Image : Des personnes rassemblées autour d’une tranchée étroite pleurent leurs morts tandis que les cercueils des victimes du pogrom sont mis dans une fosse commune, après le service de cet enterrement de masse. Kielce, Pologne, après le 4 juillet 1946. 14 mois après la capitulation définitive du III ème Reich allemand, le 8 mai 1945, à Berlin et 19 mois après l’invasion soviétique de Varsovie.

Polonais assistant passivement au massacre de Jedwabne, commis essentiellement par 40 habitants polonais, de leur propre chef, des Allemands armés étant présents, mais sans intervention directe dans le pogrom… 7 Juifs cachés par la famille Wyrzykowski, ont été sauvés zet ne sont pas les seuls, mais la plupart des autres survivants ont été déportés et sont mort à Treblinka (https://alchetron.com/Jedwabne-pogrom).

— Wide World Photo

 

La Pologne, sa nouvelle loi et les falsifications de la Shoah  

 

La loi récemment approuvée, concernant le rôle des Polonais dans ou parallèlement à la Shoah, et les questions que soulèvent ces événements sont complexes. Les Polonais, depuis des décennies, ont justement été offensés par l’expression « Camps de la Mort polonais ». Ce terme a, de toute évidence, été forgé par d’anciens Nazis des services de renseignements allemands, environ dix ans après la guerre[1]. En fait, les camps de la mort tels que Belzec, Treblinka, Sobibor et Auschwitz-Birkenau ont bien été érigés et gérés par les occupants allemands et des auxiliaires, souvent ukrainiens, sur le territoire polonais occupé.

Jusqu’au début de ce siècle, la présentation historique communément admise, concernant la Pologne au cours de la Seconde Guerre Mondiale était qu’approximativement 2, 5 à 3 millions de Polonais non-Juifs avaient été assassinés par les Allemands. Certains Polonais (6.700 Justes reconnus par Yad Vashem) avaient aidé les Juifs à se cacher. La résistance polonaise a aussi livré des armes aux combattants juifs du ghetto de Varsovie.

Le plus célèbre des Polonais à avoir aidé les Juifs est probablement Jan Karski, au courage exceptionnel. A la fin 1942, il est entré et est ressorti clandestinement du ghetto de Varsovie et aussi d’un camp de transit où il a été témoin des horreurs dont les Juifs étaient l’objet.

Par la suite, Karski est parvenu à se rendre à Londres, où il a livré son rapport au gouvernement polonais-en-exil et aux principales autorités britanniques, dont le Ministre britannique des affaires étrangères, Anthony Eden. En juillet 1943, Karski a rencontré le Président américain, Franklin D. Roosevelt pour lui fournir les mêmes données accompagné d’un plaidoyer le poussant à l’action[2]. Sa mission n’a apporté aucun résultat.

L’historien David Bankier soulignait que « La plupart des organisations clandestines polonaises pensaient que la Pologne d’après-Hitler serait un pays sans Juifs… Ceux qui survivraient devraient quitter la Pologne après la guerre. Cette vision s’exprimait même au sein de l’organisation Zegota, le Conseil d’Aide aux Juifs, mis sur pieds par la résistance polonaise.

Parmi ceux-là se trouvaient les gens qui ont mis leur propre vie en danger, parmi les plus remarquables, Zofia Kossak-Szczucka,une catholique dévouée, un écrivain célèbre et une des fondatrices de la Zegota. Sa croyance que la Pologne n’est pas un pays où les Juifs devraient vivre est hautement significative des véritables sentiments polonais de l’époque[3].

Bankier poursuit : « Dans un article intitulé « Qui aidons-nous? » écrit en août 1943, Kossak-Szczucka a mis l’accent sur ses pensées à propos de l’attitude polonaise d’après guerre envers les Juifs : « Aujourd’hui les Juifs sont confrontés à l’extermination. Ils sont victimes de persécutions meurtrières totalement injustes. Je dois les sauver ». « Fais à autrui ce que tu voudrais qu’il fasse pour toi ». Ce commandement exige que j’emploie toute mon énergie et les moyens dont je dispose à sauver autrui, exactement les mêmes moyens que ceux que j’utiliserais pour mon propre sauvetage ».

