VaYiSHLaH: La rencontre de deux extrêmes

Par Caroline Elishéva REBOUH

 

 

 

Jacob et Esaü ne s’étaient pas rencontrés depuis 34 ans… (14 ans pendant lesquels Jacob avait étudié à la Yeshiva de Shem et Ever et 20 ans chez Laban pendant lesquels Jacob avait travaillé tout en réussissant à fonder une famille.

Jacob s’était constitué une fortune colossale bien qu’ayant servi son beau-père 14 ans sans compensation salariale en se faisant régler son salaire sur les six autres années avec les intérêts rétroactifs.

En quittant la maison de son beau-père, Jacob aperçut des Anges en chemin. Le texte qui suit est d’ailleurs celui qui fait partie de la tefilath haderekh.

Le mot « mal’akh » signifie généralement : ange mais il désigne parfois un messager ou un envoyé et dans ce cas précis il s’agit d’Anges véritablement : Rashi affirme מלאכים ממש et le Keli Yakar commente le mot mamash (vraiment) en commentant ainsi : Jacob envoya des messagers vers Esaü mais, la mission étant particulièrement dangereuse, il choisit parmi la milice divine qui l’accompagnait de trois anges très particuliers: Michaël, Mishaël et SHenandiël.

Les trois initiales écrites en plus gros que le reste, forment le mot MAMASH qui signifie en hébreu: « vraiment ». En quoi l’envoi de présents en si grand nombre vers Esaü représentait-il un si grand danger ?

Pour quelles raisons Jacob, dans sa prière vers HaShem, évoque-t-il son frère à deux reprises et de façon différente : « הצילני נא מיד אחי, מיד עשו » (sauve moi je Te prie des mains de mon frère, des mains d’Esaü..) ?

C’est, qu’en vérité, Esaü est un homme qui d’une part cultive sa personnalité et son penchant sanguinaire et belliqueux et qu’un ange partageant les mêmes penchants s’est affilié à Esaü il s’agit de Sama-el. C’est donc pour échapper aux deux que Jacob évoque à deux reprises de son frère et d’Esaü.

Esaü cultivait tant sa personnalité qu’il s’admirait lui-même et célébrait le fait qu’il soit poilu, et chevelu et roux au point de donner à la montagne où il habitait le nom de « Séïr » (poilu) et à la région dans laquelle il séjournait le nom d’Edom : rouge, en référence à ce plat de lentilles que Jacob avait cuisiné et qu’Esaü mangea de façon gloutonne.

En réaction au fait que Jacob avait reçu la bénédiction qu’Isaac réservait en fait à Esaü, celui-ci donne à l’un de ses enfants le nom de « ahi » (mon frère) de manière à satisfaire son besoin de vengeance. Ainsi demandait-il à son fils : Ahi, apporte moi ceci… ou Ahi fais cela, c’était une façon d’imaginer qu’il asservissait son frère.

Au cours des parashot passées s’est fait jour une tendance particulière de Jacob qui se laisse envahir par la frayeur et même par l’effroi que lui cause la personnalité de son frère avec ses tendances aux épanchements de sang en chassant par exemple, par la violence qui est un fait quotidien chez lui au contraire de Jacob dont le modus vivendi est l’harmonie, la paix, l’amour.

On pourrait se demander pour quelle raison Jacob est si effrayé de cette rencontre avec son frère alors qu’il a reçu la promesse d’HaShem de veiller sur lui, de voir sa descendance devenir aussi nombreuse que le sable de la mer….

Le Créateur a promis à Abraham que sa descendance serait comme les étoiles du ciel et à Jacob que cette fameuse descendance serait aussi nombreuse que le sable de la mer. Les étoiles du ciel sont très nombreuses mais sans doute moins que tout le sable de la mer mais la différence est que le sable est foulé aux pieds comme l’a été le peuple juif lors de tous les exils qui ont éparpillé les Juifs et lors des persécutions au cours desquelles des millions de Juifs perdirent la vie.

