Deux textes pour comprendre : 

Finiraient-ils par remettre Salah Abdeslam en liberté ?

Pardonnez-moi mon sarcasme.

Vous êtes en droit de vous le demander.

Surtout quand vous et moi découvrons les petits aménagements dont il bénéficie en prison !

C’est le député Thierry Solère qui révèle la situation ahurissante dans une lettre au ministre de la justice.

Extraits choisis :

« J’ai pu me rendre dans le quartier où est incarcéré Salah Abdeslam et mesurer l’ampleur du dispositif qui entoure sa détention.

J’ai été très étonné de constater qu’une cellule avait été transformé en salle de sport, et encore plus étonné d’apprendre que son usage était exclusivement réservé à cet individu. »

Le journal du dimanche complète le tableau :

« Une partie du quatrième étage de Fleury Merogis a été vidé pour lui. Il occupe 4 cellules :

Une cellule A et une cellule B (en cas de dégradation de la première) pour son usage personnel.

Une cellule au milieu des deux reconstituée en poste de surveillance vidéo où un fonctionnaire le surveille 24h/24.

Enfin, la quatrième et dernière cellule a été transformée en salle de sport, équipée d’un rameur. »

L’hebdomadaire tient quand même à préciser qu’un autre équipement de musculation a été commandé. Des fois que le confort du terroriste du 13 novembre ne soit pas suffisant.

Qu’est-ce qui justifie de telles conditions de détention ?

La maison d’arrêt de Fleury Merogis est dans un état de surpopulation carcérale critique. Bientôt, il y aura deux fois plus de détenus que de places officielles.

Pourquoi Salah Abdeslam a-t-il droit à un traitement de faveur quand les autres détenus doivent parfois dormir sur des matelas posés à même le sol ?

La directrice de la sécurité de la maison d’arrêt esquisse la réponse : c’est pour une question de vie ou de mort du détenu :

« Si on le laissait aller dans la cour, sa vie serait en danger. Il y a ici au moins un détenu dont la sœur a été tuée sur les terrasses. »

C’est pour cette raison que Salah Abdeslam a été mis à l’isolement complet…

… pas si complet en fait.

Le journal du dimanche dénonçait également un incident. On y apprend que :

« il y a quelques semaines, l’administration s’est aperçue qu’Abdeslam pouvait échanger la nuit avec d’autres détenus. »

Et ce, malgré les mesures d’exception qui consistent à le « surveiller 24h/24 », ou à lui réserver une partie d’un étage d’une maison d’arrêt déjà surchargée.

L’Institut pour la Justice dénonce la surpopulation carcérale depuis des années. Déjà en 2012, nous réclamions 30 000 places de prison supplémentaires.

Le ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas, qui défendait l’utilité en février dernier de la création de 12 000 places de prison a récemment admis qu’il en fallait en réalité 20.000.

Naturellement, on peut toujours les attendre. Surtout si on se souvient que la création des 24.000 places de prison actée en 2012 pendant le mandat de Nicolas Sarkozy a immédiatement été enterrée par François Hollande.

Mais ce n’est pas le seul problème des prisons françaises.

Et c’est pourquoi j’ai besoin de vous aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous réclamons une autre mesure, pour que la prison ressemble à autre chose qu’un centre de vacances surchargé.

Tout est ici.

Avec tout mon dévouement,

Laurence Havel

Salah Abdeslam, un justiciable extraordinaire?

Même les terroristes ont des droits

Franck Berton et Salah Abdeslam (Photos : SIPA.AP21887905_000006/REX40406592_000012)

Je ne connais pas Franck Berton, mais je ne suis pas un grand fana de ces confrères qui, comme David Koubbi et Gilbert Collard en leur temps, déploient leur stratégie de défense dans l’espace médiatique plutôt que dans le prétoire. Cependant c’est leur affaire et surtout celle des clients qui les choisissent.

Aussi dans la polémique qui vient de s’ouvrir à propos de l’intervention de Thierry Solère qui, après une visite dans l’établissement où est incarcéré Salah Abdeslam, a jugé bon de venir décrire par le menu les conditions d’incarcération de ce dernier, je suis à l’aise pour considérer que son avocat Franck Berton, malgré le tollé médiatique qu’il a déclenché, a entièrement raison. Je dirais même plus, qu’il fait son devoir. Dans un souci d’objectivité exhaustive et absolument pas par démagogie n’est-ce pas, Thierry Solère a signalé l’existence à Fleury-Mérogis d’une « salle de sports » à l’usage exclusif de ce détenu particulier. Ces informations ont été immédiatement relayées accompagnés d’emportements courroucés par les élus de droite préposés à ce genre d’exercice.

Rappelons que, la France a décidé de traiter la question de la « guerre contre le terrorisme »par les voies judiciaires classiques d’un pays en paix. Ce n’est pas nécessairement le choix que j’aurais fait, je l’ai dit dans ces colonnes, mais à partir du moment où c’est le cas, on en applique scrupuleusement les règles. Pas simplement pour des raisons de cohérence, mais par ce qu’il est toujours grave de les affaiblir en les violant, même pour un Salah Abdeslam. Franck Berton a donc vigoureusement protesté contre le sort réservé à son client et a annoncé l’introduction de plusieurs procédures judiciaires. Comme d’habitude la presse, toujours armée de son inculture juridique, a dit à peu près n’importe quoi, et comme c’est la seule source d’information, essayons de comprendre.

