Seyran Ates at the Ibn Rushd-Goethe mosque, Berlin, Germany Amit Edelman/i24NEWS
The books at the Ibn Rushd-Goethe mosque, Berlin, Germany Amit Edelman/i24NEWS

Entretien exclusif avec la fondatrice de la 1ère mosquée libérale d’Allemagne

« C’est une sorte de mort de ne pas pouvoir pratiquer ce en quoi l’on croit »
Par Polina Garaev
Source : I24 News
BERLIN – Seyran Ateş arrive pour l’interview dans une voiture blindée, accompagnée de cinq gardes du corps. Une mesure essentielle pour sa protection, ont estimé les forces de sécurité berlinoises, après qu’elle a reçu plus d’une centaine de menaces de mort au cours du dernier mois. Les autorités religieuses en Egypte et en Turquie ont émis des fatwas à son encontre, des publications sur les réseaux sociaux la condamnent, et les hommes dans la rue lui bloquent la route en criant « vous allez mourir ».

Son crime? Avoir fondé la première mosquée libérale en Allemagne, permettant à tous les genres et tous les mouvements de prier collectivement, accueillant les musulmans LGBT et refusant l’entrée à ceux qui portent un voile intégral. La mosquée Ibn Rushd-Goethe a ouvert ses portes il y a sept semaines, elle est située sur le terrain d’une église dans le quartier Moabit de Berlin, mais la polémique qu’elle suscite ne cesse d’enfler.

Ateş, âgée de 54 ans et originaire de Turquie, est une féministe musulmane, avocate et éminente défenseur des droits des femmes. Ses expériences de travail aux côtés et, plus souvent contre, des organisations musulmanes orthodoxes, conservatrices et « pas très démocratiques » en Allemagne l’ont amené à une conclusion: les musulmans modérés, qui reconnaissent que l’islam au XXIe siècle ne peut pas ressembler à celui du 8ème siècle, doivent cesser de se réunir clandestinement et à l’abri des regards. Ils ont besoin de leur propre mosquée.

« La vie a changé, le monde a évolué, et pourtant, ce que nous voyons dans les mosquées est l’apartheid sexiste », a déclaré Ateş à i24NEWS. « Dans notre mosquée, une femme peut diriger la prière, elle peut donner le Khutbah [le sermon public islamique], avec ou sans foulard ».

« Nous ne demandons pas aux gens qui viennent s’ils sont de bons ou de mauvais musulmans, si ce qu’ils ont fait aujourd’hui était Haram ou si leur vie est Halal », a-t-elle poursuivi. « C’est de leur propre responsabilité, et je ne pense pas que le fait d’essayer de contrôler les gens est un acte islamique à faire. Les orthodoxes aiment dire que ‘L’islam est comme ça, Allah dit cela’, mais je me demande toujours ce qui leur donne le droit de le dire. Je ne pense pas qu’ils ont une ligne directe vers Dieu.  »

Les futurs fidèles regardent et attendent

Rien dans cette salle de prière aux murs immaculés, ornée de grands vitraux donnant sur le jardin de l’église, ne divulgue l’antagonisme qu’elle évoque. Au contraire, chaque détail dans la pièce, y compris la nudité des murs et la porte constamment ouverte, est conçu pour la rendre aussi inclusive que possible, pour les personnes de tous horizons et de tous les courants.

« Nous avons pensé qu’il était préférable de ne rien mettre ici, d’avoir juste ce tapis blanc et cette pièce blanche, afin que toute personne qui arrive puisse la combler par son imagination », a expliqué Christian, le coordinateur de la communauté. « Cela montre que nous sommes ouverts à tous et à tout le monde, en particulier les gens qui veulent poser des questions sur l’islam ».

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Inside the Ibn Rushd-Goethe mosque, Berlin, Germany Amit Edelman/i24NEWS

Dans un coin de la pièce, une poignée de livres sont empilés sur une étagère Ikea. A côté du Coran, des œuvres des deux mécènes de la mosquée: l’écrivain allemand Goethe et le philosophe musulman andalou Ibn Rushd, un miroir de la mosquée orientale qui rencontre la mentalité orientale.

Dans le coin opposé, une pile de tapis de prière pliés attendent les fidèles. Lors des prières du vendredi, ils ne font pas face à la petite scène au milieu de la pièce, mais au coin à sa gauche, un rappel que la pièce n’a à l’origine, pas été conçue comme une mosquée mais comme une église.

« Les gens peuvent prier ici comme bon leur semble », a poursuivi Christian. « Ils peuvent prier seul ou en groupe. Lorsque nous avons un imam sunnite, nous suivons ce qu’il ou elle fait. Quand nous avons un imam chiite, nous faisons de même. L’important c’est que nous sommes tous ensemble ».

