Le silence de la Croix-Rouge internationale ?

Entre septembre 1939 et juin 1941, des colis de nourriture sont envoyés aux gens dans le besoin, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge allemande. Les populations juives enfermées dans les ghettos polonais, étant considérées par les nazis comme une menace pour la sécurité du Reich, n’ont pas droit à ces colis.

Quand est enclenchée la Solution finale, la Croix-Rouge n’intervient pas plus. Elle tente de continuer à envoyer des colis, mais n’émet aucune protestation officielle contre l’enfermement et la destruction des Juifs d’Europe. Elle est pourtant interpellée, en tant qu’organisation caritative non gouvernementale, par les organisations juives, notamment américaines.

Pourtant, dès l’été 1942, la Croix-Rouge (CIRC) dispose d’informations nombreuses. À la mi-septembre 1942, le CIRC rédige un texte condamnant, mais d’une façon évasive, les exactions nazies rappelant que les « civils devaient être traités humainement ».

En fait, le CIRC refuse de prendre une position officielle, et veut garder ses contacts avec les pays de l’Axe. Jean-Claude Favez 26, l’un des meilleurs spécialistes de la question, insiste sur l’inaction lâche et coupable du CIRC. Pour lui, la Croix-Rouge, grâce à son réseau de délégués, est certainement l’institution la mieux renseignée.

C’est seulement à partir de l’été 1944 que la Croix-Rouge lance un appel au maréchal Horthy, régent de Hongrie, afin que celui-ci stoppe la déportation déjà bien avancée des Juifs hongrois. Elle suit en cela les protestations déjà émises par le président américain F. D. Roosevelt et par le roi de Suède, Gustav V, lequel écrit personnellement à Horthy.

Peu de temps auparavant, la Croix-Rouge avait obtenu l’autorisation de visiter le camp de Theresienstadt (Terezin) en Bohême. C’est à la suite de l’arrivée dans ce camp de Juifs du Danemark, le 5 octobre 1943, que la Croix-Rouge de ce pays et l’antenne suédoise s’inquiètent du sort des personnes déportées. Les nazis décident donc d’accéder à leur demande de visite, sans toutefois leur montrer la réalité.

En effet, un embellissement du camp est décidé. Le colonel SS Karl Rahm, qui dirige le camp, fait déplacer plus de 7 500 Juifs afin de cacher la surpopulation, dont des centaines d’orphelins et malades que la Croix-Rouge ne pourra voir. Ainsi, le jour de la visite, neuf mois après la première demande, le 23 juin 1944, les nazis sont fin prêts et les délégués de la Croix-Rouge apprécient le travail des boulangers, les étalages de légumes frais ou encore les joyeux travailleurs. Un spectacle est même offert à la délégation. Cette dernière fait donc un rapport qui provoque les protestations des organisations juives. Dans les semaines qui suivent, les détenus de Theresienstatdt sont déportés en famille et assassinés à Auschwitz-Birkenau.

Sur le plan de l’action, la CIRC est plongée dans une totale passivité. Par prudence politique, la neutralité suisse étant en jeu, la CIRC sous l’impulsion du président Huber n’a pas joué son rôle de secours aux civils. Au contraire, elle a montré son incapacité totale à prendre en compte l’ampleur du génocide et à le dénoncer. Il semble que le CICR ait cherché à défendre les intérêts de la Suisse et souhaité préserver sa bonne entente avec la Croix-Rouge allemande qui, depuis longtemps, avait exclu les Juifs de tous les postes de respopnsabilité.

Les puissances alliées, se souciant avant tout du sort de leurs prisonniers de guerre, ne font elle-mêmes guère pression sur la Croix-Rouge pour qu’elle vienne en aide aux victimes civiles.

Le silence du pape Pie XII

Une multiplicité de faits convergents indique que le Vatican, ainsi que la haute hiérarchie catholique, disposant d’informations nombreuses et fiables grâce à son implantation dense en Europe, et surtout en Pologne catholique, savent.

L’historiographie a rendu compte du problème posé par le silence de Pie XII 27. Certes, on ne peut mettre en avant le vieux contentieux judéo-chrétien pour expliquer ce comportement, mais le Vatican observe un silence pour le moins ambigu face aux mesures et aux déportations frappant les Juifs. D’emblée, il ne cesse d’affirmer que les informations sur les massacres semblent exagérées.

Le débat sur le silence du pape s’ouvrira avec la pièce de théâtre écrite par Rolf Hochhut 28. L’auteur du Vicaire ne prétend pas faire œuvre d’historien : il entend évoquer un problème de conscience et propose une interprétation psychologiquement vraisemblable du comportement du pape. La problématique s’articule autour de trois questions : le pape a-t-il parlé ? Dans la négative, pourquoi ne l’a-t-il fait ? Devait-il parler ?

