Mais pourquoi donc Israël laisse sans réponse les avances du président turc ?

L’actuel gouvernement israélien a sûrement ses raisons ; et pourtant, quelles qu’elles soient, elles sont entachées d’une grande erreur de jugement. Je ne me fais aucune illusion sur la sincérité et le bien-fondé des raisons qui poussent le président Erdogan à faire des appels du pied à Israël. Mais vu la capacité de nuisance de ce président turc, le comparatif bénéfice / risque, reste, en dépit de tout, largement favorable à Israël.

Reprenons les choses dès le début : le président Erdogan a traité l’État d’Israël de tous les noms sur la scène internationale. Il a même accusé les soldats de Tsahal de tuer des nouveau-nés (they kill babies) ; lors de son passage à Davos, il eut un échange très vif avec l’ancien président de l’État, Shim’on Péres… Cela a laissé des traces. Et puis, il y eut l’épisode du navire qui a tenté de forcer le barrage maritime qui entoure la bande de Gaza. Et je ne cite pas tout, notamment le gel des échanges politiques jadis si vivants entre la Turquie et l’État juif. Mais en politique, les choses changent, les gens bougent.

Le rapport de forces a changé du tout au tout. La Turquie est isolée au plan international. L’Europe ne s’ouvre pas et le dit ouvertement, forçant le nouveau sultan à aller chasser sur terres reculées de l’extrême Orient jadis soviétique. Or, l’économie turque est en perte de vitesse. La monnaie turque a perdu de sa valeur et la majorité politique du président Erdogan s’effrite. Aux dernières élections municipales, son parti a perdu Istanbul. On pourrait allonger la liste sans peine. En gros, notre homme se rend compte qu’il a misé sur le mauvais cheval.

Une chose est déterminante pour la Turquie, c’est l’aide américaine et une certaine complicité avec les USA. Or, depuis le président turc a tourné le dos à l’Otan dont il est membre en acquérant des moyens de défense russes, ce qui est incompatible avec l’alliance de l’Atlantique nord… C’est dire que le président turc n’est pas en odeur de sainteté à la Maison Blanche.

La Maison Blanche, voila la Terre promise que le présidaient turc se promet de rallier si on voulait bien lui en faciliter l’accès. Mais voila, la route de l’Amérique passe par Israël. Telle est la conclusion à laquelle est parvenu le président turc. J’ajoute que la guerre entre l’Azerbaïdjan et cette pauvre Arménie a poussé le président azéri à plaider la cause d’Israël auprès de son ami turc : sans l’armement d’Israël, les Azéris n’auraient pas reconquis le Haut-Karabakh. Il semble que le président turc ait enfin compris. Un dernier élément : la normalisation des Émirats Arabes Unis avec Israël, ce qui a achevé d’invalider les analyses précédentes de la situation au Proche Orient. Or, la Turquie ne renonce pas à être aussi une puissance régionale ; le problème est de rallier les États qui ont le vent en poupe, ce qui présuppose l’éloignement de pays comme le Qatar et de mouvements terroristes comme le Hamas ou l’Iran.

Ce que voyant, le président Erdogan a décidé de courtiser Israël : il ne rate pas une seule occasion de reperdre contact avec les autorités israéliennes, de les féliciter, de leur dire sa compassion ( lors de la mort de Madame Herzog, la mère du président israélien). Sans oublier d’autres initiatives encore plus pressantes…

Eh bien, face à toutes ces manifestations de volonté de reprendre, d’amitié, l’actuel gouvernement israélien reste prudent, pour ne pas dire réservé. Et avec tout le respect, révérence gardée, je trouve que ce président turc ne doit pas être négligé : aujourd’hui, c’est la Turquie qui courtise Israël, ce pourrait être un gage d’amitié renouvelée. La Turquie est un pion de valeur dans l’échiquier du Moyen Orient. Il ne faut pas attendre de l’Orient des qualités qui n’existent qu’en Occident.

Il faut simplement espérer que la nouvelle posture du président Erdogan reste la même. La Turquie a eu avec Israël des relations très fortes. Et puis, il y a le passé.

Permettez moi de donner un exemple personnel : mon ancêtre du côté maternel, Moshé El Mosnino, expulsé d’Espagne en 1492 a trouvé refuge dans la ‘empire ottoman de Bajazet . Il a vécu à Izmir où il a publié un manuel kabbalistique vers 1521… C’est dire notre gratitude très grande envers la Turquie éternelle qui a accueilli nos ancêtres rejetés par l’Espagne catholique. Sans l’accueil des Turcs que serions nous devenus ?

Récemment, le président Erdogan s’est fait photographier avec des rabbins reçus officiellement dans son pays.

