le développement des personnes qui le revêtent. Ne les arrêtons pas à ce moment-là, laissons-les évoluer. Notre droit doit épouser les évolutions, et non arrêter le processsus de socialisation. Il ne faudrait pas qu’un « intégrisme » du droit bloque des évolutions qui pourraient se faire naturellement.
Propos recueillis par Audrey Fournier

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