Il y a une première certitude : Pie XII n’a pas ignoré le sort des Juifs. Des informations convergentes lui parviennent, par exemple, du cardinal Innitzer, en février 1941, du nonce de Slovaquie en mars 1942. Un long mémorandum est remis au nonce à Berne, Monseigneur Bernardini, par les représentants de l’Agence juive, du Congrès juif mondial 29 et de la communauté juive de Suisse. Ce mémorandum fait état de l’exécution de « milliers de Juifs en Pologne et dans les parties de la Russie occupée par l’Allemagne ». Après des hésitations, en 1943, le pape est convaincu de la réalité de la persécution.

En second lieu, Pie XII n’a pas parlé ou quasiment pas. On ne relève, sur l’ensemble de ses déclarations publiques, que deux allusions aux procédés criminels : la première dans un message de Noël 1942 à la radio, et l’autre en juin 1943, au cours d’une allocution adressée au Sacré collège. Aucune de ces allusions ne peut tenir lieu de dénonciation solennelle. Monseigneur Orsenio, représentant du Vatican à Berlin, le 28 juillet 1942, fait également état « des plus macabres suppositions sur le sort de non aryens. »

À partir de ces faits, il faut répondre à cette question : pourquoi Pie XII qui sait n’a-t-il pas élevé la voix et dénoncé le crime à la face du monde ? Quels motifs imaginer au principe de son silence ?

Tout d’abord, il faut convenir que si Pie XII n’a pas parlé, il n’est pas resté inactif. Il a notamment tenté, par l’intermédiaire de ses nonces, ceux en poste à Berlin, à Bratislava, à Budapest, et à Bucarest, d’adoucir le sort des Juifs.

Ensuite, il faut évoquer ses sentiments pour le peuple et singulièrement pour le catholicisme allemand. Il n’a pas cru bon d’intervenir en faveur des Juifs pour éviter la persécution des catholiques allemands. Pie XII fut durant douze ans nonce à Munich, puis à Berlin, au moment où le pape Pie XI rédigea l’encyclique Mit Brenender Sorge, qui condamne les idéologies nazie et  communiste. Il a donc le souvenir de la répression anticatholique qui a suivi. Il craint aussi que la défaite allemande ne livre le continent européen à la domination de l’URSS et n’entraîne l’effondrement de la civilisation chrétienne. Le sentiment anticommuniste fut sans doute un stimulant puissant dans cette attitude passive que beaucoup lui ont reproché.

Enfin Pie XII, par sa formation de diplomate, tient avant toute chose à conserver la neutralité entre les belligérants, son action ne doit pas prêter au soupçon de particularisme pour un camp. Ainsi Pie XII ne raisonne ni n’agit d’une façon très différente de celle de la Croix-Rouge internationale.

Selon l’historien René Rémond 30, l’explication du silence de Pie XII tient en une phrase : Pie XII n’a pas perçu la spécificité du national-socialisme ni pleinement mesuré la singularité monstrueuse de l’entreprise hitlérienne. (A suivre)

Adaptation par Jforum

26. Favez Jean-Claude, Une mission impossible ? Le Comité international de la Croix-Rouge, les déportations et les camps de concentration nazis, Payot, Paris, 1988.

27. Référence sur le silence du Vatican. Un mot à propos des archives.

28.Cette pièce s’inscrit dans le cadre de la querelle entre historiens allemands qui opposent les thèses intentionnalistes aux fonctionnalistes.

29. Le Congrès juif mondial (en anglais World Jewish Congress) est une fédération internationale de communautés et d’organisations juives, fondée en 1936 à Genève (Suisse), et dont le siège mondial est à New York (États-Unis). Le but est de défendre la vie et la sécurité des communautés juives dans le monde.

30. René Rémond

 

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Henri Korn

The Red Cross saw the persecution of Jews not as a humanitarian problem but as a Political problem.The Red Cross could claim that it had no given rights to intervene in policies pursued by the ‘Will of the People and its leadership’ in any of the established Nations.

ander

Aujourd’hui encore, la Croix-Rouge reste, en dehors du monde arabo-musulman, l’un des ennemis les plus virulents d’Israel: voir l’excellent livre « Catch the Jew » de Tuvia Tenenbom. Il n’a jamais ete clair, par ailleurs, si la Croix-Rouge n’avait pas « un peu » prete une de ses ambulances au Hezbollah, action qui se prolongea par un assassinat de trois soldats israeliens et par une guerre au Liban: ce n’etait deja pas clair a l’epoque, et ce l’est encore moins dans mon souvenir aujourd’hui. On sait qu’il est arrive, encore plus recemment, que des ambulances ou des batiments de la Croix Rouge aient ete utilises par des terroristes du Hamas, mais sans doute sans l’accord de celle-ci.