Un jeûne, de l’aube à la tombée de la nuit, a lieu demain pour se rappeler d’événements qui ont eu lieu il y a plus de 2000 ans. 

Dans la tradition juive, le jeûne n’est pas une occasion de mortification, mais plutôt un moment de réflexion qui nous invite à nous ressourcer, à repenser à notre condition de créature fugitive, qui se sait de passage sur cette terre.

La Torah ne demande pas l’ascèse, ni le refus des jouissances matérielles, mais leur orientation ; il nous est recommandé de reconnaître que le monde matériel a été créé pour qu’on en profite, mais cela avec limite, pour que l’on n’oublie jamais que la création est dirigée par son Créateur.

C’est le sens des bénédictions de « reconnaissance » – ברכות הנהנין – c’est aussi le sens du jeûne.

Au début de l’année juive – après ‘Hanouka – le jeûne du 10 Tévet vient évoquer trois moments significatifs de l’Histoire juive : le 8 Tévet, la traduction en grec du Tanakh imposée par le roi d’Egypte, Ptolémée, a marqué une tentative première de « désacralisation » du canon biblique par 70 Sages (les Septante) ; le 9 Tévet est décédé Ezra, le Scribe, qui avait réorganisé le peuple juif après la destruction du Premier Temple, et préparé la reconstruction du Second Temple.

Le 10 Tévet, la première brèche a été faite dans la ville de Jérusalem, annonçant la destruction par les Babyloniens du Premier Temple.

Ce jour-là a été fixé comme jour de jeûne pour évoquer ces trois signes prémonitoires d’une décadence, d’une chute spirituelle, d’un reflux de la puissance spirituelle du peuple de la Torah.

Traduire n’était pas le point essentiel : ce qui comptait pour le roi égyptien, c’était de « normaliser » la Torah, d’en faire un élément culturel, apanage de l’humanité entière.

Tel était le but de cette traduction : profaner le sacré, car les lettres de la Torah sont le support de la spiritualité juive. Leur enlever cette qualité revenait à ne pas reconnaître l’origine sacrée des Livres de Moïse, des Prophètes, des Psaumes.

Si la traduction a un but élevé, de rapprocher ceux qui ne peuvent avoir accès au texte sacré, un but de sanctification, elle devient positive ; c’est d’autant plus vrai à notre époque, où les valeurs sacrées sont profanées, ou même disparaissent. Faire de la Torah une littérature semblable aux autres, de la culture juive, une civilisation antique certes, vénérable peut-être mais caduque assurément, tel est le but de la laïcisation du modernisme.

La disparition du chef spirituel qui a su revivifier l’essence de la Loi d’Israël est certes un événement mémorable, qui mérite d’être signalé. Ezra avait reconstitué tout l’appareil halakhique, législatif, qui était nécessaire pour l’unification du peuple.

Sa disparition était indiscutablement un choc pour Israël. Il était nécessaire de marquer cette chute, ce recul dans l’Histoire. La Knesset HaGuédola – l’Assemblée des 120 Sages – perdait ainsi l’image du dirigeant spirituel qui avait su parler à toutes les couches du peuple.

Recul indiscutable, qu’un jeûne tente de nous rappeler, pour souligner la nécessité d’un renouveau moral, d’une « réélévation » du peuple du Livre. Ezra était le symbole de cette volonté de refonder l’assise spirituelle d’Israël.

Il est clair que l’étape essentielle dans cette « désescalade » de l’histoire d’Israël est le début de l’attaque contre le Temple de Jérusalem, et c’est donc ce jour qui a été choisi pour commémorer les trois événements.

Le Temple de Salomon était la demeure de la Providence sur cette terre, et à ce titre, la chute spirituelle du peuple était consommée.

Le but du jeûne est de réparer – d’amener un « Tikoun » à cette désacralisation programmée du judaïsme, de la Torah. Il nous revient, à notre génération qui a connu une destruction d’une branche essentielle du peuple, de prendre conscience de notre devoir de « Reconstruction ».

Les centres d’étude de Torah en sont un élément essentiel. Considérons les obstacles qui sont sur notre route, et tentons de les surmonter. Le danger d’assimilation – contre lequel avait lutté Ezra – est à nos portes ; « l’hellénisation » de la culture moderne guette.

