Pour ce faire, il doit stabiliser son pouvoir en supprimant le système de freins et de contrepoids nourri par les factions princières rivales et des affiliations tribales, ainsi que son système de sécurité qui se trouve affaibli par ces deux acteurs. La question est de savoir s’il sera capable d’éviter le sort du Shah, qui a transformé l’Iran en une puissance régionale, mais qui a été victime d’une opposition venue de l’intérieur, née de sa concentration du pouvoir.

Même aux États-Unis, une nation dont le système de pouvoir et contre pouvoir limite le pouvoir exécutif et atténue le risque de tyrannie, il a toujours été largement reconnu qu’en période de grand danger imminent venu de l’extérieur, une loi sur les pouvoirs en temps de guerre doit être adoptée, afin de permettre aux acteurs majeurs de l’exécutif de relever le défi. Un classique de la lecture juridique bien connu sur ce thème est justement intitulé «Dictature constitutionnelle».

L’Arabie Saoudite est confrontée à une menace externe existentielle d’envergure. En réponse, le jeune Muhammad Bin Salman (également connu sous le nom de MBS), le prince héritier et ministre de la Défense, est déterminé à transformer le royaume.

Le système de pouvoir et contre pouvoir en Arabie saoudite repose sur des camps rivaux composés de centaines, voire de milliers de princes et d’affiliations entre tribus rivales. Son service de sécurité est déchiré par des conflits nourris par la concurrence entre une armée appartenant à une partie de la famille royale, une garde nationale appartenant à une autre, et un establishment religieux qui a sa propre force policière. Le but de MBS est de réformer ces forces afin de pouvoir les conjuguer, pour en faire une machine de guerre unifiée et centralisée.

Pourquoi est-ce indispensable ? Parce que, comme cela a été récemment démontré, lorsque les forces Houthi au Yémen ont lancé un missile balistique sur le plus grand aéroport de Riyad, l’Arabie Saoudite est en guerre totale pour sa survie.

Peu d’États ont été autant frappés par les déboires géostratégiques que l’Arabie Saoudite au cours des deux dernières décennies. La fragilisation des piliers de sa sécurité qui avaient permis à cet état unique et archaïque de prospérer, se sont effondrés les uns après les autres. En cause principalement, le redoutable ascendant régional pris par l’Iran, son ennemi juré.

Les États-Unis furent longtemps l’un des piliers majeurs, garantissant la sécurité du Royaume. Or, les Saoudiens ne les considèrent plus comme un acteur régional fiable jouant efficacement les gendarmes pour maintenir la souveraineté des Etats, sur lequel on peut compter pour conjurer les menaces extérieures, comme ce fut par exemple le cas en 1991 quand les USA avaient mobilisé un demi-million de soldats américains, pour bouter l’armée irakienne hors du Koweït occupé.

Durant le mandat d’Obama, les Saoudiens pouvaient encore se consoler en mettant sur le compte d’une aberration temporaire la volonté des 5+1 de croire que composer avec l’Iran, l’ennemi juré du royaume saoudien, au sujet de ses capacités nucléaires militaires, devait aller jusqu’à des négociations aboutissant à un accord. Mais l’écart entre les paroles de Trump et sa trahison dans les actes, suggère que le désengagement américain pourrait être plus profond et historique. Trump sait que beaucoup de ses partisans préfèrent que  les armes restent à la maison plutôt que déployées hors du territoire. Ils ne sont certainement pas favorables à envoyer des armes et les forces américaines pour protéger l’État saoudien, qui a engendré et nourri dans son sein la plupart des terroristes du 11 septembre.

