« Qui est sage ? Celui qui apprend de tous les hommes » (Avot 4:1)

L’homme sage se connaît lui-même et reconnaît ses faiblesses, alors que le sot connaît suffisamment les autres pour les critiquer et les dénigrer, mais ne se connaît pas, de sorte qu’il n’est pas conscient de ses propres lacunes.
Pourtant, chaque homme a la capacité de se connaître quand il le souhaite. Comme Rabbénou Tam,un descendant de Rachi, l’a écrit dans son Sefer HaYashar, c’est là un principe fondamental et une règle importante.

Chaque personne peut se connaître elle-même et savoir son niveau spirituel… Il est écrit dans le Zohar (II 251a-b, ainsi que 6b) que dans le domaine de la sainteté, il y a un palais d’innocence et de vertu, et inversement, dans le domaine extérieur du mal, il y a un palais de culpabilité.

La différence entre les deux est que dans le palais de l’innocence et de la vertu, lorsqu’un homme y est jugé, tous les arguments présentés cherchent à le trouver innocent et méritoire, même s’il s’agit d’un méchant. En revanche, dans le palais de la culpabilité, tous les arguments présentés démontrent que l’accusé est coupable et devrait être puni.

C’est ainsi que chaque personne peut se connaître elle-même ainsi que son niveau spirituel. Si elle juge chacun favorablement, le trouvant bon et vertueux, elle est dans un état de sainteté, parce que c’est dans ce domaine que se trouve le palais de l’innocence et de la vertu, ainsi appelé du fait qu’on y défend le mérite et la bonté de tous.

Mais si elle juge chacun comme étant mauvais et coupable, alors elle est dans le domaine extérieur du mal, car c’est là que se trouve le palais de la culpabilité, où l’on est toujours jugé négativement.

À cet égard, j’ai cité ailleurs : « Ne juge pas ton semblable avant d’arriver à sa situation. »[Ketonet Passim, parachat A’harei Mot]

Le décompte de l’omer : Un décompte au cœur de la polémique !

C’est dans la paracha d’Emor que la Torah énonce la mitsva du décompte de l’omer. Ce commandement, qui consiste en substance à relier la fête de Pessa’h à celle de Chavouot par une supputation quotidienne, s’avéra être dès l’époque du Temple au cœur d’une discussion farouche opposant les Sages de la Michna à la secte des Saducéens.

Les origines du saducéisme : Au fil des siècles, les sectes et religions qui prirent racine dans le judaïsme pour s’égarer dans des croyances aussi diverses qu’hétéroclites sont en fait légion ! Parmi elles, l’une des plus anciennes est sans nul doute celle des Saducéens, à laquelle on affilie souvent aussi la secte dite des « Boëthusiens ».

Très méconnues des historiens, leurs origines se retrouvent dans nos sources traditionnelles dans un enseignement des Pirké Avot (Chapitre 1, 3), qui remonte au temps d’Antignos, disciple fidèle de Shimon le Juste – lui-même élève du prophète Ezra – qui vécut dans les toutes premières années du Second Temple (vers 350 ans avant l’ère commune).

Dans sa maxime très notoire, ce Sage énonçait comme principe : « Ne soyez pas [dans votre service du Créateur] comme des esclaves qui servent leur maître dans l’attente d’une récompense, mais comme des esclaves qui servent leur maître sans désir de percevoir de récompense ».

Autrement dit, servir D.ieu ne se résume pas à obéir à Ses injonctions comme un travail rémunéré par un salaire, puisque l’homme est tenu d’agir par amour pur et désintéressé dans la seule intention de réaliser la volonté de son Créateur.

Mais regrettablement, deux élèves de ce Maître de la Tradition interprétèrent mal son propos.

En effet, ainsi que le rapporte Maïmonide dans son commentaire sur cette michna, « ce Sage avait deux élèves, l’un du nom de Tzadok et le second du nom de Baytouss. Lorsqu’ils entendirent cet enseignement de la bouche du maître, l’un dit au second : ‘Voici, le maître a clairement énoncé que l’homme ne méritait aucune récompense ni aucune punition pour ses actes, et que tout espoir futur était exclu’ – car ils n’avaient pas saisi le sens véritable de ses paroles. Ils prirent appui l’un sur l’autre, s’écartèrent de la communauté et renoncèrent à la Torah. Autour de chacun d’eux se formèrent des sectes que nos Sages désignèrent par Tsdoukim et Baytoussim ».

A l’origine, poursuit le Rambam, la doctrine de ces élèves dissidents n’était qu’une contestation pure et dure de tous les enseignements de la Torah écrite et orale.

Néanmoins, constatant que leurs adeptes potentiels « les lyncheraient plutôt que contester la Torah », ils se résolurent ensuite à prêcher la foi en la Torah et à rejeter la tradition orale qui, selon eux, manquait d’« authenticité ».

