Jonathan Sacks est l’ancien Grand-Rabbin du Royaume-Uni où il est une des personnalités les plus admirées pour son immense intelligence et sa culture. 
C’est probablement l’esprit authentiquement juif le plus fertile de notre époque.

Voici son message de Rosh Hashanah traduit en français.

« Il y a des banques et des comptables pour nous indiquer comment investir notre argent. Le judaïsme lui nous indique comment investir notre temps. Selon le Rambam, Maïmonide, c’est précisément ce en quoi consiste Rosh Hashanah. Le shofar, dit-il, est la sonnette d’alarme de Dieu. Sans elle, nous pouvons cheminer dans la vie, tels des somnambules, en gaspillant du temps pour des choses urgentes mais pas importantes, ou qui promettent le bonheur mais ne l’apportent pas.

« Rosh Hashanah et Yom Kippour sont des fêtes qui nous interrogent sur la façon dont nous avons vécu jusqu’à présent. Sommes-nous à la dérive ? Avons-nous voyagé vers la mauvaise destination ? La façon dont nous vivons est-elle porteuse d’une raison d’être, de sens et d’accomplissement ? Le judaïsme est le système de navigation par satellite de l’âme, et Rosh Hashanah est le jour où nous nous prenons une pause pour voir si nous devons changer de direction.

« Le temps est court. Ici, sur terre, nous n’avons qu’une existence à vivre; et contrairement à l’argent, le temps perdu ne peut jamais être retrouvé. Le judaïsme est le système de gestion du temps le plus ancien et le plus sophistiqué au monde.

« Voici quelques principes qui ont changé ma vie et que j’ai appris de notre foi, dans l’espoir qu’ils pourront vous aider à réfléchir à l’année écoulée et à celle qui vient à nous :

« (1) Soyez reconnaissants. En priant, nous rendons grâce à Dieu pour tout ce que nous possédons et pour la vie elle-même. Cela peut sembler simpliste, mais cela change la vie. Cela nous fait prendre conscience de ce que nous pourrions autrement tenir pour acquis.
Cela nous aide à percevoir que nous sommes entourés de bénédictions. Nous sommes là, nous sommes libres, nous avons de la famille, nous avons des amis, nous avons des opportunités que nos parents n’avaient pas et que nos grands-parents ne pouvaient pas même imaginer. Certes, nous avons des problèmes, des peurs, des douleurs ; mais ils peuvent attendre que nous ayons fini de remercier ; et une fois que nous avons dit notre gratitude, nos problèmes apparaissent un peu un peu moins importants et nous nous sentons un peu plus forts.
Il existe des preuves médicales que les personnes qui ont une attitude de gratitude vivent plus longtemps et développent des immunités plus fortes contre la maladie. Quoi qu’il en soit, l’évidence psychologique est incontestable : manifester de la reconnaissance apporte du bonheur même dans les moments difficiles.

« (2) Donnez à vos enfants des valeurs, pas des cadeaux. Le plaisir de recevoir des cadeaux dure une journée, tandis que les valeurs apportent le bonheur pour la vie.
Donnez à vos enfants des valeurs matérialistes et vous gâcherez leur vie entière ; cela ne vous vaudra pas même de leur part de la reconnaissance dans l’avenir. Donnez-leur des idéaux, apprenez-leur à aimer, à respecter, à admirer, enseigner leur à prendre des responsabilités et à donner aux autres.
Aidez-les à rester au foyer au sein d’une vie juive et faites qu’ils vous procurent de la fierté juive, qu’ils grandissent en acquérant une stature et marchent avec assurance, fiers de ce qu’ils sont, et reconnaissants pour ce que vous les avez aidés à devenir.

« (3) Soyez un étudiant à vie. Étudier la Torah va exercer votre esprit et le garder jeune. Cela va redimensionner votre âme et lui donner de la vigueur. Pratiquement tous les textes classiques du judaïsme sont aujourd’hui disponibles en traduction anglaise (N.d.T. et française).
Mieux encore, apprenez « be-‘hevrouta », « en binôme », de sorte que vous puissiez être chacun l’entraîneur personnel de l’autre, en vous dopant mutuellement votre santé spirituelle. Mieux encore, étudiez avec vos enfants.

