Mohamed Sifaoui : «Toulouse est un des viviers du recrutement de l’islamisme en France»

 

Pour Mohamed Sifaoui, le terrorisme prospère grâce à la ghettoïsation des quartiers./ Photo AFP
Pour Mohamed Sifaoui, le terrorisme prospère grâce à la ghettoïsation des quartiers./ Photo AFP

Depuis longtemps engagé dans la lutte contre l’islamisme, le journaliste Mohamed Sifaoui est aujourd’hui à Toulouse pour dire que c’est tous ensemble que se mène la lutte contre le fanatisme.

Lui-même cible d’attaques de fanatiques, Mohamed Sifaoui a été placé sous protection policière entre 2003 et 2008. Il l’est à nouveau depuis les attentats de Paris en janvier.

L’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic estime que les terroristes de Daech ont les moyens d’une action d’ampleur en France. Partagez-vous ce constat ?

Je le partage au sens où, sans être alarmiste, il y a un engouement incontestable, pas par des milliers mais quelques centaines de personnes, pour l’idéologie islamiste, un engouement qui suffit à casser la dernière digue et permettre de passer à l’acte. L’idéologie une fois disponible, il ne reste qu’à trouver l’opportunité. Or, l’opportunité existe car le terroriste, c’est un peu n’importe qui. Mais c’est aussi quelqu’un qui a baigné dans cette idéologie. L’ampleur de la menace est très forte. Ils ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent mais ils ont la capacité opérationnelle de nous surprendre encore.

Vous avez décrit le modus vivendi du prochain attentat : le tir aveugle dans la foule…

Pour moi, c’est un nouveau mode opératoire inauguré à l’étranger. C’est Sousse (l’attentat de juin 2015 en Tunisie, Ndlr) : un terroriste, une kalachnikov, une cible fréquentée et de préférence symbolique. Ils vont aller au plus simple. Je l’ai dit en juillet avant l’attentat du Thalys qui aurait pu se traduire par un carnage. Je précise que je prends le temps d’explorer la recherche produite par les islamistes et que c’est le mode opératoire privilégié avec l’engin explosif artisanal, le jet de grenade, la voiture bélier ou l’attaque au couteau…

Que faire face à une telle menace ?

Une société démocratique est forcément limitée dans son action de prévention. C’est un travail de renseignement d’abord. Sauf que cela nécessite des moyens. Le problème est que le nombre de personnes à surveiller est important alors que le nombre de surveillants n’est pas étoffé. La charge de travail a quadruplé, voire quintuplé. Ce qu’il faut faire est un travail bien en amont pour rendre les gens imperméables à une idéologie totalitaire. Cela n’est pas un enjeu sécuritaire mais politique. Il faut observer les viviers de recrutement, qui sont multiples. Ce sont les centres de vulnérabilité, les lieux où les personnes vivent dans le mal-être. Par exemple, la prison, les quartiers populaires, le monde du chômage… Mais la question est aussi : comment se fait-il qu’une jeune fille catholique se convertisse pour se retrouver à Falloujah ? Nos sociétés n’apportent plus un sens à la vie. Et ce n’est pas avec les dirigeants d’aujourd’hui, de droite comme de gauche, qu’on peut gérer ce problème. Ils pensent aux élections quand il faut poser le problème sur la durée. Il faut rassembler la société autour d’un projet républicain. C’est l’espoir que j’ai mis dans l’esprit du 11 janvier.

Vous avez dit : «le terrorisme est l’affaire de tous»…

Il y a un aspect de la lutte qui concerne les magistrats, les policiers, le renseignement. Et un autre qui concerne l’éducation, la culture, les médias… Il faut répondre à la fois à l’enjeu sécuritaire et idéologique. Aujourd’hui, on ne tente de réagir qu’à l’aspect criminel. La partie difficile, personne ne veut l’aborder sérieusement. Cela consisterait par exemple à mettre des responsables religieux face à leurs responsabilités, à criminaliser certains mouvements comme les Frères musulmans, à mettre au clair les relations avec certaines puissances étrangères…

Comment expliquez-vous qu’à Toulouse, en 2012, Merah passe à l’acte ?

Je n’ai jamais cru à la logique longtemps relayée du loup solitaire. ça n’existe pas. Il a agi seul mais prétendre qu’il a pu se radicaliser tout seul, qu’il a décidé tout seul de mener une action qui s’intègre totalement dans une logique planétaire, c’est une vue de l’esprit. En amont de ses actes, on trouve un terreau familial, amical, une logique… Nous ne sommes pas programmés pour tuer. Il existe des digues, notamment vis-à-vis des enfants. Pour loger une balle dans la tête d’un enfant, il faut «rationaliser la haine», c’est-à-dire lui donner un caractère logique et légitime. Une personne seule ne peut pas le faire.

Vous avez écrit un livre avec un des frères de Merah qui condamne le terrorisme…

Je voulais comprendre comment un jeune pouvait tomber dans une telle folie meurtrière, et permettre aux victimes directes, comme à toute la société qui est elle aussi victime, d’entamer une reconstruction. Les parents de Merah ont une lourde responsabilité même s’ils se dérobent. Abdelghani a eu l’intelligence de sortir de ce déterminisme.

Toulouse est-elle un foyer de l’islamisme ?

Toulouse est avec Nice, Lyon, le nord et la région parisienne, l’un des cinq viviers où se recrutent aujourd’hui les terroristes.

Pourquoi ?

Les quartiers, conçus dans des logiques de ghettoïsation, représentent des ferments pour tous les problèmes de délinquance et, dans les cas le plus graves, de terrorisme. Abdelghani Merah a dû quitter Toulouse devenue invivable pour lui. Aujourd’hui, il y a des ghettos ou moi en tant que journaliste je n’ai pas pu entrer filmer. Ce ne sont pas des territoires perdus mais cédés par la République. La République française est ici coupable. On a concentré tous les maux puis a été injecté le venin du terrorisme, une idéologie primaire, faite de bric et de broc. Par ailleurs, je pense que s’il y a un foyer sensible aux thèses du salafisme djihadiste à Toulouse, le personnage d’Olivier Corel n’y est pas totalement étranger (1).

Quel est le but de l’association Onze janvier que vous présidez ?

L’objectif est de ne pas laisser internet entre les mains des islamistes et de proposer un autre discours que celui qu’ils diffusent.

(1) Installé dans le village ariégeois d’Artigat, ce prédicateur franco-syrien a été entendu par la police lors du démantèlement de la filière irakienne de 2007 puis après les tueries de Merah.


Conférence à Toulouse

Journaliste, spécialiste de l’islamisme, président de l’association Onze janvier, Mohamed Sifaoui est l’invité de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) pour une conférence intitulée «ensemble contre l’islamisme et le fanatisme» organisée aujourd’hui, à 19 heures, salle du Sénéchal, rue de Rémusat, à Toulouse. Auteur de nombreux ouvrages, il a notamment écrit, en 2012, avec un des frères de Merah, Abdelghani, «Mon frère, ce terroriste : un homme dénonce l’islamisme» (Calmann-Lévy). Il est l’un des invités réguliers d’Yves Calvi sur le plateau de C dans l’air.

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