Au niveau régional, les Saoudiens ont dû se rendre compte que bien qu’il y ait beaucoup d’États arabes sunnites dans la région, ils sont la seule entité potentiellement capable de relever le défi iranien. Cette position solitaire provient de la forte baisse du pouvoir de l’Egypte dans la région. Il y a un demi-siècle, l’Egypte était en mesure de défier Riyad en menaçant de mener une guerre pour détruire la dynastie yéménite et la remplacer par un régime militaire de sa propre fabrication. Aujourd’hui, les forces de sécurité égyptiennes parviennent à peine à contenir l’Etat islamique, qui ne s’étend pas sur plus de 1 000 kilomètres carrés au Sinaï entre Al-Arish et Rafah. Monopolisée par cette menace, l’armée égyptienne n’a guère la capacité de venir en aide aux Saoudiens au-delà de ses frontières.

A l’est, les Saoudiens ont pu un jour compter sur l’Irak pour servir de tampon entre eux et les ambitions impérialistes iraniennes, bien qu’ils détestent à la fois les Hachémites qui l’ont gouverné à l’époque où c’était un royaume et les Baathistes qui les ont remplacé. C’est pourquoi Riyad a financé Saddam Hussein au cours dans sa longue et exténuante guerre contre l’Iran, dans les années 1980, tout en détestant copieusement l’homme.

Non seulement ce tampon a cessé d’exister, mais l’Irak est tombé dans le giron chiite. Son premier ministre et son élite politique, du moins du point de vue saoudien, sont devenus des marionnettes iraniennes. Sur le plan militaire, les milices chiites – qui manifestent clairement leur loyauté à la garde révolutionnaire iranienne – seraient a encore plus puissantes que l’armée fédérale officielle.

Pour ajouter l’insulte à l’injure, les Etats-Unis, qui ont détruit ce tampon en envahissant l’Irak en 2003, se sont engagés à renforcer l’armée irakienne, qui a récemment mené à la défaite des Kurdes à Kirkouk. Les Kurdes à prédominance sunnite étaient le dernier allié plus ou moins fiable des Saoudiens dans la région après les revers subis par leurs mandataires en Syrie.

Pire encore a été l’échec rencontré par cette toute puissance financière saoudienne à promouvoir des mandataires pour mener la guerre contre les Iraniens au nom du royaume. Financer des guerres par procuration a été le pilier central de l’architecture sécuritaire de l’Arabie saoudite pendant des décennies, mais surtout depuis le pseudo printemps arabe. Le retour du régime d’Assad en puissance avec la reconquête de Homs et d’Alep, et le rapprochement des forces syriennes et des milices alaouites et chiites avec leurs homologues irakiens le long de la frontière sud-est de la Syrie pour recréer le croissant irano-chiite a mis en déroute les rebelles sunnites financés par Riyad. Cela représente non seulement une perte stratégique majeure pour le royaume en termes de rapport de force avec Téhéran, mais reflète également l’inadéquation de la clé de voute de la puissance saoudienne.

MBS comprend que l’Arabie Saoudite n’a plus d’autre choix que de mener cette guerre directement. C’est pourquoi le royaume a frappé son système de pouvoir et contre pouvoir parfaitement huilé. Cela a peut-être permis de préserver la stabilité interne du royaume, mais a limité sévèrement la transformation de l’Arabie saoudite en une machine de guerre efficace prête à affronter la menace iranienne.

MBS sera-t-il en mesure de galvaniser la jeunesse saoudienne pour qu’elle parvienne à faire face au danger? Tout aussi capital sera-t-il capable de centraliser le pouvoir et de devenir la principale puissance régionale comme su l’être le Shah en son temps, tout en évitant le sort du Shah? Prendre des mesures audacieuses comme entrer dans la guerre aérienne au Yémen ou emprisonner une douzaine de célébrités politiques en Arabie Saoudite pourrait être un début prometteur, mais elles ne garantissent en rien de son succès à relever les défis auxquels il doit faire face.

Le professeur Hillel Frisch est professeur d’études politiques et d’études sur le Moyen-Orient à l’Université Bar-Ilan et chercheur au Centre Begin-Sadat pour les études stratégiques.

Les articles du « BESA Center Perspectives  » sont publiés grâce à la générosité de la famille Greg Rosshandler

 

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