Et rien n’indique que, malgré les initiatives audacieuses de Mohammed bin Salman, l’Arabie saoudite ait une chance de renverser la vapeur.

L’Arabie Saoudite semble avoir sorti la hache de guerre pour frapper l’ensemble du Moyen-Orient. La démission orchestrée par l’Arabie saoudite du Premier ministre libanais Saad Hariri et la rhétorique belliqueuse des autorités saoudiennes après le lancement d’un missile balistique visant Riyad au Yémen, semblent augurer d’une nouvelle période d’agressions contre les intérêts iraniens au Moyen-Orient.

Les bouleversements soudains entrepris par le prince héritier Mohammed bin Salman sur une variété de fronts, font penser aux attaques de Michael Corleone contre les ennemis de sa famille dans les dernières images du film « Le Parrain ». Mais contrairement au film, cependant, les bénéfices tirés sont plus aléatoires. Le prince héritier de 32 ans semble jouer son va-tout, mais sa tactique ne semble pas à même d’inverser la tendance qui donne l’avantage à l’Iran.

 

Jetons un coup d’œil sur les  derniers développements de ce bras de fer. Le terrain sur lequel se joue la confrontation entre l’Arabie saoudite et l’Iran est une région du Moyen-Orient où, au cours de la dernière décennie, les États ont partiellement cessé d’intervenir (Irak et Liban) ou se sont complètement retirés, comme la Syrie et le Yémen. C’est sur les ruines de ces pays que guerroient Riyad et Téhéran pour leur hégémonie.

Jusqu’à présent, dans tous les cas, l’avantage est très clairement aux Iraniens.

Au Liban, le Hezbollah a pris la main sur  l’alliance «des groupes politiques» du 14 mars, parrainée par l’Arabie saoudite qui visait à contenir son expension. Les événements de mai 2008, lorsque le Hezbollah s’est emparé de Beyrouth-Ouest et des régions autour de la capitale, ont montré l’impuissance des supplétifs saoudiens, lorsqu’ils sont confrontés à la force brute dont disposent les mandataires iraniens. L’entrée ultérieure du Hezbollah dans la guerre civile syrienne a confirmé que le système politique libanais était incapable de le contrôler.

La création d’un cabinet ministériel dominé par le Hezbollah en décembre 2016 et la nomination de l’allié du Hezbollah, Michel Aoun, deux mois plus tôt, ont consolidé l’emprise de l’Iran sur le pays. Le fait que Riyadh ait ensuite cessé son financement des forces armées libanaises, et maintenant sa pression pour la démission de Hariri, représentent effectivement une défaite et la chambre des Saoud semble avoir mis le genou à terre et se voient dans l’obligation d’accepter cette nouvelle réalité.

En Syrie, l’apport des finances, de la main-d’œuvre et du savoir-faire de l’Iran au régime du président Bachar al-Assad a joué un rôle décisif dans la prévention de la destruction du régime. La mobilisation iranienne des mandataires a aidé à cultiver de nouvelles milices locales, ce qui a permis au régime d’avoir accès à la main-d’œuvre nécessaire pour vaincre ses rivaux. Pendant ce temps, les efforts des Arabes sunnites pour aider les rebelles, dans lesquels l’Arabie saoudite a joué un grand rôle, se sont terminés en grande partie dans le chaos et la montée des groupes salafistes.

En Irak, le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGR) a mis au point une force militaire indépendante et officielle, sous la forme d’unités de mobilisation populaire (UMP) de 120 000 hommes. Bien sûr, toutes les milices représentées au sein du PMU sont pro-iraniennes. Mais les trois principaux groupes chiites du Kataeb Hezbollah, l’Organisation Badr, et Asaib Ahl al-Haq répondent directement au CGRI.

L’Iran jouit également d’une prééminence politique à Bagdad. Le Parti islamique Dawa au pouvoir est traditionnellement pro-iranien, tandis que l’Organisation Badr contrôle le puissant ministère de l’Intérieur, qui lui a permis de brouiller les frontières entre les forces armées officielles et ses milices – permettant ainsi aux miliciens rebaptisés de bénéficier de la formation et de l’équipement américains. L’Arabie saoudite, quant à elle, a rattrapé son retard: le Premier ministre Haider al-Abadi s’est rendu à Riyad fin octobre pour lancer le nouveau Conseil de coordination saoudo-irakien, premier ministre irakien depuis un quart de siècle. Mais il n’est pas clair que les Saoudiens ont beaucoup plus de poids que des incitations financières à des alliés politiques potentiels.

