Survivante d’Auschwitz, elle était l’invitée de la matinale de France Inter pour les 70 ans de la découverte du camp nazi. Elle y a dit ce qu’elle avait sur le cœur, et elle ne l’a pas tendre

BILLET

 Ce petit bout de femme à la chevelure rousse, d’apparence si fragile, n’en a cure des convenances.

Marceline Loridan-Ivens, le 15 janvier 2015 à Paris (DOMINIQUE FAGET/AFP)

La cinéaste n’a ainsi pas pris de gants pour réduire en bouillie la chronique de Bernard Guetta, qui tentait de philosopher sur Auschwitz, et exprimer son pessimisme profond sur le fait qu’on n’apprend pas, que le monde reproduit l’antisémitisme depuis 2 000 ans et que ce n’est pas près de s’arrêter, et que c’est pour ça qu’elle n’a jamais voulu avoir d’enfant après son retour du camp de la mort.

Et s’il n’y avait eu que des victimes juives…

Marceline Loridan a parfois laissé Patrick Cohen sans voix, sans question prête pour enchaîner comme tout bon intervieweur ; et elle a posé une question taboue :

« Est-ce que les Français seraient descendus dans la rue s’il n’y avait eu que des victimes juives début janvier ? »

Poser la question, c’est y répondre. Les Français ne sont pas descendus dans la rue lors de la tuerie de l’école juive de Toulouse, en mars 2012, et il y aurait eu un grand émoi mais pas le même choc sans l’attaque sans précédent de la rédaction de Charlie Hebdo.

Des « lâches » dans les classes qu’elle visite

En décembre, j’ai eu la chance d’assister à un incroyable « spectacle » : Marceline Loridan était sur scène, au Forum des images de Paris, avec le cinéaste Yves Jeuland, qui, pendant trois heures entrecoupées d’extraits de films et de musique yiddish, a parlé de ses parents juifs polonais, de sa jeunesse française, du milicien vichyste qui a tenté de la violer en l’arrêtant mais qui a en a été empêché par un soldat allemand sous prétexte qu’on « ne touche pas à cette race-là »…, de son expérience des camps, et de la vie après Auschwitz.

« Servir le peuple » est devenu « Servir le RMB » (la monnaie chinoise), Marceline Loridan, le 29 mai 2014 à Paris (Pierre Haski/Rue89)

La salle était pleine à craquer, et d’Auschwitz à la Nouvelle Vague ou à la Chine de Mao qu’elle a connue – et soutenue – de (trop) près avec son mari Joris Ivens, cette vie exceptionnelle a défilé entre larmes et rire, entre tragédie et parfois comédie.

Mais mardi matin, Marceline Loridan était en colère, ou peut-être pire, désabusée. Se demandant si ça servait réellement à quelque chose de témoigner sur Auschwitz à partir du moment où cette mémoire-là n’empêchait pas de nouveaux crimes, de nouvelles haines, n’empêchait pas des enfants d’être indifférents lorsqu’elle diffuse son film dans les écoles : des « lâches », dit-elle sans concession.

Et le pire, c’est qu’il s’est trouvé un auditeur de parents algériens, éducateur de son état, qui s’est senti obligé d’appeler pour dire l’importance du « devoir de mémoire » sur les camps, et l’importance de cette histoire tragique partagée. Comme s’il fallait montrer, au nom du politiquement correct d’aujourd’hui, que cette mémoire était véritablement collective, Arabes compris.

Concurrence mémorielle

Toutes les contradictions de la société française post-Charlie se retrouvaient dans ce qui aurait dû être une journée de commémoration comme la France en connaît tant.

Au même moment, les statistiques des actes antisémites, en forte augmentation en 2014, commençaient à circuler sur les sites d’info et les réseaux sociaux, comme en écho au pessimisme de Marceline Loridan.

Des statistiques qui en appelèrent aussitôt d’autres : il se trouva sur Twitter quelqu’un pour faire observer qu’il y a eu plus d’actes islamophobes depuis le début de 2015 que pendant toute l’année 2014…

Cette querelle victimaire fait partie du mal français, avec son corollaire, la concurrence mémorielle.

Les faiblesses de l’Histoire

Qui est le plus malheureux, qui est le plus persécuté, qui subit le plus dans la France d’aujourd’hui ? Cette question se pose depuis longtemps, et constitue le non-dit malsain d’une journée de commémoration d’Auschwitz.

Cette énergie négative empoisonne la société française depuis des années, et ressurgit à chaque tragédie : l’affaire Halimi, Toulouse, Gaza, Charlie Hebdo et Vincennes… De quoi donner raison au « pessimisme de la raison » de Marceline Loridan.

Comment transformer cette énergie négative en énergie positive ? Comment faire de ces faiblesses de l’Histoire, de notre histoire, de nos histoires entremêlées avec leurs parts d’ombre et de lumière, un facteur d’unité pour repousser la barbarie, sous toutes ses formes ?

Peut-être est-ce à cette question que devrait être consacrée la journée d’Auschwitz. Pour donner tort à Marceline Loridan.

PS : France Culture a eu la bonne idée de diffuser lundi en fin d’après-midi des archives INA sur la manière dont on parlait des camps en 1945-46. A écouter pour constater, justement, que le monde change, et pas qu’en mal.

http://rue89.nouvelobs.com/2015/01/27/auschwitz-70-ans-apres-donner-tort-a-marceline-loridan-257335

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yaakova

Tout est fait pour que cela recommence, mais cette fois ce ne sont pas les SS allemands, mais les SS arabo-musulman, avec l’aide des politiques. Cette femme est très réaliste, et elle ose le dire ! Bravo. A nous de prendre la relève, et osons le dire, et le clamer à son côté.

DAVID

le 02 02 2015_ Encore plus triste et plus ignoble, si peu de temps après cette tuerie! Qu’elle ne fut pas ma surprise lors du grand « show » sur la 2 samedi 31, d’entendre Adamo chanter une chanson qui m’avait beaucoup ému quand j’étais jeune: Inch’ Allah mais il l’avait transformée, ce n’était plus le souvenir de l’extermination qui était à l’ordre du jour mais les pauvres palestiniens, soudain mêlés et juxtaposés à cette horreur comme si c’était la même chose!! incroyable, depuis quand un artiste modifie-t-il les textes en fonction du politiquement correct et ce la semaine de la commémoration de la libération des camps de la mort! indécent et criminel, il n’y a pas de mots pour le dire! « Tout est consommé » pour ne pas évoquer encore plus et déclarer : tout s’est consumé…Merci quand même.

Ratfucker

« l’importance de cette histoire tragique partagée. » Cette concurrence victimaire s’accommode-t-elle de l’équipée de la « SS Mohammed », la fameuse Brigade Nord Africaine qui a écumé la Dordogne et la Corrèze en 1944, affectée à l’exécution de centaines d’otages, à la rafle de 700 Juifs dont aucun n’est revenu, qui s’est illustrée par des milliers de pillages, d’incendies, de viols de meurtres au nom du Reich? C’est le genre de détail qui fâche Pierre Haski, dont le site est devenu la cour de récréation des rescapés du Parti Antisioniste.