À la fin des exils : Israël et sa terre

De retour d’exil chez son oncle Lavan, mais revenant sur ses pas parce qu’il a oublié quelques-unes de ses affaires de l’autre côté du torrent Yaboq, Ya’aqov, notre patriarche, se trouve confronté aux forces célestes, dont l’ange tutélaire de son frère ‘Essav.

De cet ange, mentor céleste de la typologie de son frère jumeau ‘Essav, il reçoit le nom d’Israël, Béréshit, XXXII, 29 : « Il lui dit : “Ton nom ne sera plus dit Ya’aqov, mais Israël, car tu t’es mesuré aux forces divines et aux hommes, et tu as pu le faire.” ».

Là, Israël signifie ‘jouteur puissant’ comme le signale le Grand-Rabbin Zadoq Kahn dans ‘La Bible du Rabbinat’. Le Seigneur lui apparut de nouveau après l’épisode de Dinah à Shekhem et la mort de Dvorah, nourrice de Rivqah, enterrée à Beth-El, au pied du Chêne des Pleurs. Son nom lui sera alors confirmé par Dieu Lui-même, Béréshit, XXXV, 9-10 : « Et Dieu se révéla de nouveau à Ya’aqov, lors de son retour de Padan Aram, et le bénit. Et Dieu lui dit : “Ton nom est Ya’aqov, mais ton nom ne sera plus désormais Ya’aqov, mais Israël sera ton nom.” Et Il nomma son nom Israël ». Là, Israël signifie ‘Prince de Dieu, Gouverneur’, comme l’indique Rashi.

Rabi Baroukh Epstein, dans Torah Témima, rapporte le Talmud Berakhot, 13a : « Ton nom ne sera plus désormais Ya’aqov, mais Israël sera ton nom : non pas que le nom Ya’aqov soit déraciné mais Israël sera son nom principal et Ya’aqov sera moindre par rapport à lui ». Car lorsque Yossef appellera son père à redescendre en exil d’Égypte, il sera de nouveau interpellé par Dieu de son nom Ya’aqov, Béréshit, XLVI, 2 : « Et Dieu parla à Israël dans les visions de la nuit, et lui dit : “Ya’aqov, Ya’aqov!” ». Or, pour Avraham et Sarah, leurs noms précédents ne sont plus usités mais une nouvelle lettre a été rajoutée à leurs noms, et ils perdurent. Selon le Talmud de Jérusalem, Sanhédrin, II, 6, la lettre yod du nom de Saraï a été attribuée par le Saint, Béni est-Il à Hoshé’a, serviteur de Moshé, notre maître, par le truchement de Moshé lui-même, lors de l’expédition des explorateurs en Terre sainte, et nous l’appelleront désormais Yé’hoshou’a (Bémidbar, XIII, 16). La personnalité de Yéhoshou’a se distingue par une double fonction : serviteur de Moshé et dirigeant politique et militaire à l’entrée en Terre d’Israël : Hoshé’a en exil, puis Yéhoshou’a en Erets d’Israël. Mais pour Israël, cela est différent et son nom Ya’aqov est d’actualité, puisque selon les évènements, il endosse soit l’un soit l’autre. Ya’aqov en exil, Israël de retour à son identité et à sa terre naturelle. Si son nom Ya’aqov avait été abandonné, cela aurait été contraire à l’histoire : il doit se mesurer à la dialectique qui l’oppose à ‘Essav, elle-même extension de la grande antinomie du bien et mal, sans laquelle l’humanité, disposant de son libre arbitre et à la recherche de son être authentique de liberté, n’aurait pu être créée. La création du monde aurait été alors ‘mystique’, sans objet et sans but.

Tandis que la personnalité double de Ya’aqov est en relation avec la dualité du monde, son histoire est emblématique et sa conduite exemplaire pour la pérennité du peuple qui sortira de ses entrailles. La dialectique de son histoire est à la mesure de la grande dialectique métaphysique de la création. C’est en approfondissant la compréhension des difficultés et des adversités qui étreignent Ya’aqov, avec la solution qu’il en donne pour continuer son cheminement, qu’il nous est possible de remonter jusqu’au principe de l’Un créateur. Car la connaissance de tous les contraires et leurs dialectiques est le reflet ténu de la connaissance émanant de l’Unité, Téhilim LXII, 12 : « Une fois, Dieu l’a prononcé, deux fois, je l’ai entendu : que la puissance est à Dieu ».

Israël se mesure aux cieux et à la terre

Rav Tsvi Yéhouda Kook dit (Rav Shlomo Aviner, Leçons Béréshit, p. 314) : « “Car tu t’es mesuré aux forces divines et aux hommes, et tu as pu le faire” : le nom Israël découle de l’attachement du ciel et la terre, “aux forces divines et aux hommes”. Ce sujet se révèle justement à partir de Ya’aqov, notre père, ‘le meilleur des patriarches’ (Béréshit Raba 76, 1) car l’apparition de la société israélite et le dévoilement du projet divin s’incarnent en lui, au début de la collectivité hébreue. Ce lien entre cieux et terre apparaît aussi dans le rêve de l’échelle de Ya’aqov qui “était dressée jusque vers la terre et son sommet atteignait jusques aux cieux” (Béréshit, XXVIII, 12). Israël est notre nom de dignité et de grande noblesse, un nom à la fois humain et angélique, de la famille de Ya’aqov, notre père ». Le nom Israël démontre son environnement angélique et la capacité de nouer ensemble cieux et terre, les vocations spirituelle et matérielle en un seul faisceau, en une seule personnalité. Le nom Ya’aqov a un environnement angélique adapté aux pérégrinations en exil. Il est perçu comme l’application de son individualité, de sa particularité dans une histoire de famille, alors que le nom Israël atteint l’envergure de la société, de la collectivité à l’indice universel. Lorsque la majorité des Juifs est sur sa terre de prédilection la vérité divine de l’homme de vérité peut se révéler et atteindre la plénitude du nom Israël.