« On peut en être sûr, après la guerre, la situation sera très différente. Les mêmes lois s’appliqueront aux Juifs et à moi. A ce moment-là, je dirai aux Juifs : « Je vous ai sauvés, je vous ai hébergés quand vous étiez persécutés. Pour que vous restiez en vie, j’ai risqué ma propre vie et la vie de ceux qui étaient chers à mes yeux. Aujourd’hui, plus rien ne vous menace. Vous avez vos propres amis, et d’une certaine façon, vous êtes bien mieux lotis que moi. Aujourd’hui, je vous demande de vous en aller et de vous installer quelque part ailleurs. Je vous souhaite bonne chance et serai heureuse de vous aider. Je ne voudrais pas vous blesser, mais dans ma propre maison, je veux y vivre seule. J’ai mérité ce droit[4]« .

Au début de ce siècle, des faits jusque-là restés dans l’ombre ont été découverts qui ont conduit à une vision radicalement différente de l’histoire de la Pologne au cours de la Shoah. L’historien américain d’origine polonaise, Jan Gross, a écrit un livre : Les Voisins. Il raconte l’histoire des habitants polonais de la ville de Jedwabne, qui ont assassiné presque tous les Juifs locaux sans interférence des Allemands[5]. Agnieszka Arnold a tourné deux documentaires sur le massacre de Jedwabne[6].

Les révélations liées aux meurtres de masse de Jedwabne a provoqué un choc retentissant en Pologne. L’image de soi de la nation en a gravement été affectée. Mais il y avait aussi ceux qui voulaient continuer à nier la réalité et à blanchir les faits établis de meurtres[7]

La situation a drastiquement changé quand l’historien canadien d’origine juive polonaise, Jan Grabowski, a publié son livre en 2013  :La « chasse aux Juifs » dans la société rurale en Pologne : 1942-1945 (ou : trahison et meurtre dans la Pologne occupée par les Allemands)[8]Grabowski et son équipe de recherche sont parvenus à démontrer la véracité d’estimations précédentes (réalisées par Szymon Datner, dans les années 1970). Leurs recherches ont alors révélé qu’environ 200.000 Juifs ont été assassinés par des Polonais[9]. Cela a transformé la Pologne en l’un des pays auteurs du plus grand nombre d’assassinats de Juifs durant la Shoah (hors-Nazisme actif).

La loi récente, acceptée par le Parlement polonais et signée par le Président Andrzej Duda comporte deux parties: la première déclare comme hors-la-loi la proposition : « Camps de la mort polonais ». Jusque-là tout va bien. La seconde partie considère comme un crime le simple fait de suggérer que la nation polonaise (ou de collectifs et de membres appartenant à cette nation?) a été complice de la Shoah ou d’autres atrocités commises par l’Allemagne nazie.

En 2016, la ministre de l’éducation du pays, Anna Zalewska, a suggéré que les meurtres de Jedwabne relevaient de l’opnion plutôt que des faits. C’est un cas d’école de falsification de la Shoah (ou d’événements distincts se déroulant simultanément : pogrom)[10].

Le journaliste israélien Ronen Bergman face à son « inquisiteur », Mateusz Morawiecki.

Ronen Bergman écrit, dans l’article consacré à cette entrevue publique, à Munich : il (M. Morawiecki) me fixait comme s’il examinait une nuisance »

Les choses n’ont fait qu’empirer depuis que cette loi a été acceptée. Récemment, lors de la Conférence de Munich, le journaliste israélien Ronen Bergman (spécialiste du Mossad et des questions de renseignements au Yedioth Aharonoth), le fils de deux survivants de la Shoah, s’est confronté au Premier Ministre polonais Mateusz Morawiecki, en disant : « Il y a eu des Polonais qui ont trahi des Juifs en fournissant aux Nazis des détails sur eux ». Il faisait directement référence aux expériences personnelles de sa mère.

Le Premier Ministre polonais a répliqué : « Il n’est pas question que vous soyez perçu comme un criminel, si vous dites qu’il y avait des meurtriers polonais, comme il y a eu des complices Juifs d’atrocités, comme il y a eu des criminels russes, autant que des meurtriers ukrainiens (milices auxiliaires) – et pas seulement des criminels allemands ». Le Premier Ministre israélien, Binyamin Netanyahu [dont le père Bension Netanyahou, corédacteur du journal Betar, est né Mileikowsky le 25 mars 1910 à Varsovie] a rétorqué : « Les déclarations du Premier Ministre Polonais, ici, à Munich, sont scandaleuses. Il se manifeste, ici, un problème d’inaptitude à comprendre l’histoire et d’insensibilité à la tragédie-même de notre peuple[11]« .

