Vayakel: rappel du caractère sacré du Chabbat (vidéo)

« Pendant six jours on travaillera, mais le septième jour sera sacré à vos yeux un chômage total en l’honneur de l’Éternel ». (Exode, 35, 2)

Moïse s’apprête à communiquer au peuple d’Israël les instructions détaillées concernant l’édification du Tabernacle selon la volonté de l’Éternel. Mais avant d’y procéder, nous le voyons introduire son sujet par quelques phrases très courtes, mais extrêmement importantes :

Il rappelle au peuple le caractère sacré du Chabbat. Pourquoi le fait-il justement ici ?

A plusieurs reprises, la Torah nous avait déjà signalé la sainteté du Chabbat. Dès la création du monde, ce jour avait été consacré par l’Éternel et avait, pour ainsi dire, couronné l’œuvre de la création. De plus dans les Dix commandements, l’Éternel avait jugé bon d’inscrire parmi les devoirs le concernant, l’obligation de se reposer le jour du Chabbat.

A quoi bon, dans ces conditions, signaler une fois encore ici toute la portée de ce grand jour ?

Le peuple, nous le savons, va s’apprêter à obéir avec beaucoup de zèle et de dévouement à l’ordre de Moïse et participer à la construction du Tabernacle chacun selon ses moyens et ses capacités. Non seulement nos ancêtres vont offrir ce qu’ils ont de plus précieux en des quantités importantes, mais, par ailleurs, hommes et femmes vont travailler eux-mêmes les matériaux selon leurs aptitudes.

II y avait donc lieu de craindre qu’ils ne se laissent entraîner par leur désir de bien faire et ne se disent qu’on pouvait aussi bien travailler le jour du Chabbat, puisque c’était en l’honneur de l’Éternel, c’est ce que Moïse voulait éviter à tout prix. D’où la nécessité à ses yeux de commencer par rappeler la valeur absolue du chabbat même pour obéir à Dieu, même pour accomplir une Mitsva de l’Éternel, il n’est pas permis de le profaner.

Combien moins est-il permis, bien entendu, de le violer pour des raisons de commodité personnelle, pour son plaisir, pour avoir une meilleure place à l’école, pour gagner de l’argent. Même pas pour obéir à ses parents car ceux-ci ne peuvent exiger de nous de désobéir à Dieu auquel eux, tout comme nous, sont tenus de se soumettre.

LE RABBIN JEAN SCHWARZ  www.lamed.fr

 

«Pendant six jours on travaillera mais au septième jour vous aurez une solennité sainte (kodech chabbat chabbaton) en l’honneur de l’Eternel; Vous ne ferez point de feu (lo tébaârou ech) dans aucune de vos demeures ce jour là »… «Puis, que tous les plus industrieux d’entre vous (col h’akham lev) se présentent pour exécuter ce qu’a ordonné l’Eternel ». (Ex, 35, 2, 3 et 10). Traduction de la Bible du Rabbinat.

Point n’est besoin de revenir sur l’insertion des prescriptions concernant le chabbat lors de la construction puis de l’édification du Sanctuaire[1].

Cependant, il faut s’interroger sur la reprise de ces prescriptions en même temps que sont récapitulés les différents éléments entrant dans cette construction.

Ils sont récapitulés de nouveau parce que cette fois Moïse s’adresse au peuple après la faute du Veau d’or, au peuple muni des secondes tables de la Thora, au peuple édifié lui même moralement par la commission de cette transgression inouïe qui a failli lui être fatale.

Et ce peuple– on l’a déjà explique aussi, est abordé comme KaHaL, doté des deux lettres hei et lamed, que l’on retrouve dans la louange du HaLeL.

Ce peuple n’est pas doté d’une mémoire exclusivement factuelle mais d’une mémoire transcendante.

Il est en mesure de se souvenir non pour répéter mais pour se dépasser. A cette fin, il doit conjoindre deux attitudes et deux aptitudes qui d’ordinaire sont difficilement conciliables: la maîtrise de soi, soulignée par la reprise de l’interdit chabbatique, et la capacité de créer, d’où la référence aux « savants de cœur ».