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Christian, at the Ibn Rushd-Goethe mosque, Berlin, Germany Amit Edelman/i24NEWS

Mais sur une communauté de 20 à 35 membres, 10 seulement se rendent régulièrement aux prières du vendredi. Certains trouvent la présence constante des médias dissuasive, d’autres craignent les violentes répercussions contre la mosquée. « Ils attendent et observent de loin comment cela se passe », a expliqué Ateş. « Ils nous disent qu’ils viendront plus tard quand la situation se calmera ».

Les obstacles n’empêchent pas Ateş de qualifier d’ores et déjà la mosquée Ibn Rushd-Goethe de « success-story ». « Nous recevons le soutien des chrétiens, des juifs, de musulmans et de non-croyants, des gens du quartier et du monde entier, de la Nouvelle-Zélande à l’Argentine ».

Un email particulièrement émouvant provenait d’une femme turque, une théologiste islamique étudiant les mêmes théories et réformes mises en œuvre par Ateş. « Elle m’a écrit qu’elle était très fière de ce que nous avons fait. Elle raconte avoir été trop effrayée pour écrire un livre sur ce sujet qu’elle étudie depuis 26 ans, et puis nous avons ouvert la mosquée. Elle a dit avoir pleuré quand elle a lu ça. Et je reçois tellement de mail comme ça, c’est pour ces gens que je le fais ».

Menaces des conservateurs, pas des terroristes

Mais cette dévotion arrive à un coût personnel pour Ateş qui reçoit des menaces quotidiennement, principalement sous couvert d’anonymat via les réseaux sociaux. La principale autorité musulmane de Turquie, Diyanet, a également émis un décret condamnant la mosquée comme « allant à l’encontre des principes islamiques », ainsi que de l’Université égyptienne Al-Azhar et de Dar al-Ifta al-Masriyyah, une institution islamique étatique qui émet des édits religieux.

Les médias turcs ont même étiqueté la mosquée comme dernier édifice du mouvement de Gülen, auquel Erdogan attribue l’organisation du coup d’état de l’été 2016. « Dire que nous sommes une mosquée du mouvement Gülen revient à dire que nous sommes tous des terroristes et que nous devons être tués », a noté Ateş. Le fait que de nombreuses menaces soient signalées par les Turcs vivant en Allemagne est une preuve de l’influence d’Erdogan, estime-t-elle.

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The Ibn Rushd-Goethe mosque, located inside a church in Berlin, Germany Amit Edelman/i24NEWS

Le principal reproche des critiques à l’égard de la mosquée Ibn Rushd-Goethe est l’absence de séparation sexuelle, qui pourrait susciter des « sentiments sexuels » chez les fidèles de sexe masculin. Ateş trouve cette critique ridicule. « Si vous allez dans une mosquée pour être en contact avec Dieu et si le fait de voir une femme fait que vous ne pouvez pas vous contrôler, alors vous avez des problèmes psychologiques, pas moi ».

En général, dit-elle, les réactions concernant la mosquée indiquent l’importance du problème de l’extrémisme. « Nous ne recevons pas les menaces de mort de l’Etat islamique, de Boko Haram, d’Al-Qaida ou des Taliban. Ce sont les soi-disant conservateurs, les personnes ordinaires et les autorités [dans les pays musulmans]. »

« Cela signifie que nous devons nous réunir pour lutter contre l’extrémisme. D’une part, nous devons changer quelque chose au sein de l’islam, mais en même temps, nous devons également regarder la politique d’intégration et réfléchir à ce qui pousse les gens vers le radicalisme, tout en abordant l’extrémisme de gauche et de droite.  »

Parallèlement à son travail dans la mosquée, Ateş a récemment lancé une initiative citoyenne européenne, rassemblant en ce moment des signatures pour faire pression sur la Commission européenne afin qu’elle adopte une directive anti-extrémisme. Les menaces de mort contre elle, souligne Ateş, n’empêcheront pas de mener à bien sa campagne.

« J’ai vécu ça beaucoup de fois dans ma vie. Quelqu’un m’a tiré dans le cou quand j’avais 21 ans [en travaillant dans un centre de conseils pour les femmes turques dans le quartier de Kreuzberg]. J’ai dû fermer mon bureau d’avocats en 2006 parce que je travaillais contre les mariages forcés et les meurtres d’honneur et j’ai dû cesser de publier des livres en 2009 après avoir écrit le livre ‘L’islam a besoin d’une révolution sexuelle' ».

« Mais ces fois où je devais me taire, je me sentais beaucoup plus dans une prison que maintenant. C’est vraiment comme une sorte de mort, ne pas pouvoir parler ouvertement et pratiquer ce que vous croyez. En dépit de toute la sécurité que j’ai autour de moi, je suis sûre que je suis beaucoup plus libre que les autres dans la rue en ce moment ».

Polina Garaev est une correspondante d’i24NEWS en Allemagne

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