Les évaluations sont diverses : certains exégètes pensent que Jacob craignit de se voir reprocher le fait d’avoir épouser deux sœurs alors que cela est interdit mais un commentaire que j’ai lu il y a de nombreuses années et que je ne retrouve plus exprimait le fait qu’étant donné que Léa était destinée à épouser Esaü qui, de son côté avait épousé des idolâtres, Jacob avait en quelque sorte « exercé le lévirat » pour donner une descendance juive à son frère qui était totalement sorti des rails du judaïsme.

D’autres commentateurs font ressortir qu’en fait Esaü avait observé la mitsva du kiboud av vaem (respect du père et de la mère) en donnant à son père du produit de sa chasse mais peut-on rétorquer, Jacob observa la même mitsva en accomplissant les vœux de sa mère (prendre la place de son frère pour se faire bénir et de s’exiler pour aller prendre femme).

Rahel était une femme pure et au bon cœur et de plus elle avait un « bon œil » (ayin tova) tous ses actes sont empreints d’amour et de largesse : comme de laisser sa sœur prendre sa place sous la houppa et la tente nuptiale.

Ce don si particulier s’est reproduit à travers sa descendance : lorsque Jacob bénit ses petits-enfants Ephraïm et Menashé en faisant passer le cadet avant l’aîné, aucune jalousie, aucune rivalité ne se déclare entre les frères au contraire de ce qui se produisit entre Esaü et Jacob.

Joseph n’a pas voulu se venger de ses frères car il avait appris les qualités du comportement de sa mère et il les fit siennes et les transmit en héritage à ses fils.
Nos Sages enseignent que les richesses de Jacob étaient considérables dès lors pourquoi n’avoir envoyé à Esaü que 580 bêtes ?

Rashi pense que le fait que l’inventaire est au pluriel comme s’il s’agissait de signifier que ces bêtes étaient toutes caractérisées par la présence d’un « moum » (défaut physique) qui les rendaient impropres aux sacrifices. Le nombre des bêtes offertes en cadeau est, par lui-même, une allusion à l’offrande pour recevoir le pardon en envoyant un bouc pour l’abolition des pêchés, des fautes pour Yom Kippour.

L’envoi de ces cadeaux aurait comme si leur valeur symbolique de 580 vient en rachat des fautes commises entre Jacob et Esaü !

Esaü conserve en lui un sentiment d’amertume, de rancune vis-à-vis de son frère. Pour sa part, Jacob ressent par devers lui cette vengeance qui devrait s’exprimer mais cette violence n’a pas lieu.

Les 34 années écoulées ont creusé un sillon encore bien plus profond entre les deux frères. Chez Esaü rien ne peut se rapprocher de la façon de vivre de Jacob. La rencontre et la « réconciliation » ayant eu lieu, la solution la plus sage fut de faire en sorte que les routes se séparent.

Bien avant ce moment, Abraham et Loth se séparèrent bien qu’étant parents, la mentalité et la façon de vivre des deux hommes ne convenaient pas et, tandis qu’Abraham poursuivit son chemin (au sens propre comme au sens spirituel) et continua à prier HaShem et Loth, pour sa part, s’en retourna en Babylonie d’où il venait.

Dans notre péricope, Esaü continua son style de vie et laissa ses femmes rendre des cultes étrangers tandis que Jacob ses femmes et ses fils continuaient à servir HaShem et à être fidèles aux mitsvoth de la Torah, selon l’enseignement des Patriarches, bien que l’approche de chacun d’eux fût différente : Abraham adorait l’Eternel avec hessed (grâce/vertu = sephira du hessed), Isaac avec din’ (rigueur= sephira de la guevoura) et Jacob le emeth (vérité ou sephira de tif’éreth).

Caroline Elishéva REBOUH

MA Hebrew and Judaic Studies
Administrative Director of Eden Ohaley Yaacov

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