Manfred Gerstenfeld interviewe Sidney Zabludoff, qui s’est principalement consacré aux problèmes relatifs aux restitutions des biens juifs spoliés durant la période de la Shoah.

“Les progrès réalisés, dans le cadre des restitutions des biens juifs spoliés durant la Shoah, sont extrêmement lents et ils durent depuis le début des années 1970. Au cours de cette période, on a d’abord mis l’accent sur l’exigence de voir restituées les propriétés dans les pays occupés, puis la pression sur l’Allemagne, relativement aisée sur le plan économique, pour qu’elle verse plus, en fonction des pillages commis par les Nazis. Tout au plus, 15% des biens juifs confisqués entre 1934 et 1945 ont été rendus à leurs anciens propriétaires, leurs héritiers et les organisations juives représentant les requérants sans héritiers, durant le premier cycle des restitutions.

“Un effort supplémentaire, en vue des restitutions, qui a reçu un bien plus large écho dans le domaine public, s’est opéré à partir du milieu des années 1990. Plusieurs conférences internationales ont tenté de remédier aux obligations jusque-là non-remplies, mais peu de choses a été accompli. La dernière s’est tenue à Prague, en 2009. Bien que des délégués aient prononcé des discours déchirants et fait appel à la restitution, aucun moyen effectif n’a été proposé pour que les biens volés soient rendus ou compensés ».


Sidney Zabludoff

Sidney Zabludoff est économiste et a travaillé pour la Maison Blanche, la CIA et le Département du Trésor américain durant plus de trente ans. Depuis sa retraite, en 1995, il s’est principalement concentré sur des problèmes relatifs aux restitutions des biens juifs spoliés durant la période de la Shoah.

“Les arrangements les plus parlants du second cycle ont consisté au reversement des comptes dormants dans les banques suisses et aux 2.100 Juifs qui ont vécu en Norvège avant la Shoah. Dans les deux cas, les biens impliqués représentaient une toute petite part des avoirs juifs pillés. A la même période, l’effort qui reçu le plus d’attention dans l’opinion, à savoir le remboursement des requêtes auprès des compagnies d’assurance, par l’entremise de la Commission des Plaintes su la Période de la Shoah (ICHEIC), n’a eu pour conséquence qu’un reversement d’environ 3% du total dû.

“Au bout du compte, moins de 5% des biens juifs d’avant la Shoah ont été restitués depuis la seconde moitié des années 1990. Ainsi, au total, plus de 80% de la valeur des biens juifs spoliés par les Nazis et leurs collaborateurs restent non-compensés. Ce qui s’élève à au moins 180 milliards de $, au niveau des prix courants en 2013.

“Nous connaissons l’essentiel de ce qui a pu être fait en Allemagne. Aux alentours de 1954, dans le cadre des lois alliées, les restitutions ont presque entièrement abouti. Une part substantielle des remboursements, par la suite, jusqu’en 1997, a pu se faire dans le cadre de la Loi BRÜG, qui a offert des compensations pour les propriétés meubles volées par les Nazis, que le requérant pouvait identifier, mais plus localiser. Cela concerne essentiellement les biens du foyer, des comptes bancaires, la bijouterie et des titres. Elles ont eu lieu à l’intention de près de 750.000 requérants qui possédaient des biens à travers toute l’Europe.

“Grâce à cette loi, on a pu procéder à, environ, un quart des remboursements pour restitution à destination de Juifs ayant vécu en Allemagne à la fin des années 1930. Une part inconnue, mais significative, de ces reversements –peut-être un quart – a été versée à des Juifs vivant hors d’Allemagne et qui se sont enfuis au cours des années 1930. Une autre moitié a été versée à des Juifs des pays occupés d’Europe.

“Au total, guère plus de 12% de la valeur d’avant-guerre des biens juifs confisqués en Allemagne a été rendue. Cette configuration est aussi basse, à cause de la dévaluation de la monnaie allemande après-guerre. Pour l’Autriche, environ un tiers du total des biens pillés a été restitué, alors que, pour le reste des pays d’Europe de l’Ouest, cela concerne entre 40 et 60%. En Europe de l’Est, il semble plus improbable que plus de 5% des titres de propriété juive aient été retournés à leurs propriétaires légitimes.

“On peut attribuer le faible pourcentage global des biens juifs restitués après la Shoah à deux principaux facteurs : en Allemagne – qui pesait pour environ 25% de tous les biens juifs volés – la valorisation de ces biens était basse, du fait des réformes monétaires. En Europe de l’Est – qui représentait pour environ 60% des propriétés juives saisies – on le doit à la longue période de la domination communiste.

En revenant sur la globalité du processus de restitution, Zabludoff remarque : « Le point de repère de la Convention de la Haye, en 1907, sur les lois de la guerre, stipulait que la propriété privée ne peut être confisquée, que le pillage est interdit et que les institutions consacrées à la religion, aux œuvres caritatives et à l’éducation, aux Arts et aux sciences, devaient être considérées comme propriété privée.

“Peu après avoir retrouvé leur indépendance, tous les pays occupés ont mis en œuvre des règles de restitution. Les Alliés se sont mis d’accord, au cours de la Conférence de Paris, sur le fait que la guerre menée par les Nazis contre les Juifs, fait d’eux une groupe particulier ayant droit à des compensations. En tant que tels, les Juifs, à titre personnel, ont le droit d’exiger de l’Allemagne des remboursements pour leurs biens spoliés et d’autres préjudices.

“Les restitutions après la Shoah, cependant, sont demeurées un problème secondaire, à la suite de la Seconde Guerre Mondiale, du fait des intérêts nationaux. En outre, elles sont devenues singulièrement compliquées, d’abord, parce que tant de Juifs et leurs héritiers légitimes ont été assassinés. On doit résumer le piètre résultat de ces deux périodes de restitution, en disant que ce fut un échec que de vouloir faire un effort unique, complet et juste, afin de régler les conséquences d’un évènement sans équivalent dans les annales de l’histoire moderne – l’extermination de plus des deux-tiers de la communauté juive européenne et la confiscation de près de la totalité de ses biens.

Nahum Goldmann, Président du Congrès Juif Mondial, a fortement insisté sur la nécessité de solutions uniques en leur genre, lors de sa première rencontre avec le Chancelier Konrad Adenauer, afin de proposer le règlement le plus large de la question des restitutions. Il déclarait : « Je savais que je demandais quelque chose de totalement inhabituel, quelque chose qui, selon toutes les normes, pouvait être considéré comme inexact. Mais, il s’agit d’un cas unique… Je dois pouvoir attendre de vous que vous passiez outre à toutes les règles conventionnelles ».

Le Dr. Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans. Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

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Ratfucker

La Suisse a participé activement au pillage des biens des Juifs d’Europe de l’Est. Prétextant l’absence d’actes de décès des victimes de la Shoa, les banques suisses ont refusé la mainlevée aux héritiers sur les avoirs qui leur avaient été confiés. Et ces avoirs ont tout simplement été attribués aux multinationales suisses à titre d’indemnisation pour leurs actifs saisis par les autorités communistes.