De la sorte, ces hommes purent se dispenser en toute légitimité des préceptes transmis par tradition, des décrets rabbiniques ainsi que de leurs institutions, et s’arroger, ce faisant, la liberté d’interpréter la Torah comme bon leur semblait !

Désignées à l’ère talmudique comme appartenant au courant « saducéen », conclut le Rambam, ces sectes donnèrent jour par la suite en Égypte à la sinistrement notoire secte des caraïtes qui connut une grande expansion au début du Xe siècle de l’ère commune.

La polémique de l’omer

L’une des discussions qui opposa le plus farouchement ces sectes aux Sages de la Michna, eux-mêmes fidèles porteurs de la tradition mosaïque, concerne le décompte de l’omer, et plus particulièrement la date exacte à laquelle doit tomber la fête de Chavouot.

Aux premières sources de cette discussion, se trouve un passage talmudique qui nous rapporte les faits suivants : « Depuis le 8 Nissan jusqu’à la fin de la fête [de Pessa’h], on ne prononce pas d’oraison funèbre car c’est en cette période que le moment de la fête de Chavouot fut démontré. Les Baïtoussim soutenaient en effet que Chavouot devait tomber le lendemain d’un Chabbat, jusqu’à ce que rabbi Yo’hanan ben Zakaï les confondit : ‘Sots ! D’où tenez-vous cette assertion ?’Or aucun d’eux ne sut quoi lui répondre, hormis un vieillard qui ergota face à lui en disant : ‘Moché notre maître aimait le peuple d’Israël, et il savait que Chavouot ne durerait qu’un seul jour. C’est pourquoi il instaura que cette fête tombe après un Chabbat, afin que le peuple juif puisse se délecter deux jours consécutifs’ ! », (Traité Ména’hot, page 65/a)

Cet argument de rhétorique pure ne fit évidemment pas le poids face aux démonstrations de nos Sages – que l’on appela ensuite les « Pharisiens » en opposition à ces sectes –, lesquels mirent en évidence de multiples manières pourquoi Chavouot ne devait nullement tomber le lendemain d’un Chabbat et qu’il n’y avait donc aucune raison d’ajourner le début du compte de l’omer au dimanche suivant Pessa’h (voir dans le Talmud les nombreuses preuves invoquées en ce sens). Suite à cette polémique, les membres de ces sectes se virent contraints de se rétracter de leur position…

Les versets « à la loupe »

Toutefois, une lecture attentive des versets ne manquera pas de susciter un certain étonnement. En effet, dans la section de la Torah énonçant cette mitsva, l’injonction apparaît de la sorte : « Vous compterez chacun, depuis le lendemain de la fête [textuellement : du Chabbat], depuis le jour où vous aurez offert l’omer du balancement, sept semaines qui doivent être entières ; [vous compterez] jusqu’au lendemain de la septième semaine [textuellement : du Chabbat], jusqu’au cinquantième jour et vous offrirez une oblation nouvelle », (Vayikra, 23, 15-16).

Dans ces versets, le mot « Chabbat » figure à deux reprises : une première fois en faisant allusion au premier jour de Pessa’h qui, en qualité de jour de fête, est également considéré comme un temps de « chômage » [signification littérale du terme « Chabbat »], et en un second lieu, pour désigner la fin de « la septième semaine » (comme l’indique le targoum Onkelos), dans la mesure où le vocable « Chabbat » suggère également l’idée de « semaine » (voir Ramban sur place).

Or, quoique les Sages aient pu prouver leur position par une suite de démonstrations imparables, il n’en reste pas moins que les termes du verset laissent effectivement une large place à l’équivoque ! Là où l’interprétation littérale permettrait de traduire de manière textuelle ces deux « Chabbat » – où l’un placerait donc le début du décompte de l’Omer au lendemain d’un Chabbat et le second viendrait le clore, après sept semaines complètes, le même jour de la semaine – , la lecture appronfondie qu’en font les Sages attribue des interprétations différentes à deux termes redondants figurant dans un même verset, en dégageant totalement le terme initial de « Chabbat » de son sens simple ! Ou pour formuler autrement ce problème : si la tradition orale stipule qu’il convient d’extraire à deux reprises ce mot de son sens littéral, pour quelle raison la Torah a-t-elle laissé la place à l’équivoque et à la controverse en les employant tout exprès dans un même contexte ? C’est la réponse à cette question qui nous permettra sans doute de saisir plus profondément le pilier fondamental sur lequel repose la polémique initiée par les Saducéens et à leur suite, de tous les détracteurs de la tradition orale.

Deux Lois pour une même Parole

Comme l’enseigne ce passage du Talmud (Traité Bérakhot, page 5/ a), l’ensemble des préceptes de la Torah se divisent en plusieurs parties, dont deux centrales : « ‘Je veux te donner les Tables de pierre, la Loi et les préceptes que J’ai écrits pour en instruire le peuple’, (Chémot, 24, 12) : Les Tables – ce sont les Dix commandements ; la Loi – c’est l’Écriture ; les préceptes – c’est la Michna ; que J’ai écrits – ce sont les Livres des Prophètes et des Hagiographes ; pour en instruire – c’est la Guémara : ceci t’enseigne que tous furent donnés à Moché sur le mont Sinaï ». Ces différentes divisions de la Torah sont en réalité différents mode d’approche de la Connaissance divine.