 Rachi s’interroge d’ailleurs sur la signification de cet interdit en ce point du récit biblique: serait-ce pour signifier que faire du feu le jour du chabbat relève d’une défense spécifique?

Ou bien pour rappeler de manière plus générique encore la catégorie même des interdits opérants ce jour là? Il faut sans doute relier ces deux lectures. La seconde concernerait la référence formelle à ces prohibitions.

La première, elle, soulignerait la dynamique interne, la contagiosité des transgressions. En ce sens, l’interdit de faire du feu comporte bien sûr un sens en soi mais aussi au regard du fait qu’une fois allumé un feu se propage, pour peu qu’il trouve sur son passage des matières à brûler.

La langue hébraïque l’indique par le verbe BoÊR: consumer, dont la racine constitue la « décombinaison » de la racine ÂBR qui désigne au contraire le déplacement progressif et se rapporte à l’état d’esprit du ÎVRi, de l’être-hébraïque capable en ses déplacements de relier le point de départ et le point d’arrivée, le passé et l’avenir.

L’ombre du Veau d’or se discerne dans cette préfiguration du principe de précaution dont on sait la portée dans les dispositifs juridiques et éthiques contemporains.

S’agissant du Veau d’or, le processus avait commencé par une injonction verbale en direction d’Aharon, durant l’absence de Moïse.

Il s’est terminé par la brisure des Tables et, n’eût été l’inoubliable intervention de Moïse en personne, il se fût achevé par l’effacement du peuple de l’Alliance divine.

Toutefois, le principe de précaution ainsi entendu ne doit pas aboutir à l’inhibition du peuple rendu timoré, pusillanime et ayant peur en effet de son ombre.

C’est pourquoi, suivant immédiatement le rappel des règles du chabbat et, on l’a dit, plus particulièrement de l’interdit d’allumer du feu, sont reprises les prescriptions relatives à la construction du Sanctuaire.

L’on comprend mieux ainsi comment opère le récit biblique dans ses intentions didactiques: il met chaque fois l’accent, en tant que de besoin, sur les parties du comportement individuel et collectif à propos desquelles inattentions ou négligences, sans mêmes parler de transgressions, seraient certainement dommageables et mêmes irrémédiables.

Agir sans précaution peut s’avérer destructeur, activement. S’entourer de tant de précautions qu’il devienne impossible d’agir serait tout aussi destructeur, quoique passivement.

Le début de la paracha Vayakhel conjoint donc ces deux attitudes. Il ne faut pas oublier d’abord que l’interdit précité est un interdit de finalité chabbatique et non pas une prohibition strictement arbitraire.

L’expression chabbat chabbaton, par sa répétition, fait pièce à l’expressions symétrique et antagoniste, usitée dans la précédente parachamot youmat.

Celle-ci désigne non pas seulement la peine de mort au sens juridictionnel, avec son encadrement procédural, mais la mortalité et même la morbidité d’un esprit, d’une institution, d’une forme sociale ou d’un régime politique.

Celle-là se rapporte non pas seulement à la vie, à l’existence, mais aussi à ce qui fait que la vie soit vivante, à la « vivance », à ce que le Rav Kook nommera: h’ey hah’aym, la vie de la vie.

C’est pourquoi, le récit biblique rappelle que les travaux du Sanctuaire doivent être confiés non pas seulement à des artisans «industrieux» mais à des « savants de cœur » qui sachent mettre le leur dans ce qu’ils accomplissent, avec vigueur et avec rigueur pour eux-mêmes et pour leur Prochain.

Encore une observation concernant cette fois les dimensions propres de l’anthropologie biblique. La transgression du Veau d’or ne fut certes pas vénielle ni anecdotique.

Elle ravivait par sa violence et par ses caractères de passage à l’acte la transgression originelle commise au Gan Êden, celle des deux prescriptions constitutionnelles qui en garantissaient la viabilité: travailler (leôvdah) et préserver (lechomrah) (Gn,2, 15).

C’est bien ce doublet intimement équilibrant qui se retrouve dans la présente paracha: attention au feu qui dévore, mais simultanément attention à la passivité qui dissout. Tous les chemins de la Création exigent cette illumination à deux degrés.

Raphaël Draï zal, 20 février 2014


[1] Cf. commentaire sur Tétsavé.

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