Priez avec eux. Envoyez-les dans une école juive et laissez-les vous apprendre des choses que vous ne saviez pas. Aidez-les à gravir l’échelle du judaïsme plus haut que vous ne l’avez fait. Telle est l’art d’être parents à la manière juive, et c’est l’un des concepts les plus glorieux du judaïsme.

« (4) Ne compromettez jamais votre judaïsme en public. Si vous voulez que vos enfants restent juifs, soyez cohérents. Ne maintenez pas la Kacherout à la maison, sans en faire autant à l’extérieur. Ne célébrez pas un événement heureux à la synagogue en ayant une occupation questionnable ailleurs. Cela envoie aux enfants un message mitigé et les enfants répondent à des messages contradictoires en concluant que si vous n’êtes pas très sérieux dans votre judaïsme, eux-mêmes n’ont pas de raison de l’être. La cohérence n’est pas circonscrite à la famille, mais s’étend bien au-delà. Les non-juifs respectent les Juifs qui respectent le judaïsme. Les non-juifs sont gênés par les Juifs que leur judaïsme gêne. Ceux qui font des sacrifices pour leur foi parviennent généralement à transmettre cet esprit à leurs enfants ; c’est rarement le cas pour ceux qui ne le font pas.

« (5) Pardonnez. L’énergie émotionnelle est trop précieuse pour être perdue en émotions négatives. Le ressentiment, les griefs et la haine n’ont aucune place dans la vie intérieure d’un Juif. Au chapitre 19 du Lévitique, la Torah dit : « Ne déteste pas ton frère (ou ta sœur) dans ton cœur ». Ne vous vengez pas. Ne nourrissez pas de rancune. Ceux qui pardonnent parcourent la vie plus sereinement, affranchis du fardeau des sentiments qui ne font de bien à personne.

« (6) Ne vous livrez pas à la médisance (lashon Hara). Les Sages du Talmud qualifient le lashon hara de « discours maléfique », qui consiste à proférer des paroles négatives sur les autres, même quand elles rapportent la vérité. Ils ont été particulièrement sévères à ce sujet, le considérant comme l’une des pires fautes que l’on puisse commettre à l’égard d’autrui. Ceux qui médisent de leurs semblables empoisonnent l’atmosphère des familles et des communautés. Ils sapent les relations et sont la cause de beaucoup de ravages. Ils arguent : « Mais c’est vrai », oubliant que le lashon hara caractérise justement ce qui est vrai.
S’il s’agit d’une fausse allégation, elle constitue ce qui s’appelle « motsi shem ra » (la calomnie) et constitue un autre type de péché. Ils arguent encore : « Après tout, ce ne sont que des mots », oubliant que pour le judaïsme, les mots sont sacrés, et ne doivent jamais être pris à la légère. Voyez le bien chez les gens – et si vous voyez le mal, gardez le silence. Nulle personne valorisant le respect ne respectera ceux qui médisent des autres.

« (7) Observez le Shabbat. Si le Shabbat n’avait pas été créé, la personne qui l’aurait découvert et commercialisé aurait fait fortune. Voici un jour de vacances miraculeuses qui a le pouvoir d’affermir un mariage, de valoriser la famille, de donner le sentiment de faire partie d’une communauté, de vous réjouir de ce que vous possédez plutôt que de vous préoccuper de ce que vous ne possédez pas encore, de vous affranchir de la tyrannie des smartphones, des textos, de la disponibilité 24h par jour, sept jours par semaine, qui réduisent le stress, bannissent les pressions du travail et du consumérisme et renouvellent votre appétit pour la vie. Il est fourni avec du vin, de la bonne nourriture, de belles paroles, de jolis chants et de beaux rituels. Vous n’avez pas besoin d’attraper un avion ou de réserver à l’avance. C’est un don que Dieu a fait à travers Moïse, et depuis plus de 3 000 ans, c’est pour le judaïsme l’île privée du bonheur. Y parvenir ne nécessite que la maîtrise de soi, la capacité de dire « non » au travail, au shopping, aux voitures, aux téléviseurs et aux téléphones. Mais de fait, tout ce qui vaut d’être obtenu requiert du self-control.