La Loi écrite – ce que l’on désigne couramment par le « ‘houmach » – constitue ainsi le support de toute la connaissance : c’est sur elle que se fonde l’ensemble des préceptes et des enseignements de la Torah, si ce n’est de manière explicite ou par le biais d’exégèses, tout au moins au moyen d’allusions que savent déceler les Sages de la Tradition orale. Cette dernière constitue quant à elle la facette analytique de la Connaissance divine : c’est par elle que l’homme développe la science de l’Écriture et qu’il approfondit le mode d’expression pur et concis du verset. Le propre de la Loi orale est donc la méditation, l’approfondissement et l’exploration de la Loi pour en découvrir les secrets les plus profonds.

Ainsi, lorsqu’on nous dit que « telle est la voie de la Torah : mange ton pain dans le sel, bois de l’eau en petite mesure, dors à même le sol, vis une vie de souffrances et épuise-toi dans l’étude de la Torah » (Pirké Avot, 6, 5), il ne s’agit aucunement de recommandations relevant d’un quelconque ascétisme rigoriste ! Car à travers cet enseignement, nous devons au contraire percevoir l’essence profonde de la Loi divine qui ne se révèle à l’homme qu’après recherches et labeur, qu’à la sueur de son front et qu’à la force du « amal haTora » (les efforts de l’étude) qui en constituent la nature propre.

Cette idée est longuement développée par un passage du Midrach – au début de la paracha Noa’h – dont voici quelques extraits : « La Torah écrite fut donnée par allusions voilées et hermétiques qui sont expliquées par la Torah orale et dévoilées au peuple d’Israël. En outre, la Torah écrite énonce les principes généraux, et la Torah orale leurs détails ; la Torah orale est immense et la Torah écrite est concise. C’est d’ailleurs au sujet de la Torah orale qu’il est dit : «Elle est plus étendue en longueur que la Terre, plus vaste que l’Océan !» (Job 11). (…) Et l’on ne trouve la Torah orale que chez celui qui peine pour elle [littéralement : qui se tue] comme il est dit : «Telle est la Loi : un homme qui mourra [pour elle] sous la tente», (Bamidbar 19). (…) Et le Saint Béni soit-Il n’a contracté l’Alliance avec le peuple d’Israël que pour la Torah orale, comme il est dit (…) ; la Torah orale est ardue à l’étude et elle exige de l’homme beaucoup d’efforts car elle fut comparée à l’obscurité ; (…) elle renferme tous les détails des mitsvot les plus simples et les plus importantes, elle est âpre comme la mort et laborieuse comme l’abîme (…) », (Midrach Tan’houma, Noa’h, chapitre 3).

Nier la Connaissance authentique

Ainsi, la Science de D.ieu ne se dévoile-t-elle à l’homme qu’à la mesure de son engagement, sans quoi il ne saurait en percevoir le sens véritable ! Prendre la Torah dans sa signification littérale revient donc à nier la profondeur abyssale que recèle chacun de ses mots et chacune de ses lettres. Les piètres velléités des Saducéens en tous genres se résumaient en réalité à contester cette implication totale qu’exige l’étude de la Connaissance divine et qui constitue le coeur de l’étude de la Loi orale. Par leur dissension, ces sectes marginales tenaient en substance à se détacher de toutes les dimensions intérieures et profondes qui se cachent entre les lignes de l’Écriture.

Il n’est donc pas étonnant de constater que l’une de leur plus farouche polémique portait à l’endroit précis où le verset tout entier porte à confusion : en effet, c’est là où le mot deux fois répété de « Chabbat » dans un même verset a deux significations opposées que se mesure toute l’envergure de la Loi orale. Car à cet endroit précis du texte biblique, il apparaît qu’aucun mot de la Torah écrite ne saurait être lu tout seul en l’absence de l’approche incontournable qu’en donne la Torah orale.

Ici, le verset cherche donc à bon escient à « brouiller les pistes » en évoquant deux « Chabbatot » qui n’ont rien du septième jour de la semaine ; et ce, pour nous signifier que son interprétation ne saurait se livrer à l’homme sans l’intervention de la tradition rabbinique.

Jforum avec fr.chabad.org et Yonathan BENDENNOUNE (Source : ‘Hamodia-Edition Française)

 

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LACHKAR Norbert

« AVANT DE JUGER,BALAYE DEVANT TA PORTE » ou encore »POUR JUGER IL FAUT COMPRENDRE MAIS LORSQUE L’ON A COMPRIS,ON NE PEUT PLUS JUGER »A MEDITER !!!!!!!