Au vu de ce bref plaidoyer, j’espère qu’Israël ne négligera plus les avances du président Erdogan. Nul n’est éternel. Les hommes passent, les États demeurent. Au fond, cette reprise du dialogue israélo-turc ne peut que profiter à Israël qui devrait plaider la cause de la Turquie auprès du Congrès américain.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève.  Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020

Le Président Recep Tayyip Erdoğan a reçu, dans le complexe présidentiel, des membres de la communauté juive turque et de l’Alliance des rabbins dans les États islamiques.

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o.icaros

Je ne comprends pas la fascination des juifs, des Israéliens, pour les Turcs, elle me saoule. Je pense notamment aux historiens, les turcologues, qui ne cessent d’encenser l’empire ottoman, pour moi l’empire des brigands, empire colonial truc dans lequel les Turcs, minoritaires, étaient les seuls étrangers sur des terres usurpées, alors que celles-ci n’étaient pas en déshérence et étaient occupées depuis des siècles en formant, déjà, des nations bien construites et avancées. Si la Turquie est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, une puissance économique, c’est bien grâce aux juifs et aux israéliens qui les ont bien aidés en croyant avoir toujours la main sur eux et qu’ils leur seraient toujours fidèles. Les Turcs se servent toujours des puissants et se mettent dans leurs pas pour prendre appui sur eux et grandir. C’est une constante dans leur histoire. Quand ils n’ont plus besoin, ils jettent et jettent leur dévolu ailleurs. L’ailleurs des Turcs c’est le monde musulman et le califat qui, pensent-ils, pour des raisons historiques, devrait revenir à Istanbul destiné à être le phare de l’islam, dans une Turquie membre de l’Union européenne. En sachant bien aussi que le jour où cette union se réalisera, c’est la Turquie qui absorbera, avalera l’Europe et non l’Europe qui l’intégrera à elle comme un élément périphérique sans importance. En ce qui concerne la reconnaissance des juifs envers Bajazet, des vieilles lunes sans qu’on sache si c’est totalement fondé, il faut arrêter avec cette scie dont on a gravé dans le marbre le récit qui est devenu un concept de la grandeur et de l’humanité des Turcs. N’oublions pas ce que Bajazet disait de Ferdinand chassant les juifs d’Espagne. Il y aurait d’ailleurs un travail de fond à faire sur ce sujet car tout cela relève d’une tradition orale. Mais, bon, restons sur la tradition orale qui donne cela: Ferdinand est un imbécile car en chassant ses juifs, il s’appauvrit. Moi, en les accueillant et j’augmente mon cheptel et ma richesse car j’aurais plus de dimmis à taxer. Les juifs s’enrichissent vite et leur fortune sera pour moi. Et les juifs que Bajazet a admis (combien? le sait-on seulement? un bateau, cent bateaux?) dans l’empire où les a-t-il implantés? A Jérusalem? En Terre Sainte? Non, il les a installés très loin de leurs racines, à Thessalonique et en Asie Mineure donc, à mon avis, il n’y a aucune reconnaissance à avoir. Le grand geste, qu’il n’a pas fait, c’était de rétablir les juifs chassés d’Espagne sur les anciennes terres juives qui étaient aussi « des terres ottomanes ». Cela lui aurait été facile. Alors là, oui, il y avait de quoi louer Bajazet…

gigi

Maurice-Ruben Hayoun se trompe. Réagir mécaniquement aux sautes d’humeur du turc ne serait pas judicieux. Erdogan ayant gravement dégradé les relations israélo-turques, la méfiance et l’animosité se sont installées entre les 2 pays. Seul le temps, et sans doute même un changement politique majeur en Turquie, pourront réparer ces relations.

Guidon

Les chiens aboient et la caravane passe !

makha

Je suis contre tout rapprochement avec la Turquie actuelle ,je pense que les turcs sont intelligent et comprennent très bien que ce n’est pas contre la Turquie mais c’est contre leur dirigeant sui insulte, menace et méprise Israël et ses dirigeant. Doit on sous prétexte de reconnaissance accepter tout et n’importe quoi???Souvenez vous Mr Ruben de l’attitude de Mr. Erdogan envers Shimon Perez!
Tout rentrera d’ans l’ordre quand cet ordure ne sera plus à la tête de ce pays la Turquie qui mérite mieux.
Cordialement Makha

yacotito

Je ne suis pas d’accord avec Maurice-Ruben Hayoun, excepté si Erdogan montre un vrai revirement. Par ex en fermant les bureaux du Hamas chez lui, en cessant de voter contre Israel à l’ONU, en renonçant à se main mise sur la méditerranée orientale de manière à permettre le passage du gazoduc israelien etc … les sourires en coin ne suffisent pas