Au Yémen, où les Saoudiens se sont essayés à l’intervention militaire directe, les résultats ont été mitigés. Les Houthis et leurs alliés, soutenus par l’Iran, n’ont pas réussi à conquérir l’ensemble du pays et ont été empêchés de pénétrer dans le détroit vital de Bab el-Mandeb à la suite de l’intervention saoudienne de 2015. Mais l’Arabie Saoudite est embourbée dans une guerre coûteuse, qui s’enlise, alors même que l’ampleur du soutien iranien aux Houthis est beaucoup plus modeste.

Voila le bilan à ce jour du conflit saoudo-iranien. Jusqu’à présent, les Iraniens ont effectivement gagné au Liban, gagnent en Syrie et en Irak et saignent les Saoudiens au Yémen.

Dans chaque cas de figure, l’Iran a été capable de faire sa guerre par procuration grâce à des supplétifs à même de lui faire marquer des points, lui offrant une influence politique et militaire grandissante sur tous les fronts. Téhéran a également identifié et exploité avec succès les points faibles du camp de son ennemi. Par exemple, Téhéran a agi rapidement pour annuler les résultats du référendum sur l’indépendance du Kurdistan en septembre et ensuite pour punir les Kurdes d’avoir osé y procéder. Les Iraniens ont pu utiliser leur lien de longue date avec la famille Talabani ainsi que la rivalité des Talabanis avec les Barzanis pour contraindre les peshmerga alignés avec les Talabani à Kirkouk en octobre, permettant à ses alliés de faire main mise sur la ville et son pétrole.

Il y a peu de preuves tangibles suggérant que les Saoudiens ont appris la leçon de leurs échecs antérieurs et qui laisseraient espérer qu’ils sont maintenant en mesure de faire reculer l’influence iranienne au Moyen-Orient. L’Arabie Saoudite n’est  pas plus à même aujourd’hui de recruter des mandataires efficaces à travers le monde arabe, et n’a rien fait pour renforcer sa puissance militaire, depuis que Mohammed bin Salman a pris les rênes. Jusqu’à présent, les actions du prince héritier consistent à faire éclater le vernis du multiconfessionnalisme du gouvernement libanais et à menacer ses ennemis au Yémen.

Ce sont peut être des étapes symboliques importantes, mais qui ne font rien pour offrir à Riyad l’image de puissance régionale, qui lui a toujours manqué. Faire reculer les Iraniens, directement ou en concluant des alliances avec les forces locales, dépendrait presque certainement non pas des Saoudiens ou des EAU, mais de l’implication des Etats-Unis – et dans le cas libanais, peut-être d’Israël.

Il est impossible de dire dans quelle mesure Washington et Jérusalem seraient prêts à s’engager dans un tel scénario. Cependant, les déclarations du secrétaire à la Défense, James Mattis, suggèrent que les Etats-Unis ont l’intention de rester à l’est de la Syrie et que le Premier ministre Benjamin Netanyahou estime qu’Israël continuera à faire respecter ses intérêts sécuritaires en Syrie. Point.

Les agissements passé de l’Arabie saoudite pourrait entraîner au scepticisme. Néanmoins, les Iraniens ont ici un talon d’Achille clairement visible. Dans tous les pays où s’est jouée la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran, Téhéran a éprouvé de sérieuses difficultés à développer des alliances durables en dehors des communautés chiites et autres communautés minoritaires. Les sunnites, et les arabes sunnites en particulier, ne font pas confiance aux Iraniens et ne veulent pas travailler avec eux. Des éléments de la classe politique chiite irakienne n’ont pas non plus intérêt à tomber sous la coupe de Téhéran. Un joueur rusé qui chercherai à sponsoriser des proxy prêts à saper l’influence iranienne aurait de quoi s’occuper. Mais il n’est pas certain que les Saoudiens soient prêt à jouer à ce jeu-là.

Mohammed bin Salman, au moins, semble avoir signalé sa volonté de contrer l’Iran et ses mandataires à travers le monde arabe. La bataille est donc lancée. Les perspectives de succès pour les Saoudiens dépendront de la volonté de leurs alliés à s’engager à leurs côtés. Ils devront aussi apprendre rapidement les méthodes à employer dans la guerre politique par procuration.

Jonathan Spyer     Foreign Policy

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