« (8) Faites du bénévolat. Donnez de votre temps aux autres. Il n’y a pas de meilleur remède à la dépression que celui d’apporter du bonheur dans la vie des autres. Visitez les malades. Invitez une personne seule à votre repas de Shabbat ou de Yom Tov. Partagez vos compétences avec une personne qui doit les acquérir. Rejoignez l’une des nombreuses organisations remarquables de notre communauté. L’hébreu a un beau mot pour désigner de tels actes : « ’hessed », qui signifie l’amour comme acte, l’amour comme bonté. Le grand psychiatre juif Viktor Frankl avait coutume de dire : « La porte du bonheur s’ouvre vers l’extérieur », ce qui signifie que le sentiment de faiblesse vient souvent du fait de se sentir seul. Apportez le cadeau de votre présence à quelqu’un d’autre et vous ne vous sentirez plus seul.

« (9) Créez des moments de joie. Cela peut être aussi simple que marcher un jour de printemps ou regarder sur Internet une vidéo d’une vieille chanson qui rappelle des souvenirs chaleureux, ou faire un compliment imprévu à quelqu’un, ou offrir à quelqu’un un cadeau impromptu.
Le judaïsme fait une place au « bonheur », (osher ashrei), mais l’émotion capitale dans la Torah et dans le Livre des Psaumes est la « sim’ha », (« joie»). « Servez Dieu dans la joie » dit un Ppsaume. Le bonheur dépend souvent de circonstances extérieures, mais vous pouvez éprouver de la joie même dans les moments difficiles.
Comme le soleil qui perce les nuages, la joie libère l’esprit et brise l’emprise de la tristesse. Laissez-vous, selon les mots de William Wordsworth, être « surpris par la joie ». La joie, c’est ouvrir votre âme au rayonnement de la vie, c’est refuser que l’âge et le temps émoussent votre sens de l’émerveillement.

« (10) Aimez. Le judaïsme a été la première et demeure encore la plus grande religion d’amour. Aimez Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces. Aimez votre voisin comme vous-même. Aimez l’étranger, car vous étiez autrefois étrangers. L’amour est l’alchimie qui transforme la vie de métal brut en or ; il inscrit dans nos jours le rayonnement de la She’hina, la présence divine. Le vrai bonheur, que ce soit dans le mariage ou la parentalité, l’amitié ou la carrière, est toujours le produit de l’amour. Là où l’amour se trouve, Dieu se trouve également, car lorsque nous aimons les autres, l’amour de Dieu investit notre personne. Pour vivre, il faut apprendre à aimer.

« Accomplissez l’une de ces choses et lentement, petit à petit, vous commencerez à remarquer un changement dans votre vie. Vous serez moins pressurés, moins anxieux, moins pressés et moins stressés. Vous constaterez que vous avez du temps pour les choses importantes mais pas urgentes, celles que vous négligez le plus actuellement. Il en résultera plus de satisfaction, d’accomplissement, de joie. Vos relations seront meilleures, surtout au foyer. Les gens vous respecteront davantage. Vous vous sentirez béni. Cela peut ou non ajouter des années à votre vie, mais cela ajoutera certainement de la vie à vos années. Vous prendrez alors toute la mesure de ce qui doit être écrit dans le Livre de vie de Dieu.

Je vous souhaite, à vous et à vos familles, une Shana tova ou’metouka. Que cette année soit une année heureuse et bénie pour nous tous. »

Jonathan Henry Sacks
Ancien Grand R
abbin du Royaume Uni, professeur et lord britannique.

Le rabbin Sacks a publié une vingtaine de livres dans lesquels il présente ses positions sur le rôle des religions, sur l’éthique et la responsabilité de l’individu envers la société.

 

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