Les éditions Albin Michel sont imbattables avec leur collection consacrée aux spiritualités. Et on en voit dès à présent une nouvelle preuve, la récente traduction de Qohélét, l’Ecclésiaste, le livre le plus philosophique de la Bible, le livre le plus représentatif de ce que l’on nomme dans les milieux savants, la littérature sapientiale ou plus simplement de la sagesse.

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Je ne m’attarderai pas sur la qualité de la traduction qui est honorable, même si j’aurais traduit autrement certains passages capitaux. En revanche, ce qui m’a vraiment heurté, ce sont les rapprochements, au sein de l’introduction, entre cette sagesse salomonique et la figure si christianisante de Jésus que l’on retrouve, au gré de notre traducteur, derrière la silhouette du Sage.

Tout le monde sait que je n’ai rien contre nos frères chrétiens mais, quand on fait un travail qui se veut scientifique ou historico-critique, on n’affiche pas ses propres convictions religieuses. Cela dit, je n’ai aucune autre réserve à formuler quant à ce travail, servi par une bonne connaissance de l’hébreu biblique et dont le commentaire quasi linéaire facilite l’accès à ce qu’il faut bien nommer le modèle même de la sagesse biblique.

On a souvent rapproché le cas de Jésus dont on sait, au fond, très peu de choses, d’autres sages contemporains, notamment du célèbre docteur talmudique Hanina ben Dossa, au point que certains spécialistes ont préconisé de les identifier l’un avec l’autre. Je ne crois pas qu’il faille aller aussi loin, même si certaines similitudes ne laissent pas d’impressionner.

L’accueil de ce Qohélét (provenant de qahal, l’homme en charge d’une Ecclesia, congrégation, donc l’ecclésiastique) dans le canon vétérotestamentaire (les vingt-quatre livres de la Bible hébraïque), est assez étonnant. Tant d’autres livres, appelés apocryphes ou intertestamentaires ne furent pas accueillis dans ce canon juif mais certains furent admis dans les Bibles chrétiennes.

Mais imagine –t- on une Bible hébraïque sans ce livre de philosophe, l’Ecclésiaste ? Cela ne se peut pas, c’est une impossibilité spirituelle, la Bible manquerait alors de l’homme qui a osé poser les questions de l’être, du monde, du sens de la vie humaine, donc la fin de l’aventure humaine sur cette terre, du rapport à la vertu et aux vice, du rapport à la Transcendance si toutefois elle existe, etc…

Toutes choses qui n’auraient pas dû exister puisque le monde biblique est dominé par une idée, et une seule, celle de la Révélation divine et de la remise des tables de la Loi au pied du Mont Sinaï.

Cette dissension, ces Ketzergedanken, ces propos hérétiques pour reprendre un terme de Martin Luther, s’étalent sur les douze chapitres de cet ouvrage dont le retentissement et les répercussions vont bien au-delà. A preuve, ce texte rédigé vers 250 avant notre ère qui continue de nous interpeller car les questions de l’être, de la mort et de la vie dans l’au-delà t de nous préoccupent encore.

La tradition talmudique, à savoir les sources juives anciennes, n’ont pas manqué de se poser la question. Et de mettre l’Ecclésiaste face à ses propres développements. Rappelons que derrière cet Ecclésiaste, le texte lui-même dit à la première personne qu’il s’agit du roi Salomon, fils du roi David, deux figures quasi légendaires des dynasties bibliques.

Le talmud donc, admet cette attribution ou cette paternité littéraire puisque le texte lui-même spécifie que le roi Salomon a commis tant d’autres ouvrages de sagesse, connus du monde entier.

On sait que parallèlement à Salomon qui se voit attribuer la rédaction de cet Ecclésiaste, son père, le roi David endosse la paternité littéraire des Psaumes… Ce parallélisme n’est pas anodin car les Psaumes incarnent la piété la plus religieuse que le monde ait jamais connue et voici que dans son Ecclésiaste, Salomon, l’auteur putatif tourne ostensiblement le dos aux valeurs défendues par son propre père…

Et les talmudistes d’enfoncer le clou en ce terme : Salomon, il ne te suffit pas de contredire ton propre père, tu vas jusqu’à te contredire toi-même

Et en effet, l’Ecclésiaste commence par dire, dès les toutes premières lignes, que rien n’est sûr, pas même que l’âme humaine monte au ciel ou qu’elle existe… Et voilà qu’à la fin il écrit sans se gêner que si le corps revient à la poussière d’où il a été pris, l’âme (le souffle, pneuma) s’en retourne à Dieu qui nous l’a donnée… Donc contradictio in adjecto (oxymore).

Mais cette contradiction ne réussit pas à ruiner la consistance du texte. Les questions posées, je ne parle pas des réponses, conservent toute leur vigueur. Une chose détermine la vie de l’homme : c’est ce qui va se passer après sa mort… Est ce la fin de tout ce parcours ? Ne reste t il rien de ce que l’homme a fait durant son passage dans cette vallée des larmes (Psaume : émék ha bacha) ?

On connaît bien le pessimisme foncier, consolidé de l’Ecclésiaste : il prétend qu’il envie ceux qui sont déjà morts car ils n’ont plus à se préoccuper du mal qui règne sous le soleil, ce monde où tout est buée, vanité et inconsistance, où règnent l’injustice et l’iniquité à tous les étages. Eh bien, l’auteur franchit un pas supplémentaire : il envie ceux qui ne sont pas venus au monde, ceux qui n’y viendront jamais. Cette phrase est absolument inattendue dans un contexte biblique…

Alors que la premier commandement positif de la Bible est croissez et multipliez vous, on entend un prédicateur blasé et pessimiste, triste comme un jour sans pain, nous dire : heureux ceux qui ne naîtront jamais.

C’est du jamais vu.

Ce petit livre biblique, pas même une quinzaine de chapitres, a profondément pesé sur le développement humain. Même son pessimisme foncier n’a pas suffi pour le discréditer à tout jamais. Il est vrai que des mains anonymes éditoriales, plus tardives, ont voulu cacheriser l’ouvrage en lui donnant, pour conclusion, tout le contraire de ces idées si clairement exposées. Mais comment a t il pu penser si fortement que toute la création divine ne sert à rien, n’est pas bonne alors que le premier chapitre du livre de la Genèse dit tout le contraire…

Tout bien considéré, c’est-à-dire une fois qu’on a fait le tour de la question, crains l’Eternel et observe ses préceptes, car c’est là tout l’Homme. L’adverbe TOUT revêt une importance capitale.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

Le nouveau cycle de conférences, Aux racines de la culture européennese penche sur l’humus spirituel et les valeurs premières qui gisent au fondement de ce continent. Mais l’Europe n’est pas seulement un continent, c’est aussi et surtout une culture, axée autour de courants spirituels et d’écoles philosophiques, qui passent à juste Titre pour sa constitution théologico-politique ou éthique.

Les réflexions qui seront exposées dans la salle des mariages de la Mairie de notre arrondissement couvrent la critique biblique, la littérature éthique, la philosophie médiévale sous son triple aspect, gréco-arabe, chrétienne et juive au miroir des pères spirituels de l’Europe : Thomas d’Aquin, Maimonide, Averroès et Maître Eckhart.

Salle des Mariages Mairie du 16e Arrondissement – 71, avenue Henri Martin- 75016 Paris

Jeudi 11 janvier -19h

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