Ce qui se passe depuis quelques semaines, voire depuis le mois de mars au Proche-Orient, annonce des événements qui ne sont pas comparables à ce que nous connaissions depuis tant d’années : pour la première fois, le gouvernement israélien ne sait pas vraiment où il va, hésite entre plusieurs stratégies et essuie de sévères critiques de la part de sa population, jusques et y compris de certains officiers de son armée. Alors que s’est-il passé au juste ?

Depuis quelque temps, tous les commentateurs s’accordaient à dire que le Hamas était au bout du rouleau, qu’il était dans l’impasse, que la crise économique annonçait même une crise humanitaire de très grande ampleur, que l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas avait décidé d’en finir avec ses frères ennemis en leur coupant les vivres.

Et en effet, depuis près de sept mois, Ramallah ne paie plus les salaires de ses fonctionnaires à Gaza afin de contraindre le Hamas à lui remettre les clés de la bande côtière, ce que ce dernier se refuse à faire. Du coup, c’est le blocus inter-palestinien qui fait le plus mal…

Nous en étions là lorsque le Hamas affaibli, voire moribond, a découvert avec l’aide d’instructeurs étrangers l’arme des cerfs-volants incendiaires, la marche du retour, les rassemblements agressifs et armés au pied de la barrière de sécurité séparant l’enclave de la terre d’Israël. Et cette énergie du désespoir a fini par payer puisque Israël refusait de tirer sur des femmes et des adolescents que le Hamas plaçait sciemment en tête de ses cortèges.

Cette arme du pauvre n’en a pas moins causé de lourdes pertes matérielles à l’Etat juif qui a dû affronter la colère des habitants du sud du pays. Certes, il y eut quelques tirs contre ces incendiaires, mais point de contre-offensive digne de ce nom. Visiblement, le haut commandement de l’armée et le gouvernement faisaient preuve d’une retenue que la population, touchée par de tels méfaits, ne comprenait pas.

Quel jugement porter sur ces premiers développements ? Le mouvement qui dirige la bande côtière a habilement manœuvré en se faisant le centre de tout ce ballet diplomatique qui s’en est suivi : les Egyptiens, préoccupés par ce qui se passe dans le Sinaï avec les incursions de l’Etat islamique, se sont entremis mais sans pouvoir faire pression sur le Hamas comme à l’ordinaire. Là aussi, c’est le Hamas qui a réussi à imposer la règle du jeu alors que tout le monde civilisé le considère comme une entité terroriste.

La première question qui se pose concerne le principal intéressé, Israël ; rejeté dans le rôle du défenseur au lieu d’être, comme il l’a toujours été, celui qui mène la danse. Il y a quelques années, soumis à d’intenses bombardements, c’est le Hamas qui s’est empressé de demander un cessez le feu.

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et en plus de cela, le mouvement terroriste va obtenir des centaines de millions de dollars pour se développer. Or, chacun sait, y compris les généreux donateurs, que cet argent ne profitera pas à une population très éprouvée mais ira dans la poche de quelques dirigeants et contribuera à l’effort de guerre. Cela s’appelle un détournement de moyens…

En Israël, des voix s’élèvent pour critiquer ce qui ressemble à de l ‘indécision. Quelles sont les causes ou les faits qui expliquent ou expliqueraient cette situation, alors que certains, excédés par ces troubles, parlent même de reconquérir la bande côtière, de la débarrasser de la direction politico-militaire du Hamas et de placer à sa tête des dirigeants plus coopératifs.

En fait, bien qu’il ne le reconnaisse pas publiquement, le gouvernement israélien ne veut pas, n’a jamais voulu, la disparition du régime du Hamas à Gaza ; il cherche à l’affaiblir, à le neutraliser, suivant les attaques. Tant que cet état de guerre larvée ne dépasse pas certains degrés et qu’il est supportable, on s’accommode de cette basse tension et d’un niveau résiduel de ce conflit.

Souvenons-nous de cette phrase provocatrice de Jean Genet au sujet de l’Allemagne et transposons la à la Palestine : J’aime tant l’Allemagne que je suis content qu’il y en ait deux… Il semblerait que sur le long terme, le gouvernement israélien, préfère la division des Palestiniens plutôt que de les voir parler d’une seule voix.

Si l’Autorité Palestinienne, aujourd’hui totalement marginalisée et isolée, parvenait à reprendre pied à Gaza, elle se dirait la légitime et unique voix des Palestiniens et se sentirait pousser des ailes au point de réclamer un Etat.

Ce qui n’arrange nullement Israël lequel fait dépendre toute son action de ce puzzle. Si Tsahal frappait fort au cœur même du bastion du Hamas, il ouvrirait la voie à deux réalités nouvelles : les autres mouvements terroristes en profiteraient pour s’enraciner sur place, et l’Autorité Palestinienne s’en trouverait elle aussi renforcée, au motif que la nature a horreur du vide.

Mais cette politique du grand projet a un prix, la quiétude des habitants du sud du pays. D’autant que ces gens que l’on comprend bien, ne saisissent pas les calculs à long terme des leurs dirigeants… Leurs ennemis sont en face d’eux, à portée de leur puissante armée, laquelle reste l’arme au pied, ou presque.

On en arrive à une situation des plus paradoxales : Israël veut développer la bande côtière ; lui fournir plus d’eau et d’électricité, améliorer son niveau de vie et contribuer à son bien-être. Evidemment, ce calcul qui n’est pas sûr de réussir, n’est pas dépourvu d’arrière-pensées : voir les Gazaouis se détourner d’un mouvement qui ne leur a pas apporté la paix ni un minimum de confort, sans même parler de prospérité.

Le Hamas a su exploiter cette absence de position nette d’Israël lequel ne pouvait pas dévoiler au grand jour ses propres motivations : supporter un moindre mal pour se préserver d’un mal bien plus grand. Quelques bombardements, quelques récoltes perdues, quelques nuits écourtées mais, au moins, pas de réunification des Palestiniens.

Le problème est que le Hamas qui était si isolé et si marginalisé se retrouve au centre du jeu. Il mène le bal, tous sont suspendus à sa décision : va-t-il opter pour le calme ou aller vers une grave confrontation ? Curieux, le conflit asymétrique vire au profit du Hamas !

L’exaspération est à son comble en Israël au point que des voix s’élèvent pour exiger la neutralisation de la direction politico-militaire du Hamas. Certains commentateurs respectés, tel le colonel Raphaël Yérushalmi, dénoncent sur les plateaux de télévision l’inertie non pas de Tsahal mais de l’échelon politique.

Les gens exigent une rapide clarification de la position israélienne. Ils s’émeuvent des airs de victoire qu’entonnent les chefs du Hamas et redoutent cette victoire psychologique, temporaire mais réelle, des ennemis d’Israël. Cela montre aussi, comme si cela était nécessaire, que ce conflit ne porte pas sur des territoires ni sur d’autres intérêts, mais sur des racines religieuses, quasi métaphysiques. Quelques arpents de terre sablonneuse n’auraient jamais pris une telle ampleur dans une autre partie du monde.

Tout le monde a droit à tout, sauf les juifs qui n’ont qu’un seul droit ; subir et se faire comme ils l’ont fait durant deux millénaires.

Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

 

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