Le prophète Mikha, VII, 20 prie le Seigneur : « תתן אמת ליעקב, Tu témoigneras la vérité à Ya’aqov, la bienveillance à Avraham, que Tu as jurées à nos pères dès les premiers âges ». La vérité est la vertu de Ya’aqov. La guématria, l’équivalence numérique de אמת vérité est de 441 et donne 9 en chiffres ajoutés simplifiés (4+4+1=9), chiffre dont la lettre dans l’alphabet correspond au tet ט. La première fois qu’elle apparaît dans la Torah c’est au début de la Création avec le mot tov bon, טוב. Les Sages disent que c’est une allusion : cette lettre représente tout ce qu’il y a de bon, de bien et de beau dans le monde. אדם Adam, le premier homme, voit le bien en tout car son nom aussi est de guématria (1+4+40) 45 qui donne en chiffres simplifiés ajoutés (4+5=9) 9.

Les mathématiciens chevronnés vous le diront, c’est là une des merveilles de la langue de vérité, lashon haqodesh, la langue de sainteté : tout mot de la Torah dont on soustraira de sa guematria première sa guématria simplifiée ajoutée donnera pour résultat le chiffre 9. Donc, la lettre ט tet et le chiffre 9 qui lui correspond sont divins, Téhilim, CILV, 9 : « טוב ד’ לכל Tov Hashem lacol, le Seigneur est bon pour tous, Sa miséricorde s’étend à toutes Ses créatures ».

Exemple : émeth, אמת la vérité, est de guématria première (1+40+400) 441, si l’on retranche de 441 sa guématria simplifiée ajoutée (4+4+1=9) de 9, cela donne (441-9) 432 dont la guématria simplifiée ajoutée (4+3+2) est 9. Tout dans la vérité indique le bon. Autre exemple : לחם lé’hem, le pain est de guématria première (30+8+40) 78, si l’on retranche de 78 sa guématria simplifiée ajoutée (7+8=15=1+5=6) de 6 cela donne 72 dont la guématria simplifiée ajoutée (7+2) est 9. Dernier exemple, last but not least : ישראל Israël est de guematria première (10+300+200+1+30=541) 541, si l’on retranche sa guématria simplifiée ajoutée (5+4+1=10=1+0=1) de 1, cela donne 9 (541-1=540=5+4+0=9). C’est ainsi que le Zohar décrira la lettre tet ט comme une flèche recourbée sur elle-même et qui pointe vers son intériorité pour signifier le bien interne qui existe en nous, la haute qualité intérieure en chacun de nous qui veut se dévoiler, la vérité vraie, en potentiel au plus profond de notre âme, et agir selon elle à l’effectif. Autrement dit : à chaque fois que nous faisons le bien, nous nous rattachons à ce bien ontologique qui résida à la création des mondes au commencement.

De retour d’exil

De quoi peut se prévaloir Ya’aqov alors qu’il était en exil, loin de son pays et de ses parents, pour apaiser son frère ‘Essav? Il lui transmet ce message comme quoi il a été, chez Lavan l’impie, en exil, un étranger, un migrant, un métèque, Béréshit XXXII, 5-6 : « עם לבן גרתי, ‘im Lavan garti j’ai séjourné chez Lavan, et j’ai tardé jusqu’à présent : j’ai acquis bœufs et ânes, troupeaux, serviteurs et servantes, et j’ai envoyé ce message à mon seigneur, afin de trouver grâce à ses yeux ». En exil chez Lavan, Ya’aqov a acquis des biens matériels mais cela n’est guère le fait de la bénédiction matérielle qui aurait dû aller à ‘Essav. Car Ya’aqov a longuement besogné durant six ans pour les acquérir, – et quatorze ans pour ses quatre femmes, – alors que la bénédiction aurait dû lui faciliter la tâche.

De plus, Ya’aqov a toujours été considéré comme un étranger chez Lavan malgré sa réussite à la sueur de son front et la perte du sommeil, mettant en danger sa santé. Rashi l’indique : « J’ai séjourné chez Lavan : Je n’ai pas été nominé prince et notable, mais je suis considéré étranger (une pièce rapportée). Toi, ‘Essav, ne me hais pas à cause des bénédictions de ton père qui a dit, Béréshit XXVII, 29 : “Sois le chef de tes frères” car cela ne s’est pas réalisé pour moi ». D’autant plus que dans sa bénédiction, mon père m’a dit, Béréshit, XXVII, 28 : « Par la rosée du ciel et le gras de la terre », tous ces biens que tu vois, tout cela ne vient pas par la grâce du ciel ni par l’humus naturellement fertile de la terre mais c’est le fruit de mon travail éreintant et assidu. Rashi ajoute une autre dimension à son explication : le mot גרתי garti a pour guématria (3+200+400+10) 613 qui rappelle l’intégralité des 613 (תרי »ג) commandements de la Torah. En exil, chez Lavan l’impie, j’ai réussi à garder mon identité propre afin que ma descendance ait le privilège de recevoir la Torah. Or, la guématria simplifiée ajoutée de garti (גרתי : 613=6+1+3=10=1+0=1) de 1 est la même que ישראל Israël et pointe l’Un.

La bénédiction matérielle est seconde, et non secondaire, mais la bénédiction spirituelle, celle que notre père Yits’haq m’a donnée, celle d’Avraham, prime et se réalise car j’ai réussi à sauvegarder, en mon for intérieur et en rejoignant la terre de mes ancêtres, toute mon authenticité d’identité, dans son intégralité de vérité. Ici et maintenant.

Michel AMRAM

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