Les manipulation polonaises déformantes du contexte de la Shoah, ont débouché sur des tensions entre les gouvernements polonais et israélien. Elles ont aussi provoqué  énormément d’angoisse chez les Juifs Polonais. Trente-trois groupes juifs ont signé une lettre disant qu’ils ne se sentent plus en sécurité en Pologne[12]. Les interactions israélo-polonaises ont plusieurs facettes. Rappeler l’ambassadeur d’Israël en Pologne, sans parler de rompre les relations diplomatiques avec la Pologne, ne seraient absolument pas des gestes clairvoyants.

En niant le rôle massif des polonais, lors de la Shoah, le gouvernement polonais s’est rendu vulnérable à des critiques fondamentales s’appuyant sur des faits historiques. Une façon efficace d’en traiter, de la part des organisations juives, consisterait à mettre en ligne des sites internet portant témoignage des meurtres de Juifs commis par des Polonais et des exemples, où des Polonais ont trahi des Juifs en les vendant aux Nazis. Deux cent mille Juifs assassinés par les Polonais représente un nombre tellement important, qu’il devrait être possible d’obtenir beaucoup d’informations pour mettre en pleine lumière les falsifications de la part du gouvernement polonais.

Ajouter à cette démarche les informations concernant la propagation de l’antisémitisme extrême juste avant guerre en Pologne peut encore constituer une approche révélatrice. L’historien Laurence Weinbaum a écrit : « En 1937, deux ministres protestants d’Amérique du Nord, qu’on peut difficilement considérer comme particulièrement philo-sémites, décrivait le choc subi, en voyant des églises polonaises vendre, en même temps que des rosaires (chapelets), des bibles et d’autres articles religieux, de la littérature antisémite, pas moins odieuse que celle diffusée par Julius Streicher, l’éditeur notoire de la feuille de chou nazie emplie de haine, Der Stuermer.”[13]

Ce n’est qu’un exemple, tiré de citations presque infinies, quant à l’antisémitisme polonais, susceptible d’apparaître sur une diversité de sites internet. Il n’y a plus alors que deux alternatives : le gouvernement polonais reconnaît ses falsifications concernant l’histoire du pays avant, durant et après la période de la guerre, ou il se retrouvera régulièrement exposé en tant que falsificateur extrémiste de la Shoah et des questions qui s’y rapportent.

Par Manfred Gerstenfeld

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[1] www.timesofisrael.com/do-the-words-polish-death-camps-defame-poland-and-if-so-whos-to-blame/

[2] www.ushmm.org/wlc/en/article.php?ModuleId=10008152

[3] www.manfredgerstenfeld.com/polish-war-time-views-on-jews-this-is-not-your-home/

[4] Ibid

[5] https://press.princeton.edu/titles/7018.html

[6] www.revolvy.com/main/index.php?s=Agnieszka%20Arnold

[7] www.pri.org/stories/2017-03-24/massacre-villages-jews-their-neighbors-wwii-poland-remembered-and-misremembered

[8] www.amazon.com/Hunt-Jews-Betrayal-Murder-German-Occupied-ebook/dp/B00EZNA8XM/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1519034328&sr=1-1&keywords=Jan+Grabowski

[9] www.timesofisrael.com/complicity-of-poles-in-the-deaths-of-jews-is-highly-underestimated-scholars-say/

[10] www.thestar.com/news/world/2016/07/14/polish-education-minister-blasted-for-jewish-massacre-remarks.html

[11] www.reuters.com/article/us-israel-poland/israels-netanyahu-condemns-polish-pm-for-jewish-perpetrators-comment-idUSKCN1G10TE; www.jta.org/2018/02/17/news-opinion/world/polish-prime-minister-slammed-for-mentioning-jewish-perpetrators-of-the-holocaust

[12] www.jta.org/2018/02/19/news-opinion/world/polish-jewish-groups-say-they-dont-feel-safe-due-to-rise-in-anti-semitism

[13] http://jcpa.org/article/penitence-and-prejudice-the-roman-catholic-church-and-jedwabne/

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jkl

je suis d’origine polonaise. je comprend pas q’il y a encore 10 000 juifs en Pologne en 2018.

Karolu

Vous souhaiteriez qu’ils partent ? expliquez mieux votre point de vue