Les Sages disent que le jour où le Tanakh (la Bible) a été traduit en grec fut un jour « noir » pour l’humanité. L’obscurité, c’est l’éloignement des vraies Lumières.

La tentation de la Réforme est un exemple, aujourd’hui, de préparer l’extinction de la lumière de la Torah.

Le Temple sera reconstruit par les efforts conjoints de ceux qui sont conscients de la nécessité d’une étincelle de spiritualité, dans un monde de plus en plus matérialiste.

Le jeûne du 10 Tévet nous rappelle à notre devoir de continuer l’alliance du Sinaï, de réaliser la mission prophétique d’Israël, de préparer le jour où « la Torah viendra de Sion, et la parole de l’Eternel se répandra dans le monde à partir de Jérusalem ».

Rav Lionel COHN 

Les trois autres jours sont le 9 Av (le jour de la destruction des deux Temples de Jérusalem), le 17 Tammouz (le jour de la première brèche dans les murailles de Jérusalem par Titus et les légions romaines, en l’an 70) et le 3 Tichri (le jour de l’assassinat de Guedalya ben Ahiqam, le gouverneur de Judée nommé par Babylone). Il fut en fait tué le jour de Roch Hachana mais, en raison de la fête, le jeûne fut reporté au jour suivant.

Le 10 Tevet marque ainsi  le début du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor, le roi de Babylone, et les premiers assauts de la bataille qui allait détruire la ville et le Temple de Salomon, et voir également partir les Juifs pour un exil de 70 ans à Babylone.

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La date nous a été rapportée par le prophète Ézéchiel qui se trouvait déjà à Babylone car il faisait partie du premier groupe de Juifs exilés par Nabuchodonosor onze ans avant la destruction du Temple.

Le 10 Tevet est considéré comme un jour de jeûne très important et très strict, à tel point qu’il est observé même s’il tombe un vendredi (veille de Chabbath) alors que nos autres jours de jeûne sont calculés de telle sorte qu’ils ne tombent jamais un vendredi, afin de ne pas gêner les préparatifs de Chabbath.

Autour du 10 Tevet se rapportent plusieurs faits marquant l’histoire du monde juif.

La Septante

On a également associé tacitement au jeûne du 10 Tevet le souvenir d’autres événements dont la date anniversaire se situe juste avant.

Le 8 Teveth, le roi d’Egypte Ptolémée a obligé 70 sages juifs à se rassembler pour traduire la Bible hébraïque en grec.

Bien que le Talmud rapporte que cette entreprise donna lieu à un véritable miracle (les 70 sages occupaient chacun une cellule séparée et ils donnèrent pourtant tous une traduction identique), l’opinion générale des rabbins de l’époque envers cette initiative fut nettement défavorable.

Le Talmud rapporte que lorsque cette traduction fut rendue publique, « les ténèbres descendirent sur le monde ».

La traduction grecque de la Bible servit à favoriser le projet des Juifs hellénisés d’introduire la culture grecque dans la vie juive.

Cette traduction, la Septante, fut utilisée quelques siècles plus tard lorsque l’Ancien Testament devint l’une des parties de la Bible chrétienne.

La traduction grecque de la Bible servit également à favoriser le projet des Juifs hellénisés d’introduire la culture grecque dans la vie juive, et d’adapter le judaïsme aux valeurs et au mode de vie grecs.

Le fait que la Bible ait pu être traduite en grec donna à cette langue une respectabilité, une « cacherout », pour ainsi dire, qui eut de nombreux prolongements dans la société juive de l’époque, et sapa les efforts des rabbins qui luttaient contre la séduction exercée par la Grèce sur l’Israël d’alors.

La mort d’Ezra le Scribe

Le 9 Tevet est considéré comme étant le jour de la mort d’Ezra le Scribe. Ce grand homme juif peut être comparé à Moïse lui-même d’après le Talmud : « Si la Torah n’avait pas été donnée grâce à Moïse, elle aurait pu être donnée à Israël par l’intermédiaire d’Ezra ».