Abdeslam, pour l’instant présumé innocent des charges relevées à son encontre par sa mise en examen, est donc en détention provisoire. Je crains pour lui sans m’en affliger outre mesure que ce provisoire dure longtemps, mais vraiment très longtemps. Son régime d’incarcération est donc lié à ce statut, mais l’administration pénitentiaire doit prendre toutes les mesures nécessitées par le caractère terroriste des infractions reprochées. C’est donc un détenu particulièrement signalé et qui doit être à l’écart des autres détenus pour des raisons évidentes de sécurité le concernant, mais aussi afin d’éviter toute possibilité de communication autres que celles qu’il peut avoir avec son avocat. L’administration a jugé bon, ce qui est discuté par son conseil de le placer sous surveillance vidéo 24 heures sur 24. Mesure que je considère personnellement comme justifiée, mais qui emporte, il faut l’imaginer, disparition de toute possibilité de vie intime et l’abolition de toute pudeur.

« Défendre l’indéfendable » ?

Thierry Solère est parlementaire et bénéficie par conséquent d’un privilège légal utile, qui est celui de pouvoir rentrer à tout moment dans un établissement pénitentiaire afin d’y réaliser des inspections. Il peut demander également à s’entretenir avec les détenus. Ces prérogatives doivent bien évidemment tenir compte des impératifs de sécurité. Nouveauté récente, depuis le 17 avril 2015, le parlementaire peut se faire accompagner par des journalistes. C’est ce qu’a fait l’élu des Hauts-de-Seine qui a demandé à accéder à la salle d’enregistrement vidéo et s’est fait projeter, a priori en leur présence, les séquences de la vie carcérale d’Abdeslam. Premier problème cette information-là fait-elle partie de celle que peut exiger le parlementaire ? Pourquoi pas, mais ce qui est beaucoup plus discutable, c’est que soit porté à la connaissance du public, par la conférence de presse et les journalistes eux-mêmes, ladite information qui porte, répétons-le sur la vie intime de quelqu’un qui bénéficie de la présomption d’innocence. Porté à connaissance, qui n’est évidemment là que pour exciter la foule et grappiller des voix.

La presse nous indique que Franck Berton aurait diligenté deux procédures. La première serait un « référé liberté » contre la décision de l’administration pénitentiaire de placer Abdeslam sous surveillance vidéo 24 heures sur 24. Dirigée contre une atteinte à une liberté fondamentale, c’est une procédure d’urgence qui sera soumise à la juridiction administrative. La deuxième concernerait une plainte pénale déposée contre Thierry Solère pour « atteinte à la vie privée » en raison de son intrusion dans la salle vidéo mais aussi de sa conférence de presse. J’ai quelques doutes sur le succès judiciaire de ces deux démarches. Mais les réponses apportées aux deux questions posées seront importantes, pour nous tous et pas seulement pour Salah Abdeslam. Mais ce n’est pas pour cela que je considère que les démarches et les déclarations de Franck Berton sont justifiées. Simplement, il fait son boulot et c’est son honneur. Et c’est aussi celui de notre société que de lui en donner les moyens. Malheureusement, et comme toujours, il a fallu assister au déchaînement d’une partie de la presse et des réseaux. La clameur dirigée bien sûr contre le détenu, mais aussi contre celui que nous avons chargé de le défendre. Tout seul face à la meute affrontant comme d’habitude ce refus traditionnel de la défense si enraciné dans la culture française.

Autre petite anecdote, qui nous éloigne heureusement du terrorisme, pour illustrer ce tropisme. Avait eu lieu à Obernai, ravissante ville de la route des vins d’Alsace, qui respire une certaine prospérité, une série de vols à la tire. L’avocat, probablement de permanence ce jour-là, qui défendait le malandrin avait, dans son flot de paroles utilisé une formule, certes pas très heureuse : « Obernai, c’est un peu comme Monaco, ça pue le fric ! »

Informé par la rubrique chiens écrasés des Dernières Nouvelles d’Alsace, et blêmissant sous l’insulte, le maire de la commune s’est fendu d’une lettre comminatoire à l’insulteur. Exigeant une lettre d’excuses circonstanciées, l’édile n’a pas hésité : « Maître, vous insultez la ville d’Obernai et l’ensemble de ses habitants. Ceci a provoqué une indignation générale et de nombreux concitoyens sont choqués par de tels propos énoncés au sein d’une instance judiciaire de la République Française pour défendre “ l’indéfendable” ». Et avec copie au procureur, au président du TGI, au préfet, etc. Alors, défendre un voleur à la tire, c’est « défendre l’indéfendable » ?

C’est donc Couthon, l’ami de Robespierre qui avait raison ? « Un avocat ? Les innocents n’en ont pas besoin, les coupables n’y ont pas droit ». Il est vrai que c’est plus pratique.

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau
est avocat.

Publié le 07 juillet 2016 / Société

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blum

« La meute » vous dit bien des choses, Monsieur.
Un suspect, placé en détention, car soupçonné de terrorisme, doit être , évidemment, placé en isolement, et particulièrement surveillé, selon les règlements en vigueur. L’on a vu pas mal d’évasions se produire, ces dernières années, faute de surveillance, ou grâce à des complicités de geôliers.
La presse n’est pas très diserte, sur ces sujets.
L’on a vu pas mal de fichés « S » accomplir des massacres terroristes, ces derniers temps.
La « meute », au sein de laquelle se comptent les victimes, n’a pas envie,incurablement mesquine, de payer une salle de sport et des commodités particulières aux détenus.