”On ne peut pas raconter la Shoah”

Les rescapés de la Shoah se font, c’est ainsi, de plus en plus rares. Noah Klieger fait partie de ceux-là. Il n’est qu’un adolescent quand la guerre éclate. Son histoire, il a décidé de la transmettre, encore et toujours, à l’oral mais aussi à l’écrit.

Noah Klieger, survivant d’Auschwitz, passager de l’Exodus, reporter pour le Yediot Aharonot pendant de nombreuses années et écrivain, s’est éteint.

Il avait 92 ans et laisse derrière lui un héritage qu’il a voulu placer sous le signe de la transmission de la Shoah.

C’est ce qu’il nous expliquait dans une interview donnée à LPH pour Yom Hashoah en 2017.

Il signe plusieurs livres sur sa vie pendant la Shoah, dont  ”La boxe ou la vie” ou encore récemment ”Plus d’un tour dans ma vie” (tous deux aux Editions Elkana).

De la boxe à l’écriture

Le jeune Noah Klieger a 13 ans au début de la guerre, et déjà il s’implique dans l’œuvre sioniste, puisqu’il co-fonde un mouvement sioniste dont la mission sera de fournir des tickets de rationnement voire de faire passer la frontière suisse à des Juifs depuis la Belgique où il vivait alors.

Lorsqu’il tente lui-même de fuir vers la Suisse, il est arrêté par les Nazis avant d’être envoyé à Auschwitz.

C’est la boxe qui le sauvera. Un officier SS, pour se divertir, avait décidé de monter des matchs de boxe entre détenus à Auschwitz.

Lorsqu’il a demandé qui était boxeur, Noah a levé la main, sans même réfléchir, lui qui n’avait jamais enfilé de gants de boxe de sa vie.

Il est le seul de l’équipe à ne pas pratiquer ce sport. Ses camarades retiennent donc leurs coups face à lui, pour éviter qu’il ne soit démasqué et envoyé dans les chambres à gaz.

Apres une succession de miracles, Noah Klieger parvient à survivre à la Shoah et embarque sur l’Exodus vers la Palestine mandataire.

Il se battra lors de la guerre d’indépendance et devient journaliste, pour le Yediot Aharonot notamment.

Il couvre les procès des criminels de guerre nazis mais c’est aussi le journaliste sportif que l’on retiendra de sa longue carrière.

Ecrire contre l’oubli

C’est donc sa plume qui va lui servir d’outil pour accomplir la mission de sa vie.

”J’ai voulu que ma vie soit consacrée à la transmission de la Shoah. C’était pour moi une mission”. A 91 ans, il estime l’avoir remplie et en particulier grâce à l’écriture.

”Ecrire c’est mon métier”, nous dit-il.

”Il est vrai qu’un livre est différent d’un article de journal, mais pour ma part, j’ai écrit mes livres comme j’ai écrit mes articles”. Le style est posé, Noah Klieger veut décrire, rapporter.

Pourquoi ce besoin d’écrire? ”Le peuple juif doit se souvenir de ce qui est arrivé. C’est fondamental. Notre peuple a été quasiment anéanti. Les Allemands ont perdu, ils auraient pu gagner et éliminer le peuple juif”.

Cet homme d’expérience, qui aime rire, raconter des histoires et rencontrer ses nombreux amis, porte la Shoah dans sa chair et il ne se passe pas un jour sans qu’il n’y pense.

”Vous savez”, nous lance-t-il, ”Je ne ressens rien de particulier le jour de Yom Hashoah. C’est très important qu’une telle journée existe, mais pour ma part, c’est exactement comme tous les jours. Cette douleur, cette souffrance, j’y étais, je la ressens encore tous les jours. Je n’ai pas besoin de Yom Hashoah pour m’en souvenir”.

Pour autant, Noah Klieger s’avoue inquiet: ”Dans quelques générations, la majorité des Juifs auront oublié la Shoah, dans le sens où ils ne se souviendront plus vraiment de ce que c’était. Prenez l’exemple de la révolte de Bar Kohba, ou de l’Inquisition: qui sait encore ce qu’il s’est réellement passé?”.

Le fait que nous célébrons encore Pessah ou Hanouka ne le rend pas plus optimiste sur la capacité de notre peuple à préserver une mémoire fidèle.

”Le Rav Lau, qui est mon ami, estime que si nous n’avons pas oublié la sortie d’Egypte pendant des millénaires alors nous n’oublierons pas la Shoah. Je suis moins catégorique. Nous vivons une autre époque”.

Cette autre époque, c’est celle de l’Etat d’Israël, que Noah Klieger décrit avec fierté: ”Notre peuple aujourd’hui est fort, peut-être le plus fort au monde. Nous sommes un pays incroyable. Ce que nous avons accompli en 68 ans, aucun autre pays n’a pu le faire en si peu de temps, ne serait-ce que 10% de ce que nous avons réalisé! Nous sommes une peuple fort qui ne se laisse pas faire”.

Cette force qui déclenche l’enthousiasme de ce rescapé de la Shoah possède en elle un écueil: celui de faire oublier ce qu’était la faiblesse et la souffrance de notre peuple à un moment donné de notre histoire.

Alors Noah Klieger écrit. Il écrit parce que pour lui, la plume est le seul et unique moyen de retranscrire ce qu’était la Shoah.

”Je n’ai jamais regardé un seul film sur la Shoah, ni vu une seule pièce de théâtre. La Shoah est un événement – que j’espère – unique dans l’histoire du monde. On ne joue pas la Shoah. On ne peut pas raconter la Shoah. Tous ces acteurs prennent un rôle qu’ils ne connaissent pas. Ecrire la Shoah, c’est dire exactement ce qu’il s’est passé”.

Transmettre, mais par quels moyens?

Si Noah Klieger estime que les films ou les pièces de théâtre sur la Shoah ne sont pas de bons vecteurs de transmission, il s’interroge sur la façon dont éduquer la jeune génération.

”Les petits-enfants des rescapés de la Shoah déjà ne savent rien”, estime-t-il, ”Tellement de survivants n’ont jamais raconté. Comment voulez-vous qu’ils sachent?”.

Pour lui, ils sont trop peu nombreux, les gens, comme lui, qui écrivent et parlent de la Shoah.

Encore maintenant, alors que ses jambes ne le portent plus, Noah Klieger parle au moins deux fois par semaine, en Israël et à l’étranger, sur la Shoah.

”Trop de fictions et même de livres ont été publiés sur la Shoah. Les jeunes en ont une image déformée aujourd’hui”.

Il existe cependant un lieu qui, pour lui, reconstruit la réalité de la Shoah: Yad Vashem.

« Si tous les Juifs du monde venaient visiter Yad Vashem, notre mémoire serait bien transmise”, estime-t-il, »C’est le seul endroit qui reconstitue un pan de notre histoire”.

Noah Klieger y a consacré sa vie et continue à le faire: le plus important n’est pas juste de se souvenir, mais de savoir ce qu’il s’est passé, ce que cette Shoah était.  

Guitel Benishay

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