Ezra ramena à Jérusalem les Juifs qui avaient vécu en exil à Babylone.

C’est sous sa direction et son inspiration , avec l’aide du Juif de cour Néhémie, que le second Temple fut construit , quoiqu’ à une échelle beaucoup plus modeste et qu’il fût loin d’égaler la majesté du Temple de Salomon.

Ezra renouvela également l’alliance de Moïse entre Israël et Dieu, il mit un terme aux mariages mixtes qui s’étaient multipliés parmi les Juifs revenus à Jérusalem, il renforça l’observance publique et privée du Chabbath et créa les écoles et l’environnement intellectuel nécessaires pour faire progresser la connaissance et le développement de la loi orale du Sinaï parmi le peuple juif.

Ezra le Scribe était un homme plein de compassion, incorruptible, c’était un visionnaire inspiré, un érudit doué d’un grand charisme, et c’est grâce à lui que le judaïsme et les Juifs ont survécu jusqu’à ce jour. Il n’est donc pas étonnant que nous considérions le jour de sa mort comme un jour de tristesse dans le calendrier juif.

Dans la mesure où il aurait été déraisonnable de jeûner trois jours de suite, les souvenirs qui s’attachent aux 8 et 9 Teveth furent incorporés dans le jeûne du 10 Teveth.

Regrouper les jours de deuil

Les autorités rabbiniques ont choisi d’intégrer la commémoration de la Shoah au 10 Tevet.

Les rabbins ont cherché à relier aux jours de jeûnes existants d’autres événements tragiques, de manière à ne pas charger le calendrier de trop de jours d’affliction.

C’est ainsi que le massacre des communautés juives de Worms, Speyers et Mayence par les Croisés en 1096 est commémoré lors du jeûne du 9 Av, bien que cette destruction ait eu lieu en d’autres mois.

Peu après la déclaration d’indépendance de l’état d’Israël, ses deux Grands-Rabbins, Yitzhak HaLevi Herzog et Bentzion Ouziel, décrètent le 10 tevet « Yom HaKaddish HaKlali » (« jour du Kaddish public »), à la mémoire des victimes de la Shoah, dont la date du décès est pour la plupart inconnue.

Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de bienveillance divine.

Comme l’obligation de jeûner le 10 Tévet est, à certains égards, plus stricte que pour les autres jeûnes, on peut comprendre que la bienveillance divine est aussi plus forte ce jour-là.

Donc la Techouva, le retour à D.ieu, que doit amener le jeûne, sera aussi d’un niveau plus élevé.

Cette tendance à réduire le nombre de jours commémorant des événements sombres devint une pratique courante dans le monde juif jusqu’à la Shoah.

Cependant, l’ampleur de la tragédie de la Shoah étant sans précédent dans l’histoire du peuple juif en diaspora, il était légitime que la Knesset décide de choisir un jour particulier pour en commémorer le souvenir.

Toutefois, cette tendance des rabbins à réduire le nombre de jours de deuil a prévalu lorsqu’ils ont choisi d’intégrer la commémoration de la Shoah au 10 Tevet pour tout un secteur de la population israélienne.

Traduction et Adaptation de Monique SIAC
www.lamed.fr

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Élie de Paris

En fait, le jeûne le plus court, il commence à 6.55h (Paris et Île de France) et finit à la sortie des étoiles, mais est équitable après le coucher du soleil.
Ce jeûne est le signe du début des em…
Celui qui conduira à la brisure des Tables, il y a fort longtemps, et finalement à la destruction du Temple et l ‘exil actuel…
Certains rappellent que c’est la date de la naissance, 10 teveth, du juif « cloué » par les romains …
Les adeptes de ce dernier nous exterminent depuis 17 siècles. 🙁
Bien entendu, si on se ballade et on va au cinéma, ou si on se distrait, ne pas manger n’ est plus qu’une diète inutile, et spirituellement stérile.
Lire des textes affligeant et des supplications à la syna, sans n’y rien comprendre aussi !
Pire, on pourrait se sentir quite, alors que aucune teshouvah ni demande n’auront été conscientes.
Mieux de lire dans sa langue maternelle en ce cas…
Tsom kal.